Al-Ahram Hebdo, Dossier |

  Président
Labib Al-Sebai
 
Rédacteur en chef
Hicham Mourad

Nos Archives

 Semaine du 13 au 19 avril 2011, numéro 866

 

Contactez-nous Version imprimable

  Une

  Evénement

  Enquête

  Dossier

  Nulle part ailleurs

  Egypte

  Economie

  Monde Arabe

  Afrique

  Monde

  Opinion

  Société

  Arts

  Livres

  Littérature

  Visages

  Environnement

  Voyages

  Sports

  Vie mondaine

  Echangez, écrivez



  AGENDA


Publicité
Abonnement
 
Dossier

Diplomatie . Après la révolution du 25 janvier, l’Egypte revoit sa politique étrangère et tente de se libérer de contraintes de l’ancien régime, surtout vis-à-vis de l’Afrique, de l’Iran et d’Israël. Etat des lieux.

Le Caire veut retrouver son influence

C’est le 9 mars que l’ambassadeur Nabil Al-Arabi a été nommé ministre des Affaires étrangères, suite à la forte pression des jeunes de la révolution. Ils voulaient déloger Ahmad Aboul-Gheit, son prédécesseur, considéré comme l’un des hommes de l’ancien président Moubarak. Depuis cette date, des messages clairs affirment que la diplomatie égyptienne va modifier l’ensemble de ses orientations.

Il est vrai que ce changement politique est le fruit naturel de la révolution, qui a rendu respect et dignité au pays. Mais l’Egypte avait aussi perdu son rôle régional et international ces dernières années. Ce qui rend cette transformation inévitable. Ainsi, une certaine satisfaction règne dans la rue égyptienne avec cette nomination qui devrait redonner au pays son poids régional et international. Une satisfaction qui suscite cependant de la crainte chez les Israéliens, comme l’indiquent ces quelques lignes parues dans la presse israélienne : « Il a des positions clairement anti-israéliennes qui suscitent l’indignation des responsables de l’Etat juif, qui ont dénoncé aussi son manque total d’objectivité ». Elle est même allée plus loin en l’accusant d’être antisémite. Peu importe. Pour les observateurs, le changement de la diplomatie égyptienne est une nécessité face aux évolutions politiques que vit la région arabe en ce moment. L’Egypte, qui ne s’intéressait avant la révolution qu’aux relations avec les pays occidentaux et à leur tête les Etats-Unis, cherche maintenant à ouvrir de nouveaux canaux avec le reste du monde. Cette absence passée a encouragé d’autres pays à subtiliser le rôle de l’Egypte dans plusieurs domaines. « On ne possédait pas de vision claire et nette de ce qui se passe autour de nous, notre politique était caractérisée par la réaction et non par l’initiative », explique le nouveau ministre Nabil Al-Arabi, lors d’une première apparition à la télévision. Une vision qui a été appliquée par les dirigeants avec le Soudan, comme première visite officielle post-révolution. Ce pays, qui partage avec elle le bassin du Nil, a été ignoré par l’ancien régime pendant des années, même lors de la division du Soudan. Cet écart, qui remonte aux années 1970, a atteint son paroxysme lors de l’attentat contre le président Moubarak en 1995 à Addis-Abeba, pendant le sommet africain. L’attentat a, en effet, été organisé par des islamistes soudanais. Cet épisode a poussé Moubarak à pratiquement boycotter les pays africains et, par la suite, donner la chance aux Etats-Unis et aux Israéliens d’exploiter les conflits du Darfour et la signature de l’accord de Nivacha en 2005, qui a mené à la division du pays, dont la plupart des citoyens vouent une mémoire fidèle envers l’Egypte. Cela est dû aux séjours de milliers de jeunes Soudanais dans le pays, où ils ont effectué leurs études universitaires. Le Soudan a aussi proposé plusieurs fois la possibilité d’exploiter ses terres fertiles pour cultiver du blé destiné à l’Egypte, de manière à parvenir à l’autosuffisance. Mais personne ne s’y est intéressé et l’Egypte s’est dirigée vers les Etats-Unis pour importer son blé.

D’autres pays ont profité du vide et ont conclu des accords avec le Soudan. Le pire est que les investissements égyptiens au Soudan occupent la 3e place, et les échanges commerciaux entre les deux pays en 2010 ne dépassaient pas les 622 millions de dollars, ce qui représente un chiffre très faible si l’on prend en considération le faible coût du transport des produits entre les deux pays. Cette visite, qui était un signe de réconciliation entre les deux pays, a apporté ses fruits au niveau diplomatique. « On s’est mis d’accord pour négocier ensemble, afin que l’Egypte reprenne son rôle africain et régional à travers une vision commune », a déclaré Ali Karti, ministre soudanais des Affaires étrangères. Pour sa part, Menha Bakhoum, la porte-parole du ministère des Affaires étrangères, a déclaré que cette visite, où participaient 8 ministres, reflète l’intérêt égyptien de soutenir les frères soudanais au Nord et au Sud du pays. D’après le premier ministre Essam Charaf, cette visite avait pour but d’activer les anciens accords, comme la création d’une banque égypto-soudanaise et l’accord d’échange de marchandises exemptes de tarifs douaniers. Mais malgré la réussite palpable de cette visite, il apparaît que quelqu’une force cherche à troubler les relations bilatérales entre les deux pays. Deux jours après, la compagnie EgyptAir annule, en effet, la ligne Le Caire-Juba au Sud-Soudan, sous prétexte de la faible rentabilité. Une décision qui a choqué les Soudanais et qui a tout de suite été annulée par Essam Charaf, le premier ministre. « Cette visite représente le début du parcours, afin que l’Egypte reprenne son rôle africain », exprime Moustapha Al-Fiqi, l’ancien chef des relations extérieures au Parlement. C’est le premier pas vers l’Afrique, mais ce chemin comporte bien des embûches qui menacent peut-être le quota égyptien des eaux du Nil après la signature par des pays du bassin du Nil d’un accord pour la construction d’un barrage qui affectera notre part historique dans l’eau du Nil (voir Encadré page 5). Une réalité est étonnante et peut choquer : la majorité des Egyptiens ne connaît pas les noms des pays qui forment le bassin du Nil. Ainsi, bouder l’Afrique a même affecté le peuple qui n’accordait aucun intérêt à ce continent.

L’Egypte, un contrepoids

En plus des relations africaines, des signes montrent le début d’une reprise prochaine des relations égypto-iraniennes. « Après la révolution de 1979, l’Iran voulait élargir son rôle dans la région, et c’est son droit, mais notre faute c’était de considérer ce pays comme notre ennemi », explique Nabil Al-Arabi. Le problème est, comme l’analyse le penseur Mohamad Sélim Al-Awa, qu’il faut avouer que l’Iran possède un vrai poids dans la région dû à sa situation géographique et stratégique, même avant l’apparition de l’islam.

D’après Al-Awa, l’Egypte représente un contre-poids grâce à ses missions éducatives et son rôle principal dans le développement de la plupart des pays du Golfe à travers sa main-d’œuvre. A ceux qui cultivent la psychose iranienne sous prétexte que Téhéran peut exporter sa révolution islamique, qu’il soutient le terrorisme et qu’il peut menacer l’harmonie islamiques entre chiites et sunnites en Egypte, il affirme : « Je trouve que cela est un peu exagéré, car chaque révolution a des traits qui différent d’un pays à l’autre. Aussi, il ne faut pas oublier que l’Iran a refusé d’accueillir des personnes condamnées dans des procès terroristes par des tribunaux égyptiens, et il les a expulsés hors de ses frontières. C’est vrai que certaines personnalités extrémistes sont parfois invitées à participer à des colloques et des festivals en Iran, mais ce n’est pas au niveau officiel ».

Mais les craintes égyptiennes remontent à l’assassinat du président Anouar Al-Sadate en 1981, et avec l’Iran, qui a donné le nom de Khaled Al-Eslambouli, l’auteur de cet assassinat, à l’une des principales rues de Téhéran. Malgré les protestations de l’Egypte, le nom n’a que récemment été changé par celui de Mohamad Al-Dorra, un enfant palestinien victime du feu d’Israël. L’Iran a néanmoins gardé une fresque dans la rue au nom d’Eslambouli. Il y a aussi une autre crainte égyptienne : durant les premiers jours de la révolution du 25 janvier, Ali Khamenie a affirmé, dans le sermon du vendredi en langue arabe, que « ce qui se passe en Tunisie et en Egypte est une extension de la révolution islamique iranienne ». Deux jours après, Hassan Nassrallah, le chef du Hezbollah au Liban et considéré comme l’homme de Téhéran, a déclaré que tous les équipements du Hezbollah étaient à la disposition du peuple égyptien.

Malgré toutes ces craintes, Moustapha Al-Fiqi pense qu’il est important et nécessaire d’entretenir des relations avec l’Iran. « Avoir des relations diplomatiques ne veut pas dire qu’il est question d’amour. Il ne faut pas ignorer le poids régional de l’Iran. Je trouve que quand l’on craint un pays, il faut ouvrir avec lui des canaux de dialogue et ne pas le boycotter ». Al-Fiqi donne l’exemple des Emirats arabes unis en conflit avec l’Iran à propos de leur droit sur trois îles. Malgré cela, cet Etat entretient des relations diplomatiques avec l’Iran. A noter que seuls les Etats-Unis et Israël n’ont pas d’ambassades dans ce pays, cela explique peut-être la résistance de l’Egypte à avoir des relations avec lui. Pour sa part, l’Iran s’est félicité de l’initiative égyptienne. Ali Akbar Salehi, ministre iranien des Affaires étrangères, a affirmé que son pays est prêt à ouvrir une nouvelle page avec l’Egypte. Il a expliqué que cette relation pourra stabiliser toute la région.

Malentendu

Cette région, qui souffre essentiellement du conflit l’opposant à Israël, a aussi été touchée par le changement de la diplomatie égyptienne. Pratiquement, toutes les factions palestiniennes se sont rendues la semaine dernière en Egypte, notamment le président de l’Autorité palestinienne, Abou-Mazen. Nabil Al-Arabi, le nouveau ministre égyptien des Affaires étrangères, a déclaré qu’il n’avait pas approuvé la position de l’Egypte lors de l’opération israélienne « Plomb durci », lorsqu’elle a refusé d’ouvrir sa frontière avec Gaza. L’opération s’est soldée par des centaines de morts, en majorité des civils, dont plusieurs centaines de femmes et d’enfants.

Al-Arabi a expliqué que le problème remonte au malentendu suscité par les accords de Camp David qui exigent, dans l’une des clauses, qu’Israël engage un processus de paix avec les pays qui aspirent à cette paix. L’affirmation de Nabil Al-Arabi sur la nécessité de l’engagement d’Israël à respecter tous les accords signés vient confirmer la ligne politique égyptienne, à savoir le respect du processus de paix. A rappeler cependant que Le Caire n’a pas appliqué tous les points de ces accords, ce qui a bénéficié à Israël. «  On a le droit de demander le prix du pétrole dont Israël a profité pendant son occupation du Sinaï. Et il existe des études sur ce sujet, mais personne ne les a appliquées », dit-il. Mais pour mieux comprendre les options de la diplomatie égyptienne dans les prochains jours, il faut savoir que Nabil Al-Arabi, né en mars 1935 et titulaire d’un doctorat en droit aux Etats-Unis, a été le conseiller juridique de la délégation égyptienne lors des négociations pour la signature de l’accord de paix en 1978. Ainsi, il connaît bien les détails, les tenants et aboutissants de cet accord. De même, Al-Arabi était dans la délégation égyptienne lors du contentieux sur Taba, réglé par la justice internationale en faveur de l’Egypte. Il a été aussi le représentant de l’Egypte aux Nations-Unies à Genève. Nabil Al-Arabi a de même été juriste à la Cour Internationale de Justice à La Haye et membre du comité des Nations-Unies pour le droit international. Cela démontre à quel point il connaît parfaitement le dossier.

Malgré toutes ces déclarations, les relations égypto-israéliennes restent stables, mais les Israéliens tentent de toute leur force de profiter de la situation en exprimant leur crainte aux Etats-Unis pour en tirer le maximum de bénéfices. Aussi les relations égypto-américaines semblent mystérieuses, surtout avec la position du président Obama au début de la révolution qui soutenait son ami Moubarak avant de changer d’avis. Une maladresse qui a mené les jeunes de la révolution à refuser de rencontrer Hillary Clinton lors de sa visite en Egypte le mois dernier. « Il est difficile d’entrer en conflit avec Israël actuellement, car l’Egypte est en priorité occupée à reconstruire son Etat », explique Yousri Al-Gharabawi, chercheur au Centre des Etudes  Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram. Il estime qu’il faut profiter de l’occasion et trouver un équilibre entre le rôle culturel et politique de l’Egypte, tout en prenant en considération la puissance grandissante de la Turquie, de l’Arabie saoudite et du Qatar. « Je trouve même que la révolution va aider le candidat égyptien pour les élections à la Ligue arabe. Les pays arabes nous regardent avec admiration », ajoute Yousri. Il trouve nécessaire d’établir des projets sur le long terme, pour redonner sa place à l’Egypte avec une priorité dans la région arabe, puis africaine, et enfin occidentale. Le penseur Fahmi Howeidi estime, de son côté, qu’il est encore tôt pour parler de nouvelle diplomatie égyptienne. « Malgré tout, je crois qu’une nouvelle ère diplomatique va commencer après une longue récession », dit-il.

Chérine Abdel-Azim

Retour au sommaire

 




Equipe du journal électronique:
Equipe éditoriale: Névine Kamel- Howaïda Salah -Thérèse Joseph
Assistant technique: Karim Farouk
Webmaster: Samah Ziad

Droits de reproduction et de diffusion réservés. © AL-AHRAM Hebdo
Usage strictement personnel.
L'utilisateur du site reconnaît avoir pris connaissance de la Licence

de droits d'usage, en accepter et en respecter les dispositions.