Frères Musulmans .
Ils viennent d’annoncer un programme économique libéral avec
une juste répartition des richesses. Un objectif difficile à
réaliser vu les différences de perception dans la confrérie.
Un libéralisme ambigu
Une
économie libérale assurant l’égalité sociale. Tel est le
slogan du programme économique des Frères musulmans. Le
nouveau projet de la confrérie adopte les mêmes principes
que ceux du cabinet Nazif : un
marché libre et ouvert au monde. Mais « l’application des
lois régissant cette orientation est différente », tempère
Achraf
Badreddine, Frère musulman et ancien parlementaire.
Il poursuit : « La lecture de notre projet économique
souligne la différence de vision. Nous avons une analyse
différente de l’économie libérale. Un marché libre implique
plutôt d’utiliser les capacités du secteur privé et les
forces internationales pour améliorer la situation du pays.
Et non le contraire ».
L’Egypte s’est en fait tournée vers une politique libérale
dès les années 1970, après une longue période de socialisme.
Le gouvernement contrôlait tous les projets et précisait
même le prix des produits de base. En 1971, la Constitution
a été modifiée pour annoncer le début d’une ère libérale où
l’Etat se contentait d’un rôle de surveillance et le secteur
privé est devenu le pilier de toute activité économique. Ce
libéralisme a pris une plus grande ampleur en 2004 avec
l’arrivée du cabinet Nazif.
« La corruption et le monopole exercé par le lobby d’une
élite d’hommes d’affaires ont apporté des résultats
inverses. Pauvreté, chômage, inégalité dans les revenus …
Une longue liste des symptômes d’un système libérale
handicapé », explique Badreddine.
Or, « notre objectif est de pouvoir mettre en place un
système libéral juste, résume-t-il.
Rôle essentiel au secteur privé
La confrérie énumère les principes de son programme, et en
parallèle, annonce des mécanismes assurant une justice
sociale. Accorder un rôle croissant, voire essentiel au
secteur privé, attirer des investissements étrangers,
développer les exportations, s’ouvrir au monde et respecter
les conventions internationales. Comme le clarifie
Badreddine, il s’agit de lutter
contre les monopoles des entités privées sur les produits
stratégiques, assurer un salaire minimum aux employés, et
même restructurer tout le système des salaires. Bref,
assurer une justice sociale entre les différentes classes de
la société. « La privatisation, par exemple, est un moyen
d’améliorer ou de sauver une
entité publique. C’est une solution ultime à envisager si
les ressources de l’Etat sont incapables de la sauver, et
non une autorisation de vendre toutes les propriétés de
l’Etat », dit Sameh Al-Barqi,
un jeune Frère et expert économique.
Pour ce qui est de l’octroi des terrains, dossier épineux
ces jours-ci, Al-Barqi assure
que la confrérie plaide plutôt pour le système BOT (Build,
Operate, Transfer). « Nous ne
sommes pas obligés de vendre nos richesses. C’est un autre
point de différence ».
La confrérie a précisé des mécanismes afin de réaliser ces
objectifs. Entre autres, des privilèges — subventions et
exemptions douanières — pour les investisseurs visant des
projets lourds et ayant recours à une forte main-d’œuvre. Et
non des projets de service qui n’offrent aucune valeur
ajoutée au pays. Il faut aussi rééchelonner le système des
taxes afin d’imposer des taxes progressives, car « les
riches doivent payer un peu plus pour augmenter les
ressources des pays », comme l’évoque le programme.
Pas si original
Quand les membres de la confrérie parlent de leur programme
économique, il n’apparaît pas si original. Or, comme le
révèle Sameh Al-Barqi,
un des jeunes Frères et expert économique, il y a une
ambiguïté sur quelques articles. « Elle provient peut-être
d’un manque d’expérience, de formulation économique loin de
la charia et d’un manque d’expérience dans le domaine de
l’économie », dit-il.
Samer Soliman, professeur d’économie à l’Université
américaine du Caire (AUC), va plus loin que
Barqi. Selon lui, cette
ambiguïté est due en premier lieu à une division au sein des
Frères musulmans sur leur vision économique. « La confrérie
compte des classes moyennes et des hommes d’affaires. Chacun
des deux groupes a des intérêts différents qu’il essaye de
protéger et de refléter dans le programme économique »,
explique-t-il.
Il appuie ses propos. « Si vous revenez à leurs vieilles
discussions au Parlement, vous réaliserez tout de suite ce
conflit dans les intérêts. Une frange soutenait la nécessité
de l’intervention de l’Etat pour imposer des restrictions à
la tarification des produits de base, alors que l’autre
appelait à l’urgence de se débarrasser des deux tiers des
fonctionnaires. Quel amalgame entre une vision socialiste et
une autre libérale ! », s’exclame
Soliman en affirmant que ce conflit va prendre une forte
dimension, car après la révolution du 25 janvier, tous les
partis bannis sous Moubarak gagneront en importance dans la
société. « Les discussions formelles lèveront le voile sur
de telles contradictions », affirme-t-il. Et d’ajouter : «
La justice sociale est devenue un mot-clé en ce moment, vu
les demandes de tous les secteurs de la société. Mais quand
les intérêts personnels prendront le dessus, tout changera
».
Les opinions contradictoires dans la confrérie appuient une
telle vision. Un homme d’affaires, membre qui garde
l’anonymat, a ainsi critiqué les nouveaux fardeaux, telles
que les taxes progressives sur les hommes d’affaires. « Ni
les hommes d’affaires ni les classes moyennes ne doivent
être le bouc émissaire de la corruption », conclut-il. Des
divisions plus radicales dans la vision économique de la
confrérie ne sont pas loin.
Névine
Kamel