Al-Ahram Hebdo,Nulle part ailleurs | De Benghazi à Tripoli ... au Fayoum

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 Semaine du 22 au 29 mars 2011, numéro 863

 

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Nulle part ailleurs

Libye . 72 tribus libyennes vivent au Fayoum, en Egypte. Installés depuis plusieurs décennies, ces immigrés suivent de près la situation de leur pays à travers les écrans de télévision et les téléphones portables. Reportage.

De Benghazi à Tripoli ... au Fayoum

« Allô ! Les Samalloussis ! La situation chez nous en Libye est extrêmement grave. L’armée nous a attaqués tard dans la nuit et a fait feu sur les citoyens, en plus des canons à eau et des bombes lacrymogènes. 90 % des blessés ont perdu la vie après avoir reçu une balle dans la tête ou dans la poitrine. Ceux qui tirent sont des professionnels, ils savent comment tuer. Les murs de la ville sont criblés de balles, les hôpitaux submergés par le nombre de blessés ... Les raids aériens sont intenses ... Nous sommes épuisés, choqués et déprimés ». Ceci est un message que vient de recevoir un cheikh de la tribu des Bani Selim. Une communauté libyenne parmi tant d’autres qui vit dans le gouvernorat du Fayoum à 100 km du Caire.

Même s’ils sont en Egypte depuis des décennies, leur patrie reste la Libye. Un nom qui tire ses origines d’une tribu berbère nommée Libou et qui a, plus tard, donné le mot grec Libyé, un vaste territoire de 1,75 milliard de km2.

Ici, dans le village d’Etsa, et depuis le déclenchement de la révolution libyenne le 11 février, l’ambiance est électrique. Les habitants échangent des appels téléphoniques avec leurs compatriotes pour en savoir plus sur la situation là-bas. Ils suivent les événements sur les écrans de télévision. « Les 6 millions de Libyens, dont 20 % d’immigrés, ont tous une mine triste et déprimée. Nous envions les Egyptiens pour leur réussite », lance Haggar, un membre de la tribu des Samalloussis.

C’est à travers les coups de fil qu’ils apprennent de leurs cousins ou amis la situation actuelle dans les territoires libyens.

Comme en Libye ...

Dans ce village du Fayoum, 72 tribus et clans libyens ont choisi de s’installer. Situé au sud-ouest du Caire, ce petit village est devenu leur propre oasis. Les noms des tribus sont Bani Selim, Al-Adnani, Bani Hilal, Warfala, Zawya, Toubou, Touareg ou encore Achraf.

Ces tribus qui résidaient à Benghazi, Al-Baida, Derna et Tobrouk ont émigré en Egypte en 1942, après la famine qui a secoué le pays sous l’occupation italienne pendant la seconde guerre mondiale.

Aujourd’hui, le nombre total de tribus et de clans libyens qui vivent en Egypte s’élève à environ 300, soit 250 000 personnes dont la grande majorité possède la double nationalité égypto-libyenne. Ces Egyptiens de Libye se concentrent principalement dans les régions de Halayeb et Chalatine, à Salloum (à la frontière avec la Libye), à Alexandrie, dans le Sinaï, à Marsa Matrouh et au Fayoum. D’autres tribus ayant quitté leur pays natal ont choisi de se diriger vers la Tunisie, le Tchad ou le Niger, le long des frontières sud de la Libye.

Au village d’Etsa au Fayoum, on a l’impression de faire un voyage dans le temps et dans l’espace. Ici, ces tribus qui se sont installées depuis de longues années n’ont presque rien en commun avec les habitants des autres villages d’Egypte. Dans ces tribus, les mœurs et les traditions libyennes font la loi.

De loin, et en s’approchant du dawwar (la maison de famille) des Samalloussis, on entend des chants patriotiques libyens émanant d’un poste de radio. L’accueil est chaleureux : les invités s’installent dans un petit salon où de confortables poufs sont disposés à même le sol. Des verres de thé à la menthe et de café turc sont servis. Les hommes portent les habits traditionnels libyens et circulent dans le dawwar avec leurs djellabas ou serwals libyens avec un turban blanc sur la tête. Les femmes, quant à elles, restent de l’autre côté de la maison. Elles n’ont pas le droit d’assister aux réunions de famille et ont leur propre harem dans la maison, loin des hommes. Les enfants sont là à écouter attentivement les discussions politiques qui tournent autour de la situation en Libye.

Mohamed, un petit Samalloussi âgé de 8 ans, impressionne par ses connaissances en politique. Ce garçon courageux attrape un bout de papier et répète d’un ton déterminé, comme s’il était dans une manifestation : « Gloire aux martyrs libyens ! Le peuple veut faire tomber le régime et mettre fin à la corruption ! Mort à la tyrannie et à l’injustice ! ». Il entonne ensuite des chants, accompagné de ses cousins : « Dieu, Allah ... Muammar est l’ennemi d’Allah ».

Ne pouvant pas être avec ses compatriotes sur le terrain, ce petit Samalloussi est parti au Caire avec son père pour manifester devant le siège de la Ligue arabe.

Sa famille, qui possède aussi la nationalité égyptienne, a également participé aux manifestations du 25 janvier sur la place Tahrir. Mohamad et ses cousins répétaient, avec les jeunes manifestants, les mêmes slogans. Un enthousiasme qui les pousse à agir et à encourager leurs cousins en Libye afin qu’ils ne baissent pas les bras. Ils sont conscients que les révolutionnaires sont en train de payer de leur vie la liberté de la Libye.

Les habitants d’Etsa n’hésitent pas à faire les 130 km qui les séparent du Caire quatre ou cinq fois par semaine. Ils se rendent devant l’ambassade libyenne, la Ligue arabe ou le ministère des Affaires étrangères. Ils réclament les mêmes droits scandés lors de la révolution tunisienne et celle égyptienne : liberté, démocratie, respect des droits de l’homme, justice sociale, répartition équitable des richesses, fin de la corruption ...

Entouré de ses cousins, un jeune dénonce le silence des pays arabes et s’oppose à l’usage de la force contre les civils en Libye. A l’entrée du village, des pancartes nous accueillent portant comme slogans : « Honte à tous les tyrans et ceux qui tirent sur leur peuple ! Kadhafi, le sang des martyrs ne coulera pas en vain ! Nous sommes tous unis et lutterons jusqu’au bout pour que ce régime parte ! ».

Aider comme on peut

Plusieurs personnes s’occupent des donations et des convois qui se dirigeront vers la Libye. Yassine Samalloussi et sa femme, Hoda, membre de la même tribu, viennent d’organiser des convois chargés de couvertures, de produits alimentaires, de médicaments et d’équipements médicaux. « Le peuple veut faire tomber le colonel », répète Yassine Samalloussi. « Nous acceptons toutes sortes de donations. C’est le moindre soutien qu’on peut offrir à nos frères en Libye qui sont massacrés jour et nuit », affirme le chef des Samalloussis.

« Khadafi a perdu sa légitimité le jour où il a opté pour la violence. Nous n’hésiterons pas à soutenir nos frères jusqu’à la chute de cette tyrannie », insiste-t-il.

Dans ce village, un sentiment d’injustice règne. « Toutes les richesses de la Libye ont été volées. Nos frères en Libye vivent dans des conditions lamentables et tous les services fondamentaux sont absents », lance Maher Ezzat, employé de 55 ans et membre de la tribu des Senoussi.

Les membres de cette tribu qui sont restés en Libye se concentrent dans le Djebel Al-Gharbi (les montagnes de l’ouest). Il s’agit de l’une des régions les plus pauvres du pays. « Kadhafi n’a rien fait pour le développement du pays. Nous ne savons pas où sont passés les dollars du pétrole. La plupart des gens sont au chômage. Mon cousin a fait construire sa maison en 1984 et il n’a toujours pas d’eau potable chez lui », dit Maher d’un ton furieux.

« La plupart des villes libyennes sont négligées et privées de services. A l’exception de Syrte, ville natale de Kadhafi, qui jouit de tous les privilèges et ressemble aux villes d’Europe », se révolte Maher.

Le docteur Fawzi Soliman, membre de la tribu des Romhi et chercheur à l’Université du Fayoum, prend la parole lors d’une réunion familiale sur la situation économique en Libye : « En Libye, les citoyens qui tombent malades et qui n’ont pas les moyens n’ont d’autre sort que de mourir. Seuls ceux qui le peuvent partent pour la Syrie ou la Tunisie pour être soignés ».

Divisions

La différence d’opinions qui divise le peuple libyen en ce moment se ressent aussi parmi les membres des tribus libyennes du Fayoum. Dans ce village, une seule tribu portant le nom de Kadhadfas profite de nombreux privilèges. C’est la tribu de la famille du leader libyen. Ce dernier donne à chaque famille qui appartient à cette tribu et vivant au Fayoum une somme mensuelle de 6 000 L.E. comme indemnité, affirme le docteur Fawzi. Une injustice qui suscite la colère des membres des autres tribus. Ces derniers voient dans les Kadhadfas les symboles d’un régime opprimant. Ce qui rend la vie dure aux Kadhadfas qui habitent au Fayoum.

Nora Kadhafi, une femme qui appartient à la tribu du colonel Muammar Kadhafi, refuse de parler lorsqu’on lui demande comment elle perçoit la situation en Libye. Elle quitte la pièce en silence et emmène son fils avec elle. Son mari, Amer, appartient à une autre tribu, les Warfala, la plus grande en nombre. Leurs proches sont installés à Benghazi, dans l’est du pays où se trouve le foyer de la révolte. La maison de Amer et Nora est divisée entre souteneurs et opposants du leader libyen. A chaque fois qu’on aborde le sujet, un conflit émerge.

Pourtant ici, on ne cesse de parler politique. Les habitants ne peuvent pas s’empêcher de faire la comparaison entre les trois révolutions ayant secoué la Tunisie, l’Egypte et la Libye. « En Egypte et en Tunisie, c’est l’injustice sociale qui a poussé les jeunes à se révolter, mais en Libye, le niveau de vie moyen est relativement élevé. Le manque de conscience politique chez les Libyens rend la mission plus dure aux révolutionnaires », explique le docteur Makhlouf, originaire de la ville libyenne Al-Zawya et professeur à l’Université du Fayoum.

Face à de telles hypothèses, les habitants n’ont qu’un seul choix : suivre ce qui se passe dans leur pays dans l’espoir de voir les choses changer le plus vite possible. Mais ce qui les effraie le plus, c’est le temps qui passe et qui met de plus en plus en danger la vie de leurs compatriotes.

Manar Attiya

 




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