Droits de l’Homme
.
Acclamés comme défenseurs de la révolution, les militaires
sont pointés du doigt par des citoyens se plaignant de subir
des actes de torture. Ces accusations sont rejetées en bloc
par l’armée.
Une enquête s’impose
Arrestations
arbitraires, tortures, traduction de civils devant des
tribunaux militaires : tels sont les actes dénoncés par
certains manifestants arrêtés par les forces armées.
Plusieurs activistes et militants des droits de l’homme
craignent pour « l’image » de l’institution militaire tant
vénérée par la population.
Sur Facebook et
Youtube, les témoignages
pullulent. Des personnes arrêtées au cours des deux
dernières semaines et fraîchement relâchées, dans leur
majorité de jeunes hommes et femmes, relatent leur supplice
entre les mains de la police militaire. Ils disent avoir été
cruellement battus, électrocutés, parfois sexuellement
abusés et souvent accusés d’être des agents d’Israël ou du
Hamas, dans « une campagne organisée d’intimidation ».
Dans beaucoup de cas, le lieu d’arrestation n’était autre
que le Musée du Caire, en pleine place
Tahrir. D’autres auraient été transférés vers des
bases ou des prisons militaires qu’ils n’ont pas pu
identifier. Des rapports d’ONG indiquent que des fouets et
des bâtons électriques ont été utilisés contre les détenus,
dont des journalistes, des militants des droits de l’homme
et des avocats.
Des « accusations » catégoriquement rejetées par le Conseil
suprême des forces armées. « L’armée reconnaît la légitimité
de la révolution et a affirmé qu’elle n’aura recours en
aucune circonstance à l’usage de la violence contre les
manifestants. Tous les détenus ont été libérés immédiatement
sauf les criminels qui ont été traduits en justice », a
déclaré cette semaine à la presse le général
Hamdi Badine, chef de la police
militaire. Il met en garde contre « des tentatives de semer
la discorde entre l’armée et le peuple » tout en affirmant
que l’armée n’a aucun intérêt à saper la révolution. « Il ne
s’agit que d’allégations et j’appelle ceux qui
prétendent avoir été torturés par
l’armée à déposer immédiatement une plainte en vue d’une
enquête », indique le général. Et d’ajouter que l’Egypte est
signataire de plusieurs conventions internationales
interdisant la torture. « Les forces armées respectent ces
engagements », affirme le général.
Pour leur part, les défenseurs des droits de l’homme ont du
mal à ignorer les récits des personnes abusées. Gamal
Eïd, président du Réseau arabe
pour les droits de l’homme, se base sur les récits de ces
derniers pour conclure que « l’armée menait une campagne
pour en finir avec les manifestations ». « Les autorités
militaires au pouvoir ne peuvent prétendre mettre en route
des réformes tout en jugeant des manifestants pacifiques
devant des tribunaux militaires », regrette-t-il.
« Les autorités militaires se sont publiquement engagées à
créer un climat de liberté et de démocratie, après toutes
ces années marquées par la répression du pouvoir. Elles
doivent désormais traduire leurs paroles en actes directs et
immédiats », a de son côté déclaré Malcolm Smart, directeur
du programme Moyen-Orient et Afrique du Nord d’Amnisty
international.
Le 9 mars, l’armée a décidé d’évacuer la place
Tahrir. Des accrochages ont eu
lieu alors que l’armée démantelait les tentes de quelques
dizaines de manifestants qui y campaient toujours pour une
raison ou une autre. Par la suite, le Conseil suprême
militaire a expliqué qu’il s’agissait de disperser les
manifestations sans aucune intention de s’engager dans des
affrontements avec les manifestants.
Néanmoins, Racha Azab,
journaliste qui avait été détenue sur les lieux « lors d’une
marche pacifique », raconte que les manifestants ont été
pourchassés et battus par la police militaire (aux bérets
rouges) en complicité avec des hommes de main avant d’être
emmenés au musée. « Après que je fus menottée et attachée à
un mur dans le musée, un homme en civil m’a giflée en me
qualifiant de putain. Je lui ai demandé : Vous êtes de la
police ou de l’armée ? ». Il a répliqué en me frappant une
autre fois : « Nous sommes la nouvelle version des forces
anti-émeutes. Croyez-vous que
nous allons livrer le pays à des gamins et des putains comme
vous ? », raconte Racha
Azab, qui ne cache pas son choc
de « constater que l’armée n’est pas différente du régime
despotique de Moubarak ». Elle assure qu’à l’intérieur du
musée, elle a assisté à la « torture brutale par des
officiers de l’armée de centaines de jeunes détenus ».
Face aux multiples témoignages et à leur démenti
systématique, certains militants des droits de l’homme, tel
Négad Al-Boraï,
appellent le Conseil suprême à l’ouverture immédiate d’une
enquête en coopération avec les ONG, afin de couper le
chemin aux éventuelles rumeurs et exagérations. « S’il
s’avère que des militaires ont commis de tels actes, ils
doivent être jugés », demande Al-Boraï,
tout en estimant que la culture du respect des droits de
l’homme prendra beaucoup de temps avant de s’enraciner dans
la société.
Outre la torture, la traduction des civils devant des
tribunaux militaires est également fustigée par les
défenseurs des droits de l’homme. Ceux-ci ne trouvent aucune
excuse qui puisse justifier des procès expéditifs rendant
toute défense impossible. Selon l’Organisation de défense
des manifestants (ONG), au moins 173 personnes seraient
encore détenues par l’armée. Des dizaines ont été déjà
jugées par un tribunal militaire pour « violation du
couvre-feu », « détention d’arme » ou « troubles à l’ordre
public ».
Leurs peines varient entre 6 mois de prison à la prison à
perpétuité (dans les cas de violence armée). La plupart des
personnes arrêtées semblent parties pour 5, 10 ou 15 ans de
prison. Ces verdicts ont été annoncés par la télévision
d’Etat. Vu la nature du procès dont les décisions sont
irrévocables et la défense est très restreinte, il est
impossible de vérifier les accusations attribuées à telle ou
telle personne, surtout que certaines personnes relâchées
ont dit avoir été photographiées avec des armes et des
cocktails molotov qui ne leur
appartenaient pas. « C’est inadmissible même sous l’état
d’urgence et sous prétexte de rétablir l’ordre de juger les
civils devant la justice militaire. Et là, je me demande :
pourquoi les ministres actuellement jugés n’ont-ils pas été
déférés au tribunal militaire ? »,
critique Eïd.
Ragea Omrane, avocate de l’ONG
de défense des manifestants, dénonce le fait que les
arrestations ne soient pas répertoriées et que les familles
des détenus ne soient pas prévenues. « Ceci ne leur permet
pas l’aide d’un avocat », regrette-t-elle. « Actuellement,
nous travaillons avec d’autres ONG pour collecter les
plaintes de toutes les familles qui soupçonnent la détention
de l’un des leurs ou qui n’arrivent pas à rejoindre un
membre détenu. Ces plaintes seront transmises ensuite au
Parquet militaire avec une demande de fournir un avocat à
chaque détenu », affirme Omrane.
Des tentatives du genre ont déjà échoué par le passé, d’où
l’idée d’un effort collectif qui rassemble un maximum d’ONG.
May
Al-Maghrabi