Violence
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Sorti un mois avant la révolution du 25 janvier, La
tentation du pouvoir absolu est une étude concise du rapport
de la police au citoyen. Elle va des Pharaons aux Ottomans,
et atteint surtout l’ère Moubarak.
Le trop-plein de pouvoir policier
Le
choix du 25 janvier pour lancer des manifestations n’était
pas fortuit, et le séisme qui a frappé les services de
police du 28 janvier jusqu’à aujourd’hui n’est en rien
gratuit. Les Egyptiens se sont habitués au policier du coin
de la rue qui ferme les yeux sur une contravention contre un
petit pourboire, aux vidéos largement diffusées sur
YouTube ces dernières années sur
des séances de tortures dans des commissariats de police ici
et là, et aux baltaguis soutenus
par les forces de l’ordre les jours de scrutin. Seulement le
livre de Basma
Abdel-Aziz La tentation du
pouvoir absolu, nous catapulte aux origines du mal qui est,
après la révolution, encore pointé du doigt comme étant de
la contre-révolution. Ce livre est une étude intéressante,
quoique concise en 127 pages, sur la relation entre le
citoyen et la police. L’auteur commence par un voyage
historique qui prend son départ aux temps des pharaons. On
découvre qu’à l’époque, les services de la police étaient un
corps indépendant de l’armée et de la justice, qui reposait
sur une conception élaborée par le pharaon lui-même. Ainsi,
dans les commandements du roi Thoutmosis III à son ministre,
nous pouvons lire : « Souviens-toi que le poste de ministre
est amer comme la patience, n’asservis pas les gens du
peuple, tu dois t’occuper de ceux que tu ne connais pas
avant celui que tu connais. Et sache que l’autorité du
prince réside dans son équité ».
Pour ce qui est de l’histoire contemporaine, l’auteur
propose tout au long de son livre une lecture des événements
actuels à l’orée d’une longue histoire où la police s’est
entachée des couleurs de la politique. La relation avec le
citoyen, qui s’est foncièrement dégradée ces trente
dernières années, a atteint un point où l’officier de police
en est arrivé à utiliser son arme pour régler des conflits
personnels. C’est ce qu’elle appelle « la violence
anarchique », une situation où, explique-t-elle, l’officier
de police s’identifie au pouvoir. De défenseur de la loi, il
devient la loi elle-même. La violence chez lui est due à sa
formation « qui repose sur le fait que la violence sera un
pilier de son métier ». Cet enseignement, poursuit-elle, se
fait selon des mécanismes visant à convaincre
psychologiquement l’étudiant que la violence est un moyen
légitime, annihilant ainsi tout sentiment de culpabilité. «
Il est ainsi convaincu d’opérer pour le bien de la nation et
pour la stabilité et l’ordre. La violence ainsi conçue
devient nécessaire et légitime contre toute personne qui
porte atteinte à ces composantes
… Ainsi, toute opposition au régime est une atteinte à la
sécurité … Le travail du policier s’est donc cantonné à
défendre le régime ».
Procédé systématique
Selon cette logique, le corps de police a bénéficié de plus
en plus de pouvoirs sous le régime Moubarak, instaurant la
violence comme un procédé systématique. En se penchant sur
le régime de Nasser, l’auteure signale que la violence
n’était pas encore le pilier de la relation police-citoyen :
« Le policier et le citoyen étaient sur le même bateau ». La
poigne de fer sécuritaire se dirigeait essentiellement
contre les opposants au régime via un organisme créé
spécialement à cet effet en 1968, à savoir le fameux service
de la Sûreté de l’Etat ou Amn
al-dawla. A l’époque de Sadate,
la violence contre les adversaires politiques a régressé
quelque peu pour s’orienter lentement et épisodiquement vers
le simple citoyen. Mais l’auteur insère une remarque de
taille, à savoir que la répression du régime contre ses
opposants sous Nasser et Sadate n’a pas cessé. Sous le règne
du premier, 14 000 ordres de détention ont été enregistrés,
chiffre qui a augmenté sous Sadate et qui a englobé d’autres
tranches de la société. « Cette augmentation illustre
peut-être le début du problème et de l’élargissement par le
régime du cercle de ses ennemis ».
Ce cercle a englobé, sous Moubarak, la société tout entière
pour donner l’image sortie au grand jour pendant les
manifestations de janvier dernier. Sur trente années, cette
violence a pris plusieurs formes, comme le recours au
châtiment collectif en encerclant un village pendant des
jours ou en tirant aveuglément sur un quartier pour le punir
suite à une protestation. Sans oublier la torture au niveau
des commissariats de police qui, petit à petit, s’est même
imposée dans la rue. « Il est devenu plus judicieux de
torturer une personne au vu et au su de tout le monde pour
briser sa volonté … Il est donné ainsi à tous de voir qu’il
ne sert à rien de résister ». Une étude qui remet donc la
relation police-citoyen dans son contexte historique et qui
permet de cerner quelque peu ce problème au moment où le
corps de police est au centre des événements et suscite
beaucoup de questions depuis le début de la révolution
jusqu’à aujourd’hui.
Najet
Belhatem