Tahrir . Le Conseil militaire est sévèrement critiqué par les manifestants après les violents affrontements survenus dans la nuit de vendredi à samedi. De son côté, il attribue les troubles à des éléments de l’ex-parti au pouvoir.

Les anti-révolutionnaires sur le banc des accusés

Un état d’effervescence a gagné les rangs des jeunes activistes suite aux affrontements sanglants qui les ont opposés aux soldats de l’armée durant les premières heures du samedi 9 avril sur la place Tahrir au centre du Caire. Ces violences ont fait un mort et 71 blessés, selon un bilan officiel.

Tout a commencé lorsque les soldats de la police militaire et de la police anti-émeute sont intervenus sur la place pour évacuer des manifestants, afin de faire respecter le couvre-feu en vigueur dans le pays de 2h à 5h. L’armée voulait également arrêter 8 lieutenants qui avaient rejoint les manifestants. Ces derniers, manifestant en uniforme, réclamaient la « purification » de l’armée et incitaient les manifestants à scander des slogans hostiles à l’armée.

Ils étaient en tout plusieurs centaines de manifestants à refuser de rentrer chez eux suite à la manifestation géante de la veille, la plus importante depuis la nomination du premier ministre Essam Charaf. Elle a rassemblé des centaines de milliers de citoyens dans ce qui a été baptisé le « Vendredi du procès et de la purification ». L’objectif était de réclamer le jugement de Hosni Moubarak et d’autres hauts responsables de son régime, sur fond de critiques contre la « lenteur » de l’armée.

Il était presque 3h du matin quand les militaires ont commencé à tirer des coups de semonce pour évacuer la place. Les manifestants, de leur part, ont répondu par des jets de pierres. Des heurts ont éclaté pendant près de deux heures, des jets de cocktails Molotov ont été constatés par des témoins et deux véhicules — dont l’un dépend de l’armée — ont été brûlés. Une quarantaine de personnes ont été arrêtées, dont les 8 jeunes officiers. Leur appartenance à l’armée n’est cependant pas encore officiellement confirmée.

 

Sauvegarder la « blancheur » de l’armée

Lors d’une conférence de presse, le général Adel Emara, membre du Conseil militaire, a attribué ces événements à « des éléments contre-révolutionnaires qui cherchent à disperser les efforts du Conseil militaire et à créer une crise entre le peuple et l’armée ». Emara a également affirmé que la police militaire n’était pas armée et n’avait pas tiré à balles réelles, attribuant les cas de blessures à des jets de pierres de la part des manifestants.

L’arrestation, le lendemain, de l’homme d’affaires Ibrahim Kamel, un magnat de l’ex-parti au pouvoir (Parti national démocrate), ainsi que de trois de ses proches est en harmonie avec les accusations qui ont visé des éléments de ce parti, les présentant comme des « agents de la contre-révolution ».

« L’implication d’un membre du PND dans les incidents est la preuve qu’il s’agit d’une nouvelle manœuvre de la part des antirévolutionnaires », estime le chercheur Ammar Ali Hassan. « Ce scénario était prévu depuis la chute du président Hosni Moubarak. Celui-ci disait craindre le chaos et justifiait ainsi son refus de quitter le pouvoir. Aujourd’hui, ses partisans cherchent à lui donner raison en sapant les bonnes relations entre le peuple et l’armée », ajoute-t-il.

Une analyse partagée par plusieurs leaders politiques actifs à la place Tahrir. « Plusieurs anciens responsables proches de Moubarak subissent actuellement des interrogatoires ou sont détenus pour corruption. Les caciques de l’ancien régime tombent un à un et l’étau se resserre sur ceux qui restent. Parallèlement, la population fait confiance à l’institution militaire et au gouvernement de Essam Charaf, premier ministre, et c’est justement cette confiance que les antirévolutionnaires veulent ébranler », note à son tour Georges Isaac, cofondateur du mouvement Kéfaya.

Déjà, ces incidents ont provoqué une radicalisation des manifestations, dont certaines continuent à occuper la place Tahrir et refusent de la quitter avant que leurs revendications ne soient satisfaites. Des revendications qui se précisent un peu plus chaque jour. « Nous réclamons la fondation d’un conseil présidentiel civil pour diriger le pays lors de cette phase de transition jusqu’à la tenue d’élections législatives et présidentielles », souligne Amr Chawqi, l’un des manifestants ayant vécu les incidents de ce 9 avril.

De son côté, Nasser Abdel-Hamid, membre de la « Coalition des jeunes de la révolution de 25 janvier », insiste à ne pas confondre l’armée et le Conseil militaire. « Notre contestation de la performance politique du Conseil suprême des forces armées, qui traîne à traduire en justice les membres de l’ancien régime, ne change en rien notre soutien à l’armée en tant qu’institution », explique-t-il. Dans ce cadre, la coalition des jeunes de la révolution a décidé de suspendre le dialogue avec le Conseil militaire jusqu’à ce que les responsables des incidents de Tahrir soient jugés.

Bien que l’armée ait menacé de faire évacuer « par la force et avec fermeté » la place Tahrir afin d’assurer un retour à la normale dans la capitale, pendant deux nuits consécutives, des milliers de manifestants ont continué à défier cette mise en garde. Les militaires se sont toutefois abstenus de continuer les violences.

Héba Nasreddine