Diplomatie .
Après la révolution du 25 janvier, l’Egypte revoit sa
politique étrangère et tente de se libérer de contraintes de
l’ancien régime, surtout vis-à-vis de l’Afrique, de l’Iran
et d’Israël.
Etat
des lieux.
Le
Caire veut
retrouver son influence
C’est
le 9 mars que l’ambassadeur Nabil Al-Arabi
a été nommé ministre des Affaires étrangères, suite à la
forte pression des jeunes de la révolution. Ils voulaient
déloger Ahmad Aboul-Gheit,
son prédécesseur, considéré comme l’un des hommes de
l’ancien président Moubarak. Depuis cette date, des messages
clairs affirment que la diplomatie égyptienne va modifier
l’ensemble de ses orientations.
Il est vrai que ce changement politique est le fruit naturel
de la révolution, qui a rendu respect et dignité au pays.
Mais l’Egypte avait aussi perdu son rôle régional et
international ces dernières années. Ce qui rend cette
transformation inévitable. Ainsi, une certaine satisfaction
règne dans la rue égyptienne avec cette nomination qui
devrait redonner au pays son poids régional et
international. Une satisfaction qui suscite cependant de la
crainte chez les Israéliens, comme l’indiquent ces quelques
lignes parues dans la presse israélienne : « Il a des
positions clairement anti-israéliennes qui suscitent
l’indignation des responsables de l’Etat juif, qui ont
dénoncé aussi son manque total d’objectivité ». Elle est
même allée plus loin en l’accusant d’être antisémite. Peu
importe. Pour les observateurs, le changement de la
diplomatie égyptienne est une nécessité face aux évolutions
politiques que vit la région arabe en ce moment. L’Egypte,
qui ne s’intéressait avant la révolution qu’aux relations
avec les pays occidentaux et à leur tête les Etats-Unis,
cherche maintenant à ouvrir de nouveaux canaux avec le reste
du monde. Cette absence passée a encouragé d’autres pays à
subtiliser le rôle de l’Egypte dans plusieurs domaines. « On
ne possédait pas de vision claire et nette de ce qui se
passe autour de nous, notre politique était caractérisée par
la réaction et non par l’initiative », explique le nouveau
ministre Nabil Al-Arabi, lors
d’une première apparition à la télévision. Une vision qui a
été appliquée par les dirigeants avec le Soudan, comme
première visite officielle post-révolution. Ce pays, qui
partage avec elle le bassin du Nil, a été ignoré par
l’ancien régime pendant des années, même lors de la division
du Soudan. Cet écart, qui remonte aux années 1970, a atteint
son paroxysme lors de l’attentat contre le président
Moubarak en 1995 à Addis-Abeba, pendant le sommet africain.
L’attentat a, en effet, été organisé par des islamistes
soudanais. Cet épisode a poussé Moubarak à pratiquement
boycotter les pays africains et, par la suite, donner la
chance aux Etats-Unis et aux Israéliens d’exploiter les
conflits du Darfour et la signature de l’accord de
Nivacha en 2005,
qui a mené à la division du pays,
dont la plupart des citoyens vouent une mémoire fidèle
envers l’Egypte. Cela est dû aux séjours de milliers de
jeunes Soudanais dans le pays, où ils ont effectué leurs
études universitaires. Le Soudan a aussi proposé plusieurs
fois la possibilité d’exploiter ses terres fertiles pour
cultiver du blé destiné à l’Egypte, de manière à parvenir à
l’autosuffisance. Mais personne ne s’y est intéressé et
l’Egypte s’est dirigée vers les Etats-Unis pour importer son
blé.
D’autres pays ont profité du vide et ont conclu des accords
avec le Soudan. Le pire est que les investissements
égyptiens au Soudan occupent la 3e place, et les échanges
commerciaux entre les deux pays en 2010 ne dépassaient pas
les 622 millions de dollars, ce qui représente un chiffre
très faible si l’on prend en considération le faible coût du
transport des produits entre les deux pays. Cette visite,
qui était un signe de réconciliation entre les deux pays, a
apporté ses fruits au niveau diplomatique. « On s’est mis
d’accord pour négocier ensemble, afin que l’Egypte reprenne
son rôle africain et régional à travers une vision commune
», a déclaré Ali Karti, ministre
soudanais des Affaires étrangères. Pour sa part,
Menha
Bakhoum, la porte-parole du ministère des Affaires
étrangères, a déclaré que cette visite, où participaient 8
ministres, reflète l’intérêt égyptien de soutenir les frères
soudanais au Nord et au Sud du pays. D’après le premier
ministre Essam
Charaf, cette visite avait pour
but d’activer les anciens accords, comme la création d’une
banque égypto-soudanaise et l’accord d’échange de
marchandises exemptes de tarifs douaniers. Mais malgré la
réussite palpable de cette visite, il apparaît que
quelqu’une force cherche à troubler les relations
bilatérales entre les deux pays. Deux jours après, la
compagnie EgyptAir annule, en
effet, la ligne Le Caire-Juba au Sud-Soudan, sous prétexte
de la faible rentabilité. Une décision qui a choqué les
Soudanais et qui a tout de suite été annulée par
Essam
Charaf, le premier ministre. « Cette visite
représente le début du parcours, afin que l’Egypte reprenne
son rôle africain », exprime Moustapha Al-Fiqi,
l’ancien chef des relations extérieures au Parlement. C’est
le premier pas vers l’Afrique, mais ce chemin comporte bien
des embûches qui menacent peut-être le quota égyptien des
eaux du Nil après la signature par des pays du bassin du Nil
d’un accord pour la construction d’un barrage qui affectera
notre part historique dans l’eau du Nil (voir Encadré page
5). Une réalité est étonnante et peut choquer : la majorité
des Egyptiens ne connaît pas les noms des pays qui forment
le bassin du Nil. Ainsi, bouder l’Afrique a même affecté le
peuple qui n’accordait aucun intérêt à ce continent.
L’Egypte, un contrepoids
En
plus des relations africaines, des signes montrent le début
d’une reprise prochaine des relations égypto-iraniennes. «
Après la révolution de 1979, l’Iran voulait élargir son rôle
dans la région, et c’est son droit, mais notre faute c’était
de considérer ce pays comme notre ennemi », explique Nabil
Al-Arabi. Le problème est, comme
l’analyse le penseur Mohamad Sélim
Al-Awa, qu’il faut avouer que l’Iran possède un vrai poids
dans la région dû à sa situation géographique et
stratégique, même avant l’apparition de l’islam.
D’après Al-Awa, l’Egypte représente un
contre-poids grâce à ses missions éducatives et son
rôle principal dans le développement de la plupart des pays
du Golfe à travers sa main-d’œuvre. A ceux qui cultivent la
psychose iranienne sous prétexte que Téhéran peut exporter
sa révolution islamique, qu’il soutient le terrorisme et
qu’il peut menacer l’harmonie islamiques entre chiites et
sunnites en Egypte, il affirme : « Je trouve que cela est un
peu exagéré, car chaque révolution a des traits qui
différent d’un pays à l’autre. Aussi, il ne faut pas oublier
que l’Iran a refusé d’accueillir des personnes condamnées
dans des procès terroristes par des tribunaux égyptiens, et
il les a expulsés hors de ses frontières. C’est vrai que
certaines personnalités extrémistes sont parfois invitées à
participer à des colloques et des festivals en Iran, mais ce
n’est pas au niveau officiel ».
Mais les craintes égyptiennes remontent à l’assassinat du
président Anouar Al-Sadate en 1981, et avec l’Iran, qui a
donné le nom de Khaled Al-Eslambouli,
l’auteur de cet assassinat, à l’une des principales rues de
Téhéran. Malgré les protestations de l’Egypte, le nom n’a
que récemment été changé par celui de Mohamad Al-Dorra,
un enfant palestinien victime du feu d’Israël. L’Iran a
néanmoins gardé une fresque dans la rue au nom d’Eslambouli.
Il y a aussi une autre crainte égyptienne : durant les
premiers jours de la révolution du 25 janvier, Ali
Khamenie a affirmé, dans le
sermon du vendredi en langue arabe, que « ce qui se passe en
Tunisie et en Egypte est une extension de la révolution
islamique iranienne ». Deux jours après, Hassan
Nassrallah, le chef du Hezbollah
au Liban et considéré comme l’homme de Téhéran, a déclaré
que tous les équipements du Hezbollah étaient à la
disposition du peuple égyptien.
Malgré toutes ces craintes, Moustapha Al-Fiqi
pense qu’il est important et nécessaire d’entretenir des
relations avec l’Iran. « Avoir des relations diplomatiques
ne veut pas dire qu’il est question d’amour. Il ne faut pas
ignorer le poids régional de l’Iran. Je trouve que quand
l’on craint un pays, il faut ouvrir avec lui des canaux de
dialogue et ne pas le boycotter ». Al-Fiqi
donne l’exemple des Emirats arabes unis en conflit avec
l’Iran à propos de leur droit sur trois îles. Malgré cela,
cet Etat entretient des relations diplomatiques avec l’Iran.
A noter que seuls les Etats-Unis et Israël n’ont pas
d’ambassades dans ce pays, cela explique peut-être la
résistance de l’Egypte à avoir des relations avec lui. Pour
sa part, l’Iran s’est félicité de l’initiative égyptienne.
Ali Akbar Salehi, ministre
iranien des Affaires étrangères, a affirmé que son pays est
prêt à ouvrir une nouvelle page avec l’Egypte. Il a expliqué
que cette relation pourra stabiliser toute la région.
Malentendu
Cette
région, qui souffre essentiellement du conflit l’opposant à
Israël, a aussi été touchée par le changement de la
diplomatie égyptienne. Pratiquement, toutes les factions
palestiniennes se sont rendues la semaine dernière en
Egypte, notamment le président de l’Autorité palestinienne,
Abou-Mazen. Nabil Al-Arabi,
le nouveau ministre égyptien des Affaires étrangères, a
déclaré qu’il n’avait pas approuvé la position de l’Egypte
lors de l’opération israélienne « Plomb durci », lorsqu’elle
a refusé d’ouvrir sa frontière avec Gaza. L’opération s’est
soldée par des centaines de morts, en majorité des civils,
dont plusieurs centaines de femmes et d’enfants.
Al-Arabi a expliqué que le
problème remonte au malentendu suscité par les accords de
Camp David qui exigent, dans l’une des clauses, qu’Israël
engage un processus de paix avec les pays qui aspirent à
cette paix. L’affirmation de Nabil Al-Arabi
sur la nécessité de l’engagement d’Israël à respecter tous
les accords signés vient confirmer la ligne politique
égyptienne, à savoir le respect du processus de paix. A
rappeler cependant que Le Caire n’a pas appliqué tous les
points de ces accords, ce qui a bénéficié à Israël. «
On a le droit de demander le prix du pétrole dont Israël a
profité pendant son occupation du Sinaï. Et il existe des
études sur ce sujet, mais personne ne les a appliquées »,
dit-il. Mais pour mieux comprendre les options de la
diplomatie égyptienne dans les prochains jours, il faut
savoir que Nabil Al-Arabi, né en
mars 1935 et titulaire d’un doctorat en droit aux
Etats-Unis, a été le conseiller juridique de la délégation
égyptienne lors des négociations pour la signature de
l’accord de paix en 1978. Ainsi, il connaît bien les
détails, les tenants et aboutissants de cet accord. De même,
Al-Arabi était dans la
délégation égyptienne lors du contentieux sur
Taba, réglé par la justice
internationale en faveur de l’Egypte. Il a été aussi le
représentant de l’Egypte aux Nations-Unies à Genève. Nabil
Al-Arabi a de même été juriste à
la Cour Internationale de Justice à La Haye et membre du
comité des Nations-Unies pour le droit international. Cela
démontre à quel point il connaît parfaitement le dossier.
Malgré toutes ces déclarations, les relations
égypto-israéliennes restent stables, mais les Israéliens
tentent de toute leur force de profiter de la situation en
exprimant leur crainte aux Etats-Unis pour en tirer le
maximum de bénéfices. Aussi les relations égypto-américaines
semblent mystérieuses, surtout avec la position du président
Obama au début de la révolution
qui soutenait son ami Moubarak avant de changer d’avis. Une
maladresse qui a mené les jeunes de la révolution à refuser
de rencontrer Hillary Clinton lors de sa visite en Egypte le
mois dernier. « Il est difficile d’entrer en conflit avec
Israël actuellement, car l’Egypte est en priorité occupée à
reconstruire son Etat », explique
Yousri Al-Gharabawi,
chercheur au Centre des Etudes Politiques et
Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram.
Il estime qu’il faut profiter de l’occasion et trouver un
équilibre entre le rôle culturel et politique de l’Egypte,
tout en prenant en considération la puissance grandissante
de la Turquie, de l’Arabie saoudite et du Qatar. « Je trouve
même que la révolution va aider le candidat égyptien pour
les élections à la Ligue arabe. Les pays arabes nous
regardent avec admiration », ajoute
Yousri. Il trouve nécessaire d’établir des projets
sur le long terme, pour redonner sa place à l’Egypte avec
une priorité dans la région arabe, puis africaine, et enfin
occidentale. Le penseur Fahmi
Howeidi estime, de son côté,
qu’il est encore tôt pour parler de nouvelle diplomatie
égyptienne. « Malgré tout, je crois qu’une nouvelle ère
diplomatique va commencer après une longue récession »,
dit-il.
Chérine
Abdel-Azim