Contre-Révolution .
L’armée est appelée à prendre des mesures pour dissiper le
cauchemar d’une restauration de l’ancien régime.
Un risque à ne pas exclure
«
Notre crédit auprès de vous nous permet de nous attendre à
ce que vous acceptiez nos excuses », lit-on dans un
communiqué diffusé samedi par le Conseil suprême des forces
armées, qui gère les affaires de l’Etat depuis le départ du
président Hosni Moubarak. Ces « excuses » sont destinées aux
manifestants qui avaient été évacués la veille et par la
force de la place Tahrir.
Ces manifestants étaient descendus vendredi par milliers
pour réclamer la démission du cabinet fraîchement composé et
la formation d’un nouveau gouvernement de technocrates. Peu
après minuit, racontent un responsable de sécurité et des
témoins, la police militaire avait encerclé quelques
centaines de manifestants et les ont battus à coups de
matraques et d’armes à électrochocs pour les disperser.
Furieux, les manifestants ont lancé des appels à de nouveaux
rassemblements.
Pour la première fois depuis des décennies, des
personnalités de l’opposition ont été invitées à faire
partie du gouvernement. Le Conseil suprême des forces armées
entend ainsi prouver aux dirigeants de la contestation sa
détermination à mettre en œuvre les réformes démocratiques
promises et à répondre aux revendications de la population.
Cependant, si le gouvernement accueille 11 nouveaux
ministres d’ouverture, plus de la moitié de ses membres ont
servi sous Hosni Moubarak. Pour beaucoup d’observateurs, il
est inacceptable, ne serait-ce qu’au niveau symbolique, de
garder un gouvernement dont le chef, Ahmad Chafiq, a prêté
serment devant le président déchu.
Le ministre de la Justice, Mamdouh Mareï, et celui des
Affaires étrangères, Ahmad Aboul-Gheit, sont parmi les
anciennes figures qui soulèvent le plus d’objections. Le
premier étant considéré comme un symbole de l’empiétement du
pouvoir exécutif sur la sphère judiciaire et le second comme
celui d’une ère de « décadence » pour la diplomatie
égyptienne.
Ces revendications traduisent une inquiétude générale
vis-à-vis des caciques de l’ère révolue qui gardent leurs
postes non seulement au sein du gouvernement mais aussi de
l’appareil sécuritaire, des autorités municipales et des
médias de l’Etat.
Confrontées à la persistance des critiques contre les
anciennes figures du régime toujours en place, les nouvelles
autorités ont voulu donner des gages de rupture avec le
passé …, mais sur un tout autre plan. La publicité donnée à
cette lutte contre la corruption survient sûrement dans ce
contexte. Arrestations, poursuites judiciaires, démissions
et révélations sur des malversations se sont multipliées ces
derniers jours, invoquant la lutte contre la corruption et
les détournements de fonds. Une poursuite qui est allée
jusqu’à demander le gel des avoirs à l’étranger de
l’ex-président et de sa famille.
Si les figures-clés sont passées dans l’ombre, les
structures politiques, sécuritaires et médiatiques de
l’ancien régime, laissées plus ou moins intactes, peuvent
être exploitées par les « barons » du Parti National
Démocrate (PND, du président Moubarak). Ces membres
importants de l’ancien régime seraient en train de monter
leur propre « contre-révolution » pour faire avorter le
processus démocratique naissant et réinstaurer leur pouvoir.
Force est de constater que les symboles de ce parti, son
secrétaire général Safwat Al-Chérif et deux de ses plus
illustres figures (le président du Parlement Fathi Sorour et
le directeur du cabinet présidentiel Zakariya Azmi), ont été
épargnés de cette campagne anti-corruption.
Le danger de ladite « contre-révolution » gagne en
probabilité. D’autant plus que les prochaines élections
législatives devront avoir lieu avant la fin d’une période
transitoire de six mois. Dans un paysage politique formé
d’un PND qui resserre ses rangs, de Frères musulmans qui
attendent de récolter les fruits de la démocratie promise et
d’une opposition laïque très fragmentée, une transition
abrupte peut mener à une reproduction du schéma classique :
« PND versus islamistes ». Cela à l’issue d’élections
entachées, comme cela a été toujours le cas, par la
violence, l’achat de voix et le trucage.
Malgré des démarches positives comme la suppression des deux
chambres du Parlement et du ministère de l’Information qui
assurait la propagande du régime, l’armée égyptienne n’a pas
donné toutes les assurances requises pour prouver ce qu’elle
a à plusieurs reprises affirmé : qu’il n’y aurait « pas de
retour en arrière ». La suppression des très redoutés
services de sûreté d’Etat, la levée de l’état d’urgence, les
changements au sommet des médias officiels, l’appel à la
promulgation d’une nouvelle Constitution, la prolongation de
la transition pour donner du temps à la formation de
nouveaux partis, restent des demandes populaires non
satisfaites.
« Faites-nous confiance », répètent les membres du Conseil
suprême des forces armées dans leurs dialogues avec les
représentants des forces politiques. Un appel auquel
beaucoup semblent prêts à répondre. Mais la situation peut
changer à tout moment, si les militaires traînent à prouver
leurs bonnes intentions ou s’ils multiplient, dans les jours
qui viennent, leurs excuses pour un usage « non prémédité »
de la force envers les opposants.
Chérif Albert