Alimentation .
La faiblesse de la production céréalière égyptienne a des
conséquences importantes sur l’économie. Seule
l’autosuffisance pourra, à terme, éviter le pire.
En manque de blé
Avec
le début de la saison de la récolte du blé à la fin du mois,
les prévisions sur la production dépassent tous les records
: 5 millions de tonnes contre 3,5 millions l’année dernière.
L’ensemble de la production de blé tourne généralement
autour de 8 millions de tonnes pour des besoins annuels de
13 millions.
Mais même les années exceptionnelles en terme de production
ne suffisent pas à couvrir l’ensemble des besoins
domestiques. Les surfaces allouées à la production de
céréales sont largement insuffisantes pour couvrir la
consommation nationale. Un peu partout en Egypte, les
paysans attendent une augmentation des surfaces, notamment
par le biais de nouvelles opportunités d’irrigation.
Parallèlement, l’inflation en Egypte ne cesse de croître
pour atteindre 11,5 % dans les zones urbaines, soit son plus
haut niveau depuis 11 mois. Elle est en grande partie due à
la hausse des prix des produits alimentaires qui
représentent 44 % du panier moyen qui mesure le taux
d’inflation. En effet, les produits alimentaires ont subi
des taux d’inflation qui atteignaient 20,5 % en mars et 18,2
% en février de cette année.
« La situation est devenue critique : la forte augmentation
des prix des biens stratégiques devra être la priorité du
prochain gouvernement », souligne une économiste qui a
requis l’anonymat. La Banque mondiale a, elle aussi, tiré la
sonnette d’alarme. Elle prévoit un risque de famine dans les
pays en développement suite à la flambée des prix des
céréales. « Le niveau élevé des prix alimentaires et leur
volatilité constituent la principale difficulté majeure à
laquelle se heurtent aujourd’hui beaucoup de pays en
développement », a déclaré le président de la Banque
mondiale, Robert Zoellick. L’indice des prix alimentaires de
la Banque mondiale a augmenté de 29 % depuis un an. Les
premiers à subir les conséquences cette hausse sont
naturellement les pays les plus pauvres.
Pour sa part, la FAO (Organisation des Nations-Unies pour
l’alimentation et l’agriculture) avertit que les prix de la
nourriture devraient augmenter au cours des dix prochaines
années. Ils devraient se maintenir à des niveaux supérieurs
à la moyenne de ces dix dernières années : la décennie
s’annonce problématique.
En Egypte, ces prévisions sont particulièrement susceptibles
d’avoir des répercussions importantes. « L’augmentation des
prix des céréales, des huiles et du sucre menace la sécurité
alimentaire dans les pays importateurs tels que l’Egypte,
qui seront incapables, dans l’avenir, de nourrir leurs
populations », avertit Mohamad Al-Touegri, secrétaire
général adjoint de la Ligue arabe pour les affaires
économiques. Il ajoute que cette hausse va creuser le
déficit de la balance commerciale, déjà affaiblie par la
diminution des revenus touristiques.
300 % de hausse du déficit budgétaire
La facture annuelle d’importation des produits alimentaires
a atteint 37 milliards de L.E. Le gouvernement s’est engagé
à augmenter le montant des subventions, afin d’aider à la
consommation les ménages les plus pauvres. « Le problème ne
se limite pas à la capacité du pays à fournir une sécurité
alimentaire au peuple. L’Egypte serait incapable dans
l’avenir de financer la hausse des importations. Elle sera
obligée de recourir à l’endettement via des institutions
internationales, comme la Banque mondiale et le Fonds
monétaire international », assure Al-Touegri. Magda Qandil,
directrice exécutive du Centre égyptien pour les études
économiques, confirme ces prévisions et prévoit une hausse
du déficit budgétaire de 300 %, soit un chiffre de 336
milliards de L.E. pour 2010/2011. Avant la révolution, les
estimations tournaient autour de 110 milliards de L.E.
On estime aujourd’hui qu’un cinquième de la population
égyptienne est touché par la pauvreté. Si les subventions
annoncées par le Conseil suprême de l’armée évitent des
répercussions trop fortes sur les populations démunies,
l’équilibre commercial ne pourra être retrouvé qu’à long
terme.
Selon la Banque mondiale, 44 millions de personnes sont
tombées dans la pauvreté dans les pays en développement
depuis juillet dernier, sous l’effet de la hausse des prix
des biens et des produits de base.
Le ministère de l’Agriculture tente cependant de réfuter ces
allégations. Le ministre Aymane Abou-Hadid nie l’existence
d’un danger sur la sécurité alimentaire de l’Egypte. « Nous
prévoyons une autosuffisance en blé dans deux ans. L’Egypte,
qui importe plus de 60 %, ne sera plus dépendante des
marchés internationaux » a-t-il déclaré sans donner plus de
détails. Un optimisme qui fait cependant figure d’idéalisme.
Augmenter la production
Al-Touegri souligne aussi l’importance de l’adoption d’une
politique basée sur l’autosuffisance des biens stratégiques,
tels que le blé et le riz. Il reste cependant plus réaliste.
« L’Egypte pourra réaliser cet objectif dans 7 ans, car elle
possède les terres fertiles. La sécurité alimentaire est
devenue une priorité de la Ligue Arabe », affirme-t-il. Et
d’ajouter : « C’est pourquoi nous avons mis en place un plan
urgent l’année dernière visant à combler le fossé
alimentaire entre la production et la consommation sur 30
ans dans 10 pays arabes ». Ce projet concerne l’Egypte, le
Maroc, l’Algérie, le Soudan, l’Arabie saoudite, l’Iraq, le
Yémen, la Jordanie, la Syrie et la Tunisie. « Mais jusqu’à
présent, nous n’avons pas encore entamé l’application du
plan en raison du manque de financement du plan qui s’élève
à 50 milliards de dollars ». Sans la mise en place de ce
plan, les prévisions sur 7 ans pour l’Egypte et 30 ans dans
le reste du monde arabe sont sans cesse repoussées.
Ce programme, qui devrait être appliqué sur trois phases,
vise à réaliser trois objectifs principaux : augmenter la
capacité productive de ces pays, apaiser la facture des
importations des biens stratégiques et créer de nouvelles
offres d’emplois dans le secteur agricole, pour lutter
contre la pauvreté et le chômage. Des paroles qui semblent
difficiles à mettre en œuvre sans moyens financiers.
Un autre volet concerne l’importance de l’intervention
gouvernementale, pour contrôler les marchés et freiner la
hausse des prix. « Dans le passé, les pauvres achetaient
leurs produits dans des coopératives où les prix sont
inférieurs à ceux du marché. Aujourd’hui, on ne trouve plus
ces coopératives dans les quartiers pauvres », assure une
ONG internationale. Elle insiste sur l’importance de la mise
en place d’un système de surveillance des commerçants qui ne
cessent d’augmenter leurs prix sans que les rasions soient
toujours justifiées.
Qu’il s’agisse de la mise en place de contrôle ou d’un
système de subvention efficace pour aider à la consommation
ou, d’autre part, d’une augmentation des surfaces cultivées
pour satisfaire les besoins domestiques, le chemin semble
long. Sans politique efficace, l’Egypte reste dépendante des
importations. Malgré les potentiels de production de
l’Egypte en céréales, le pays est encore loin d’atteindre
une production de 13 millions de tonnes de blé que
consomment chaque année ses 80 millions d’habitants.
Gilane Magdi