Coupures de presse .
Où va l’Egypte ? C’est la question dans la presse cette
semaine, suscitée par une intervention militaire musclée à
Tahrir, et celle, sonore, de
Moubarak. Mais la question repose surtout sur la manière
d’en finir avec l’ancien régime.
L’épine
de Charm Al-Cheikh
« Il y a un très fort sentiment parmi les différentes
organisations de jeunes qui ont organisé la manifestation
colossale de vendredi dernier, à Tahrir
et ailleurs, que la révolution a un goût d’inachevé et
qu’elle n’a atteint qu’une petite partie de ses objectifs
alors que les sacrifices consentis ont été énormes », écrit
Salama Ahmad
Salama dans son éditorial, sur
les pages du quotidien Al-Shorouk.
Durant la manifestation, qui a été témoin d’un tribunal
populaire pour condamner l’ex-président Hosni Moubarak, les
revendications se sont concentrées sur la prise de mesures
fermes pour en finir avec l’ancien régime. « Alors qu’ils
aspirent à un changement radical, les choses leur paraissent
comme allant dans le sens d’une simple réforme. Il y a une
volonté d’épuration face à une tendance à la stabilité
imposée par la nature des militaires. C’est entre les deux
que les cœurs des Egyptiens balancent ».
Dans cet article, quelque peu ambigu et confus, on finit par
comprendre que l’auteur est adepte de la stabilité. Mais, en
même temps, il juge que les jeunes ont raison de vouloir en
finir avec le passé au vu de ce qui s’est passé dans la nuit
du vendredi à samedi à Tahrir. «
Il y a une réelle crainte d’un retour du régime Moubarak. La
contre-révolution est apparue clairement hier, à
Tahrir, qui a vu une bataille
sanglante orchestrée par l’homme d’affaires Ibrahim Kamel :
l’un des bras droits de l’ancien régime. Ce qui conforte les
revendications des jeunes pour une éradication totale des
symboles du passé ». Mais il n’est pas judicieux, selon lui,
de faire pression sur le Conseil suprême des forces armées
pour hâter le jugement de Moubarak, « car cela ne permet pas
de prendre des mesures conformes à la loi ».
Vouloir en finir avec le passé est un sentiment général, et
chacun y œuvre selon ses moyens. Pour certains
fonctionnaires du ministère de la Main-d’œuvre et de
l’Immigration, cela s’est traduit par l’action symbolique
d’effacer les noms de Moubarak et de l’ancienne ministre,
Aïcha Abdel-Hadi, de la plaque commémorative accrochée à
l’entrée de la salle de conférences. « Les sources au sein
du ministère ont dit que personne ne sait qui est à
l’origine de cette initiative. Le ministre a nié avoir donné
des ordres en ce sens ». Là aussi, les gens, comme pour
tout, sont partagés en deux camps. « Ceux qui veulent
effacer le nom de l’ex-président de toutes les plaques
commémoratives du ministère pour que l’Histoire n’en garde
aucun souvenir, et ceux qui jugent,
au contraire, que quels que soient les agissements de
l’ancien régime, l’Histoire ne doit pas être effacée … ».
Histoire, justice et politique
Mais le débat est plus profond que le rapport à l’Histoire.
Alors que la coalition de la révolution, formée de jeunes
révolutionnaires, dont le groupe du 6 Avril, appelle à
ouvrir une enquête officielle sur les agissements de l’armée
contre les manifestants de la place
Tahrir dans la nuit du vendredi à samedi, la majorité
des éditoriaux en appellent à la raison. Dans Al-Masry
Al-Youm,
Alaa Al-Ghatrifi note que
mettre le peuple en contradiction avec l’armée est la
dernière carte de l’ex-président. « En politique, tout est
soumis à discussion, mais dans les situations
exceptionnelles et dans les moments de transition — et
surtout quand il s’agit de l’armée, la seule institution
encore solide dans le pays et notre seul rempart face à
l’anarchie, il faut opter pour la raison. Ceux qui parlent
sans logique en arborant une liberté dénuée de
responsabilité nous poussent vers le précipice où le
scénario de Moubarak veut nous jeter depuis le début de la
révolution, à savoir jeter le peuple dans un affrontement
face à l’armée ».
Les manifestants refusent les compromis et ont promis,
vendredi dernier, de se diriger vers
Charm Al-Cheikh, lieu de résidence de l’ex-président.
« Une source sécuritaire a révélé que les mesures de
sécurité se sont intensifiées dans le gouvernorat du
Sud-Sinaï et autour du ressort où se trouve l’ex-président
», a rapporté Al-Shorouk.
Moubarak a décidé, quant à lui, de prendre les devants par
le biais d’une intervention sonore sur la chaîne Al-Arabiya,
où il a annoncé n’avoir aucun avoir à l’étranger. Une
intervention jugée par certains comme une tentative
d’attiser un affrontement entre l’armée et le peuple en
insinuant une probable implication de cette dernière en
raison de la lenteur dans la prise de décision dans
l’évasion des capitaux des Moubarak.
Au-delà des réactions politiques engendrées par cette
intervention, la toile a explosé à la minute sous l’effet
d’un déluge de commentaires satiriques. On peut lire : «
Moi, j’ai une solution pour le Conseil militaire qui va
l’arranger : remettre Moubarak au pouvoir et envoyer tout le
peuple en résidence surveillée à Charm
Al-Cheikh », un commentaire qui illustre l’opinion d’une
bonne partie de la population, qui a des doutes quant aux
réelles intentions du Conseil vis-à-vis de l’ancien régime.
Ou alors « La révolution s’est déclenchée le 25 janvier,
nous sommes le 10 avril. 76 jours sont passés. L’argent volé
a eu tout le temps de faire un aller retour vers Mars ».
Du côté des analyses, le président de l’unité de la réforme
démocratique au sein du Centre des Etudes Politiques et
Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram,
Dr Amr Hachem, a déclaré aux
journaux que « le fait que cette intervention ait eu lieu
sur une chaîne proche de l’Arabie saoudite est un indice que
le Conseil militaire a accepté la demande saoudienne
d’offrir une poignée de dollars contre une amnistie de
Moubarak. Le peuple n’acceptera jamais cela ! ».
Face à cet avis suspicieux à l’égard de l’armée, il y a
celui de l’autre camp, plus pondéré. Dans une déclaration au
journal Online Al-Doustour, le
chercheur Amr Hamzaoui avance
que « cette intervention veut tout simplement dire que,
sentant l’approche de l’ouverture d’une enquête contre lui,
l’ex-président, qui demeure un citoyen qui a des droits, a
voulu se défendre ».
Najet
Belhatem