Législatives .
Les
islamistes poursuivent avec confiance leur large percée au
Parlement. Les libéraux, instigateurs de la révolte
populaire, restent divisés et peinent à se faire entendre,
laissant la place au nouveau parti salafiste Al-Nour.
L’échec stratégique des libéraux
La
deuxième phase des élections législatives, à la veille de
l’attaque musclée des forces armées contre les manifestants
de « Occupy Cabinet », en sit-in devant le siège du Conseil
des ministres, confirme les premiers résultats. Le
dépouillement des bulletins de vote s’est déroulé alors que
le sang des jeunes révolutionnaires coulait rue Qasr Al-Aïni
et de nouveau place Tahrir.
Ces
législatives « libres » auxquelles la majorité des
révolutionnaires participent pour la première fois, ont vu
la confirmation de la domination des Frères musulmans et de
la percée des salafistes. Les partis libéraux et les
mouvements issus de la révolution anti-Moubarak sont arrivés
en troisième et quatrième positions, loin derrière les
islamistes.
Le taux
de participation à la deuxième phase des législatives
égyptiennes a été de 67 %, d’après la commission électorale.
Soit un chiffre supérieur à celui de la première phase qui
comprenait notamment Le Caire et Alexandrie.
Le Parti
Liberté et Justice (PLJ), bras politique des Frères
musulmans, qui avait récolté 36,6 % des voix lors de la
première phase, a obtenu 39 % des suffrages dans la deuxième.
Le parti salafiste Al-Nour a, quant à lui, obtenu environ 30
% au scrutin de liste. Le Bloc égyptien (libéraux) et la
Révolution en continu (gauche) auraient obtenu
respectivement 12 % et 3 %. Le reste des votes est disputé
entre l’ancien parti libéral Al-Wafd et un parti islamiste
modéré Al-Wassat.
Sur le
vote uninominal, soit le tiers des sièges, il faudra
attendre le deuxième tour de cette deuxième phase pour
connaître les résultats. Sur les 60 sièges à pourvoir, un
seul candidat a été élu au premier tour. Face au
ras-de-marée islamiste, les libéraux avaient parlé d’une
nouvelle « coordination » : une réorganisation qui leur
permettrait de rallier un plus grand nombre d’électeurs, au
moins pour obtenir le tiers des sièges à l’Assemblée. Mais
pour l’instant, ils semblent encore loin de ce taux de «
blocage ».
Divisé
et mal implanté, le mouvement libéral, grand moteur des
événements ayant poussé au départ de Moubarak, n’a pas
réussi à former un seul front organisé capable de contrer
leurs adversaires. Au-delà de cela, il n’a pas réussi à
traduire son message révolutionnaire en projet politique.
Le
soutien de la rue a échappé au mouvement libéral. Un sondage
de l’institut Gallup du 28 novembre en témoigne. La majorité
des Egyptiens interviewés, qui soutiennent encore les
militaires, n’a pas apprécié les accrochages entre l’armée
et les manifestants à la veille du scrutin. La rue souhaite
avant tout la stabilité et une amélioration tangible des
conditions du quotidien. Les islamistes ont été ainsi perçus
comme un refuge de stabilité sociale et d’aide économique.
Discours
élitiste
La
rue a-t-elle été mal comprise par certains mouvements ? Les
libéraux n’ont saisi la tendance de la population que trop
tard, à quelques semaines du vote. La grande majorité des
figures du mouvement libéral s’est laissée entraîner dans un
débat voulu par les islamistes sur « la laïcité » de l’Etat
et, au lieu de travailler dans la rue au contact des
électeurs, elles sont restées dans un discours élitiste
pourfendant les déclarations des islamistes. Une
polarisation entre « islamistes » et « non religieux » est
ainsi apparue.
Les
libéraux sont aussi facilement tombés dans le piège de la
diffamation. « Ces apostats qui veulent finir avec la
religion » est, en gros, le message que les islamistes ont
fait passer sur ce mouvement dans cette campagne électorale.
Une campagne où le vote a été qualifié de sectaire dans
certains cas (lire page 5). Des campagnes religieuses ont eu
lieu en violation de la loi tandis qu’aucun responsable
n’est intervenu ni pour remettre les choses en place, ni
pour sanctionner ces actes.
Les
libéraux — nés de la révolution du 25 janvier — n’ont eu
qu’environ 8 mois pour apprendre le jeu électoral. Pareil
pour les salafistes, la grande surprise de ce scrutin post-Moubarak,
qui n’ont que peu d’expérience politique. Mais les libéraux
accusent ces nouveaux « religieux politiciens » de recevoir
des fonds importants des pays du Golfe. Ces derniers
investissent depuis des années dans des œuvres de charité au
sein des régions les plus démunies.
L’armée
serait un autre élément dans cet échec libéral. Des
interrogations se multiplient depuis l’arrivée du Conseil
suprême des forces armées à la tête du pays sur son «
favoritisme » réservé aux islamistes.
Le
printemps arabe a commencé par une révolte des libéraux,
mais son automne porte les fruits des islamistes. Le constat
est peut-être décevant. Mais ce sont les alliances post-électorales
lors de la première séance du Parlement qui dessineront le
nouveau visage de l’Egypte .
Samar
Al-Gamal