Al-Ahram Hebdo,Société |

  Président
Labib Al-Sebai
 
Rédacteur en chef
Hicham Mourad

Nos Archives

 Semaine du 13 au 19 avril 2011, numéro 866

 

Contactez-nous Version imprimable

  Une

  Evénement

  Enquête

  Dossier

  Nulle part ailleurs

  Egypte

  Economie

  Monde Arabe

  Afrique

  Monde

  Opinion

  Société

  Arts

  Livres

  Littérature

  Visages

  Environnement

  Voyages

  Sports

  Vie mondaine

  Echangez, écrivez



  AGENDA


Publicité
Abonnement
 
Société

Plaintes . Diwane al-mazalem est un bureau de doléances chargé d’étudier les plaintes des citoyens victimes d’injustice. Une initiative qui vise à calmer les tensions et à éviter les grèves et les manifestations. Focus.

Se plaindre ... et ne plus manifester

« Nous sommes des partisans de la liberté, pas des baltaguis. Au lieu de nous incriminer, négociez avec nous nos revendications et jugez Moubarak et ses acolytes pour leurs crimes ! », dit Karima, une handicapée divorcée et mère de 3 enfants qui a parcouru des centaines de kilomètres, ses griefs en tête, pour déposer ses doléances. Elle dit ne toucher qu’une pension mensuelle de 85 L.E. Cela fait 10 ans qu’elle se bat au jour le jour pour que sa demande d’ouvrir un kiosque soit acceptée. Pour elle, ce kiosque est avant tout un gagne-pain qui l’aidera à survivre et à pourvoir aux besoins de sa famille.

Après la révolution du 25 janvier, Karima, comme des milliers d’Egyptiens victimes d’injustice, ne trouve que la rue comme moyen de se faire entendre : « Al-Charie lina » (les rues sont à nous). Les responsables font la sourde oreille. « Les grèves sont donc légitimes pour nous faire entendre », scande-t-elle. Cependant, depuis le 26 mars, une nouvelle loi sur les sit-in et manifestations a été promulguée et l’armée a annoncé qu’il sera désormais interdit de se mettre en grève ou de manifester. Le gouvernement condamne à un an de prison ferme ou à verser une amende de près de 500 000 L.E. tous ceux qui incitent à des grèves ou à des sit-in considérés comme des actes qui freinent la production et la relance économique dans cette période de transition critique.

Une loi qui n’a fait qu’attiser la colère des manifestants qui se voient privés de leur droit de réclamer la concrétisation de leurs demandes à travers ces manifestations pacifiques. Pour calmer les citoyens en mal de justice, des responsables de la fonction publique ont créé Diwane al-mazalem (cabinet de doléances), afin de freiner, d’une part, cette explosion de manifestations et d’aider, d’autre part, à régler les problèmes des citoyens. « Ce sera une institution non judiciaire chargée d’étudier les doléances des citoyens qui s’estiment lésés par une décision ou un acte jugé inéquitable ou contraire à la loi, pris par une administration ou un organisme quelconque », explique le conseiller Mahmoud Al-Attar, assistant du chef du Conseil d’Etat. Il précise que la mission de ce diwane sera aussi d’intervenir auprès des administrations concernées pour lever le préjudice subi. Pour autant, il est possible d’y voir aussi une manière de contrôler les plaintes des citoyens sans pour autant changer les problèmes de fond. Si le Diwane a compétence à recevoir les plaintes, il ne possède qu’un rôle de médiateur avec les ministères. Ses actions restent symboliques et se résument plus à des valeurs de conseil, le bureau n’étant doté d’aucune autorité légale mis à part celle de recevoir les plaintes.

Le Diwane deviendra cependant une institution capable de proposer des amendements aux règles et procédures préjudiciables aux administrés. Son rôle sera aussi de présenter au premier ministre des recommandations susceptibles de rétablir le droit si celui-ci a été bafoué. Pour autant, Diwane al-mazalem ne peut se substituer au tribunal ou émettre des jugements. Ce bureau servira uniquement de médiateur et agira comme une passerelle entre l’administration et le citoyen, afin de rétablir la confiance entre les administrés et l’administration.

14 siècles plus tôt

Une telle institution existait jadis. Son histoire remonte au VIIe siècle, en terre d’islam, à l’époque du second calife des musulmans, Omar Ibn Al-Khattab (634-644). Son appellation n’est pas fortuite. Elle est inspirée d’une tradition séculaire qui veut que les rois alaouites instruisent les plaintes de leurs sujets. Jusqu’au temps du protectorat, il existait encore un vizirat des chékayate qui avait pour attribution de se pencher sur les plaintes des personnes victimes d’injustice, que ce soit de la part des agents de l’administration ou des cadis. Après avoir été enregistrées et résumées, les plaintes étaient soumises au sultan qui donnait aux enquêtes ouvertes et aux sentences prononcées une force légale.

Un concept qui fut une source d’inspiration pour la création d’une institution similaire en Occident et qui existe dans plus de 120 pays d’Europe, d’Amérique latine, d’Asie ou d’Afrique. Citons à titre d’exemple le bureau des doléances du Maroc, institué en 2001, équivalent de l’office d’un ombudsman aux Etats-Unis ou du médiateur de la République en France.

Une initiative approuvée par l’institution d’Al-Azhar qui a déjà franchi les premiers pas pour l’appliquer. L’écrivaine Farida Al-Naqqach pense que la création d’un tel organisme est un complément nécessaire dans un pays qui instaure la démocratie. Il est aussi indispensable pour revitaliser l’Etat de droit. « La répression ne peut engendrer que la violence. La dualité violence-répression est devenue le moyen le plus fréquent de dialogue entre les citoyens et l’administration. Le résultat final est, on l’a vu, catastrophique. Diwane al-mazalem sera un moyen alternatif pour résoudre les conflits, et le meilleur moyen de baisser les tensions et d’éviter les affrontements », souligne-t-elle.

Il suffit de voir comment cette idée a germé et fait son chemin. Lorsqu’on débarque aujourd’hui au Caire, il est rare de ne pas croiser de nombreuses manifestations, des grèves ou des sit-in. La place Tahrir, qui s’est transformée du jour au lendemain en un diwane mazalem géant et en un substitut aux visites des mausolées des saints, considérés comme porteur de sentences. Au lieu d’apporter les offrandes et d’allumer des cierges, les protestataires brandissent des pancartes résumant leurs revendications.

Tahrir ou le diwane

Tel est le cas d’Ibrahim Abdallah et d’autres paysans qui, au lieu d’aller voir le procureur général, se sont rendus sur la place Tahrir pour rencontrer des journalistes ou des responsables. Ils ont apporté avec eux des documents prouvant comment l’ex-ministre de l’Agriculture, Youssef Wali, s’est emparé de leurs terrains. Quand l’armée a vidé Tahrir, ces opprimés n’ont pas abdiqué. Ils ont changé de destination en manifestant devant les ministères, les sièges de gouvernorat ou les rues parallèles. Ici, une délégation de 300 personnes venues d’une localité distante de 50 km, pour demander la démission du maire. Là, un sit-in improvisé en pleine rue par une centaine de handicapés venus réclamer une pension. Dans une rue parallèle, une autre manifestation de fonctionnaires demandant la démission de leur patron. Un peu plus loin, des grévistes qui entendent purger les médias d’Etat, des collabos et des responsables corrompus. Des troubles partout dans des institutions aussi vitales que les banques, les sociétés pétrolières, la télévision et les universités revendiquent un « grand nettoyage » pour dégager les « petits Moubarak » toujours à la tête de nombreuses institutions. Sans compter les milliers de grèves d’ouvriers qui ont lieu dans toute l’Egypte pour réclamer une hausse des salaires, une meilleure distribution des revenus et des contrats de travail permanents. Bref, les porteurs de cahiers de doléances sont particulièrement nombreux au lendemain de la révolution du 25 janvier. « Dans les tribunaux s’entassent des milliers et des milliers de plaintes. Et si les grèves sont interdites, ce diwane sera donc pour nous le seul recours légitime pour pouvoir transmettre nos voix », dit Saleh Métoualli, professeur et qui a été licencié de son travail sans aucune raison en 2007. Il a fait le tour des bureaux des responsables pour se faire entendre, mais sans résultat. « Ceux qui m’en veulent ont de bons contacts avec la police », ajoute-t-il, tout en espérant que les doléances des gens ne disparaîtront pas dans les méandres de la machine bureaucratique.

Cependant, beaucoup pensent que la création d’un bureau de doléances est une bonne initiative qui mérite d’être appliquée le plus tôt possible, afin de garantir la réussite de la révolution. « Ces sit-in et protestations organisés sont soutenus par des caciques du parti de l’ancien président Hosni Moubarak, et c’est de notre devoir en tant que citoyens égyptiens de lutter aujourd’hui contre les schémas révolutionnaires orchestrés », affirme Magdi Bassiouni, expert en sécurité. Il ajoute qu’il s’agit de créer dans chaque gouvernorat un bureau des plaintes qui traiterait les doléances et les protestations des uns et des autres en tentant d’apporter des solutions originales et efficaces. Un point de vue anti-manifestations qui résume bien le but de ces diwanes : calmer sans guérir. « Il faut aussi que ces bureaux soient gérés par des personnalités connues pour leur droiture, leur intégrité et leur expérience dans la gestion des affaires publiques. Sinon, ce sera inutile, car les plaintes vont tomber dans l’oreille d’un sourd », espère-t-il.

Un avis partagé par Hassan Makhlouf, fonctionnaire, qui précise que ce genre de bureaux existe déjà dans plusieurs administrations, mais sont en échec. A quoi servent ces « bureaux des lamentations » alors que les registres de doléances pullulent de remarques et de cris de rage qui se noient dans l’indifférence des responsables ? Ces plaintes doivent faire l’objet d’une analyse sérieuse et être prises en considération, faute de quoi personne ne pourra convaincre les contestataires de se taire et les sit-in se poursuivront sans relâche.

Hassan cite l’exemple du chef de la municipalité d’Héliopolis qui tente d’améliorer la qualité des services dans son quartier. Il n’hésite pas à ouvrir son cabinet le mardi pour recueillir les doléances des citoyens et remédier aux dysfonctionnements qui entravent l’action de l’administration. « Cette démarche fait partie de la révolution que je mène dans l’administration : un monstre de lourdeur et d’inefficacité », conclut-il. Si l’exemple est louable, rien n’empêchera pourtant les citoyens de croire que ces bureaux de doléances sont un moyen de passer de la pommade sur les plaies sans les soigner vraiment. Seule une profonde restructuration des institutions permettra d’éviter ces problèmes à long terme.

Chahinaz Gheith

Retour au sommaire

 




Equipe du journal électronique:
Equipe éditoriale: Névine Kamel- Howaïda Salah -Thérèse Joseph
Assistant technique: Karim Farouk
Webmaster: Samah Ziad

Droits de reproduction et de diffusion réservés. © AL-AHRAM Hebdo
Usage strictement personnel.
L'utilisateur du site reconnaît avoir pris connaissance de la Licence

de droits d'usage, en accepter et en respecter les dispositions.