Médecin de formation, le pasteur Sameh Maurice a troqué sa blouse blanche pour servir Dieu et ses concitoyens à Qasr Al-Doubara, la plus importante église évangélique d’Egypte, tout près de la place Tahrir.

Toubib des cœurs et des esprits

Son emploi du temps est des plus chargés. Il faut prendre un rendez-vous au moins deux semaines à l’avance pour aller à sa rencontre. Le pasteur reçoit les visiteurs dans son bureau au premier étage du bâtiment administratif attenant à l’église Qasr Al-Doubara, derrière le complexe administratif de Tahrir (Al-Mogammae). La cinquantaine, cheveux poivre-sel, de taille moyenne et d’allure sportive, sa voix est sereine et rassurante. Son charisme est évident et tous cherchent à passer du temps avec lui et demander conseil.

Etudiant à la faculté de médecine, l’idée de devenir pasteur n’a jamais effleuré l’esprit du jeune Sameh. Il rêvait de construire un hôpital pour soigner les pauvres, sans distinction entre musulmans et chrétiens. Cette ambition s’est cristallisée récemment quand l’église de Qasr Al-Doubara a construit un tout petit hôpital à Agouza servant principalement les opérations légères. Le désir du pasteur Sameh Maurice est assouvi en quelque sorte lorsqu’il visite ce lieu, bien qu’il ne puisse y opérer par manque de temps. « J’ai travaillé comme chirurgien pendant 12 ans avant de répondre à l’appel de Dieu et consacrer mes efforts à l’église. Maintenant, je ne pratique la médecine que lors des congrès organisés aux fidèles à Wadi Al-Natroune, pour soigner ceux qui y tombent malades », confie-t-il, tout en montrant sa petite mallette de secours. Il est heureux d’avoir travaillé dans son domaine, puisqu’il ambitionnait, encore à l’école, de devenir ingénieur. Il aimait la physique et les mathématiques, mais il y a renoncé en 3e secondaire. Car sous Nasser, les opportunités de créativité pour les ingénieurs étaient inexistantes. Ils travaillaient alors dans les coopératives !

Sameh Maurice a noué d’amples amitiés pendant ses études, mais un grand nombre de ses condisciples a émigré, faute de trouver des conditions de travail satisfaisantes en tant que médecins. Mais ils n’ont pas oublié l’Egypte et ont contribué à l’édification de cet hôpital où ils auscultent et opèrent.

Tenant plusieurs postes dans l’Eglise évangélique mondiale, le révérend Sameh Maurice est également directeur délégué du Réseau mondial des pasteurs pour la région d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient. « En début de journée, je consacre du temps à la relation avec Dieu, pour la prière du matin. Je prends le temps de me recueillir devant lui, puis je réfléchis sur mes priorités le jour même », dit-il. Avec autant de responsabilités et devenu pasteur de cette église en 2008, ses journées se suivent mais ne se ressemblent pas. « Parfois, je dois venir au bureau pour des réunions avec le personnel, et d’autres jours sont réservés pour prodiguer des conseils aux fidèles. Quant aux vendredis et dimanches, jours de culte, des réunions de prière sont organisées matin et soir », ajoute-t-il. Il essaie dès que possible de prendre une pause en milieu de journée et rentrer à la maison pour passer un peu de temps avec son épouse et ses trois garçons. Sa femme, Imane, est aussi médecin, il a fait sa connaissance à l’église bien avant ses études universitaires, les deux familles entretenant de bonnes relations. « Je n’interfère pas dans les décisions de carrière prises par mes enfants, dont deux sont déjà diplômés », dit-il. De même, il respecte leur choix concernant les activités sportives, mais aussi leurs relations avec les autres, se contentant de partager joies et peines. « J’ai fait une étude pédagogique sur l’éducation des enfants. Vous savez peut-être qu’il y a des règles relatives à ce sujet, notamment dans la Bible. Il faut comprendre la nature de l’enfant et l’aider à se découvrir. Je ne dois pas faire de lui une copie de moi-même, pour éviter la crise d’identité », souligne le Dr Sameh. La preuve, ce verset tiré de la Bible : « Eduque l’enfant selon son chemin, même lorsqu’il aura vieilli, il ne s’en écartera pas (Proverbes 22, 6) ». « J’éduque mon fils aussi en étant un modèle à suivre, en appliquant ce à quoi j’appelle, sinon, il ne me croira jamais. La meilleure chose qu’offre le père à ses enfants est d’aimer leur mère et de la rendre heureuse. Idem pour la mère », confie-t-il. Les après-midi, il les consacre à l’église, où il participe à différents programmes : réunions, formation, prêche, orientation, information et soutien. En fait, en tant que leader visionnaire, il a lancé l’église dans de nouvelles activités.

Souvent aussi, le pasteur fait la navette pour animer les quelque 30 congrès jalonnant l’année à Wadi Al-Natroune, aux environs d’Alexandrie. Il voyage beaucoup à l’étranger, répondant aux invitations des églises évangéliques de quelques pays arabes et des Etats-Unis plus qu’en Europe. « Le christianisme dans ce continent connaît un retrait, car le matérialisme a dominé la société », dit-il.

Sameh Maurice entretient de bonnes relations avec les autres responsables orthodoxes et catholiques. Et encourage fortement l’unité des églises. D’ailleurs, il vient de rencontrer le pape Chénouda à cet effet. De même, une réunion entre les chefs des différentes églises s’est récemment tenue, aboutissant à la formation d’un comité de travail œuvrant dans ce sens.

Son œuvre à lui est de bâtir, depuis près de dix ans, un lieu de prière pour l’Egypte, toute l’Egypte dans toutes ses composantes. Qasr Al-Doubara prie donc pour l’Egypte d’une manière spéciale : pour le leadership politique, la pureté, la transparence et l’intégrité (défiant la corruption), l’union nationale, la liberté individuelle et la liberté religieuse. Ce ne sont pas là des paroles d’orateur, loin de là. Pour mettre en pratique et activer ces principes, il organise une réunion hebdomadaire, le lundi, regroupant des jeunes toutes confessions confondues. Cela, outre le congrès annuel « Ehssebha sah » (réfléchis-y bien) qui réunit l’arc-en-ciel chrétien (tous des jeunes ensemble). Il n’oublie pas non plus les camps sportifs à l’intention des jeunes. « En secondaire, j’ai été classé 6e au niveau de la république en ping-pong », se remémore-t-il. Le volley-ball l’attire aussi. D’ailleurs, il est actuellement membre de la Coalition internationale des églises, faisant le service par le biais des activités sportives.

Son église, qui anime de nombreuses activités œcuméniques, a participé à la journée de prière pour l’Egypte ayant rassemblé des milliers de chrétiens en 2005 à l’église de Samaane Al-Kharraz au Moqattam.

La vision de Sameh Maurice repose sur la bénédiction de l’Egypte dans le Livre d’Isaïe dans la Bible. « Toutes ces prières semblent avoir porté leurs fruits, dit-il, puisque la révolution du 25 janvier a réussi. Beaucoup de jeunes de l’église y ont participé spontanément et quatre d’entre eux ont été arrêtés. Mes deux grands enfants ont rejoint les manifestants dès le premier jour. L’un d’eux était avec ses amis musulmans de l’Université américaine ». Et de poursuivre : « L’église, notamment ses chefs, ne devant pas intervenir en politique, j’ai envoyé un autre pasteur sur la tribune lorsqu’on a invité Qasr Al-Doubara à chanter des hymnes pour les martyrs en pleine révolution. Un communiqué sur notre site web a soutenu les principes de la révolution quand elle s’est déclenchée. Liberté, démocratie, justice sociale et citoyenneté sont des demandes légitimes conformes à la Bible ».

L’église a célébré la démission de Moubarak en invitant les piliers du pays ayant collaboré à la révolution, à savoir parents de martyrs, révolutionnaires, politiciens, intellectuels, médias et armée. Ensuite, elle a invité plusieurs intellectuels, politiciens et hommes de religion à une rencontre au Shepheard, afin de préserver la révolution. Présidée par Dr Aboul-Ghar, cette réunion a été fructueuse et suivie d’une conférence et d’un communiqué de presse.

« Les riches ne doivent pas s’inquiéter, au contraire, ils doivent être reconnaissants envers la révolution. Car tôt au tard, les quelque millions de pauvres vivant dans les bidonvilles allaient se soulever et égorger les riches comme lors de la révolution française », signale-t-il. Maurice pense que si les riches peuvent renoncer à une part de leurs richesses en faveur des pauvres, la rancune de ces derniers décroîtra.

Ainsi, il estime que l’adage « La religion pour Dieu et la patrie pour tous » est indispensable pour la prospérité de l’Egypte. Faisant référence aux courants religieux, il pense que l’intervention de la religion en politique éliminera les deux premiers principes de la révolution : liberté et démocratie. La dictature du président sera tout simplement remplacée par la théocratie.

Selon lui, le récent référendum était surtout axé sur les critères du choix du président et son mandat. Alors, il espère que les présidentielles seront organisées avant les élections de l’Assemblée du peuple, afin d’élaborer une nouvelle Constitution et écarter la violence.

L’avenir des chrétiens ? En fait, tout dépend de l’acheminement de la révolution vers la démocratie ou la théocratie. Mais le pasteur n’encourage personne à l’émigration et croit dur comme fer qu’il est grand temps de construire l’Egypte.

Selon lui, Qasr Al-Doubara, avec le plus grand nombre de fidèles évangéliques en Egypte, présente ses services à un nombre d’Egyptiens plus important que ceux qui y assistent. C’est une église très ouverte à la société. « Nous avons le programme le plus évolué pour la toxicomanie dans le monde arabe, avec 16 centres spécialisés », précise-t-il. Son idéal ? Bien sûr le Christ, qui s’est donné pour tout le monde sans distinction de race ou de confession. Le Christ a recommandé de servir autrui, d’où des programmes sportifs, culturels, etc. pour prendre soin des enfants et soigner, entre autres, les homosexuels. « On est une église sans murs. Notre émission L’école du Christ est diffusée sur plusieurs chaînes satellites et suivie par environ 10 millions de téléspectateurs. Aussi, nous organisons, tous les quinze jours, au Caire principalement, Les caravanes de l’amour qui distribuent des cadeaux et de la nourriture aux nécessiteux dans l’Institut du cancer, les asiles, les écoles et hôpitaux publics ». La dernière caravane en date vient, en fait, de rentrer de Libye. « Nous avons sur notre liste 150 sociétés de bienfaisance islamique », signale-t-il.

Plus largement, le pasteur a trouvé en la place Tahrir un lieu utopique : riches et pauvres, intellectuels et autres y étaient unis. Le jour du référendum, plusieurs personnes achetaient de la nourriture et partageaient avec les autres, distribuaient des journaux pour se protéger du soleil ainsi que des croissants et des bouteilles d’eau. Sameh Maurice aime le vers du poète tunisien, Aboul-Qassem Al-Chabi « Si le peuple choisit la vie un jour, le destin obéira ». La révolution l’a prouvé quand 15 millions de personnes sont sorties en un seul jour. « Si nous sommes tous d’accord, notre but commun se réalisera. Si nous luttons ensemble contre la corruption, nous la déracinerons à coup sûr, mais si nous guerroyons sans cesse, la corruption survivra », ajoute-t-il.

Charbel Héchéma

 

Jalons

1953 : Naissance à Minya.

1976 : Diplômé en médecine de l’Université d’Aïn-Chams.

1986 : Master de chirurgie générale, à l’Université du Caire.

1990 : Diplômé de la faculté de théologie.

1993 : Ordination comme pasteur assistant.

1997 : Elu pasteur adjoint.

Depuis 2008 : Pasteur de Qasr Al-Doubara.