Al-Ahram Hebdo, Visages | Habib Bel Hadi, Un militant culturel hors pair

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Abdel-Fattah El Gibali
 
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 Semaine du 14 au 20 décembre 2011, numéro 900

 

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Membre fondateur de la société de production théâtrale et audiovisuelle Familia, et directeur de la salle CinémAfricArt, le Tunisien Habib Bel Hadi est un authentique animateur culturel qui défend la liberté de l’art et de la culture en Tunisie.

Un militant culturel hors pair

Lors du forum Cultures et Politiques organisé par l’Institut Goethe du Caire et la Fondation Al-Mawred, il accueillait son audience avec un grand sourire. A l’instar de la phrase de Descartes : « Je pense donc je suis », il s’est présenté brièvement en disant : « J’adore la vie : je suis un militant culturel ». Le Tunisien Habib Bel Hadi, membre fondateur de la société de production de théâtre et de l’audiovisuel Familia et directeur de la salle CinémAfricArt, résume alors par ces mots toute sa carrière et sa passion. Au forum, il évoque la nouvelle stratégie culturelle qu’il adopte avec d’autres hommes de culture après la révolution, défendant l’indépendance du travail culturel et encourageant les associations de la société civile à y participer. Et ce, durant une phase critique de l’histoire politique de la Tunisie après la victoire du parti islamique Ennahda et l’apparition d’autres courants plus fanatiques. Il plaisante en disant : « Je suis le plus grand islamiste » et sur un ton plus sérieux, « on ne peut pas nier que les artistes et les intellectuels ont le complexe des islamistes. Le courant salafiste n’est pas très imposant en Tunisie. L’histoire d’Ennahda est longue en Tunisie. Le parti a longuement défendu les concepts religieux et a exacerbé chez le peuple le complexe de l’identité. Puis, ses membres se sont alliés aux libéraux et aux démocrates pour devenir une majorité et prendre le chemin vers le pouvoir. Une ruse politique ». Le parti d’Ennahda (proche des Frères musulmans) a remporté beaucoup de voix aux élections législatives en octobre dernier, car les autres partis ne sont pas assez présents sur le terrain et n’adoptent pas les mêmes méthodes de mobilisation. « Jusqu’à présent, le discours du parti Ennahda maintient les valeurs civiles. C’est rare de trouver des allusions directes aux règlements religieux ou aux jugements de la charia. Mais il faut toujours se méfier de leur discours qui peut éventuellement changer », estime Bel Hadi.

En tant qu’animateur culturel, il est toujours conscient du rôle que joue la culture dans l’instauration de la démocratie.  Plus particulièrement après la révolution. Il ne cesse de signaler dans la presse qu’il ne faut pas demander aux partis de penser à la culture et que c’est le rôle des hommes de culture d’imposer leur programme de culture nationale aux partis politiques.  Tâche difficile, sans doute. Mais avec un esprit de militant, une carrière de plus de 25 ans, et une grande confiance en la puissance de la rue, Bel Hadi se sent capable de tout faire.

« Nous avons toujours eu nos problèmes avec le régime sans jamais de vraies confrontations. Par exemple, il y avait des convocations aux commissariats de police, des obstacles qu’on nous dressait par-ci et par-là ». En fait, Bel Hadi ne pensait guère s’opposer au régime d’une manière agressive. Il œuvrait juste à mettre à jour ses productions théâtrales ou cinématographiques et adoptait un discours de critique et de résistance respectable. « J’étais bien protégé par un cercle d’amis artistes, intellectuels et démocrates. Personne n’osait me nuire. De plus, je n’ai jamais été le type de personne qui voulait aller en prison ou subir une humiliation ». Créer un spectacle ou une œuvre audiovisuelle constituait, à ses yeux, une autre stratégie de résistance, une manière d’exister et de faire exister la culture contre vents et marées.

« Bourguiba était un homme épris par le monde artistique et culturel. Il encourageait les artistes et les soutenait. Mais plus tard, il refusait toutes sortes de critique attaquant sa personne. Ben Ali a acheté la loyauté de plusieurs artistes et intellectuels. Malheureusement, beaucoup de personnes ont été traînées dans le jeu du pouvoir et de la politique », déplore-t-il.

Pourtant, il a refusé de faire partie de ces enjeux politiques et continuait à travailler.  « A cette époque, nous estimions que quels que soient la classe sociale, le travail, l’idéologie ou la religion de l’individu, le gouvernement devait lui fournir la protection nécessaire pour s’exprimer librement ». Un concept longtemps défendu au sein de la Ligue des droits de l’homme dont il est membre. « Même sous l’ancien régime, penser à une chose pareille était possible. Mais actuellement, dans cette phase intermédiaire, c’est difficile de le faire », souligne Bel Hadi. Pour lui, les artistes doivent alors s’imposer, se protéger eux-mêmes et défendre leur art et culture.

Le milieu culturel a fasciné Habib Bel Hadi depuis sa tendre enfance. Il éprouvait une grande passion pour le théâtre scolaire et les pièces poétiques et débuta sa carrière en tant que comédien. « J’ai joué dans différentes pièces d’amateurs et de jeunes. Mais quelque temps après, j’ai senti que je n’étais pas fait pour le métier de comédien ou de star. J’étais beaucoup plus attiré par  la gestion et l’organisation culturelles ». Une raison pour laquelle il a étudié le projet de Guide culturel et a exercé, ensuite le travail d’animateur dans plusieurs maisons de culture. Attiré par les idées de gauche, le jeune Bel Hadi rejoint les partis communistes. « J’avais dix-sept ans et j’ai décidé avec mes amis de rejoindre une cellule clandestine de gauche, le Parti de l’ouvrier tunisien. Nous étions encore de jeunes étudiants parrainés par les leaders de ce parti. Mais une fois ces derniers arrêtés et mis en prison, nous ne pouvions rien faire au nom du parti. On a dû attendre leur sortie de prison. Plus tard, je suis devenu membre du Parti communiste tunisien où J’ai organisé plusieurs activités culturelles. J’exerçais aussi le travail culturel à travers les maisons de culture. Mais on a trouvé quelques numéros de la revue du parti communiste Al-Tariq Al-Jadid dans mon bureau et j’ai été renvoyé », raconte-t-il.

Cinq ans de chômage n’ont pas pu éloigner Bel Hadi de la vie culturelle. Il a investi tous ses moyens dans la salle Al-Hamra, voulant la transformer en un espace d’activités culturelles. Mais faute d’argent, il a abandonné son rêve et son projet au profit de Ezzeddine Qanoune. Et Bel Hadi s’est dirigé alors vers les théâtres privés.

Au théâtre Cinémar, il a rencontré Mohamad Driss et Tewfiq Al-Guébali, deux maîtres et leaders du Nouveau Théâtre (théâtre de la résistance) qui collaboraient pour la création d’Ismaïl Pacha. Bel Hadi exerçait pour la première fois le travail de producteur. Le show a remporté un grand succès. « C’est durant ce spectacle que j’ai découvert que la production m’intéressait ».

Les leaders du

Nouveau Théâtre, entre autres Fadhl Jaïbi et Galila Bakar, se réunissaient encore dans d’autres productions et font appel au producteur artistique Bel Hadi. De nombreux shows connaissent un succès immense dans El-Teatro avant la séparation de ses membres. Driss, devenu directeur du théâtre national, continuait à travailler avec Jaïbi et Bel Hadi. « A l’époque on a remarqué le changement de Driss et sa stratégie. Les spectacles n’étaient pas de bonne qualité mais rapportaient de l’argent. J’ai quitté ».

Quelques mois après, Jaïbi et Bakar l’ont suivi. Leur dernier spectacle n’a pas vu le jour au théâtre national. « Rencontrant Jaïbi, je lui ai posé la question : Que te faut-il pour monter ton spectacle ? Il m’a répondu : une table, des chaises, quelques simples éléments. Je connaissais des comédiens qui voulaient jouer gratuitement. Je suis allé au souk et ai acheté les éléments nécessaires. Guébali fournissait la salle de répétition et participait de 20 % à la production. Petit à petit, le décor était prêt, avec quelque peu d’argent, on a pu faire de la musique aussi. Le spectacle Familia a vu le jour ».

La pièce a réussi au point que le ministre de la Culture encourageait ses créateurs à se lancer dans d’autres projets artistiques. Les propositions étaient prêtes. « Mais elles n’ont pas été acceptées parce que nous n’étions pas une vraie compagnie professionnelle. Alors, nous nous sommes mis d’accord pour fonder une compagnie de production théâtrale et audiovisuelle sous le nom de Familia, notre premier spectacle ».

Avec Familia, Bel Hadi s’est intéressé aussi à la production d’une série télévisée. Petit à petit, les courts métrages, les documentaires et les longs métrages garantissaient à la société ses revenus, et donc le lancement d’autres shows théâtraux. « J’ai eu la chance de travailler comme producteur et de ne pas être sous les feux de la rampe. Cela m’a permis d’avoir le temps et l’énergie pour faire d’autres projets ».

Il s’associe à des cinéastes tunisiens pour assurer la réouverture de la salle CinémAfricArt.

Mais quelques mois après la révolution, la salle a été attaquée par des islamistes qui refusaient la projection d’une série de films sur la laïcité. Bel Hadi a subi une forte agression. « Une fois, j’ai perdu la vue pendant quelques secondes. J’ai senti la douleur dans tout le corps et je me suis dit : j’ai rendu visite à Azraël, l’ange de la mort.  Puis, j’ai fait un retour à la vie. C’est une deuxième naissance pour moi. Une forte énergie m’a pris. J’ai beaucoup plus d’enthousiasme et de courage à m’insurger, à manifester et à m’exprimer ».

Malheureusement, la salle, depuis cet incident, ferme ses portes au public. Des pétitions signées par des citoyens ont été soumises aux responsables, revendiquant la réouverture de la salle. Pour sa part, Bel Hadi négociait avec le ministre de la Culture et avec les propriétaires de la salle. Sans être pessimiste, il avoue : « Avant la fin de l’année, si on n’arrive pas à rouvrir la salle et poursuivre nos activités, on sera de nouveau dans la rue pour observer une grève ». A partir de la rue, il acquiert ses forces comme pas mal de Tunisiens, depuis la révolution.

May Sélim

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Jalons

1980 - 1985 : Animateur dans des maisons de culture et des festivals dans différentes régions tunisiennes.

Octobre 1988 : Naissance de son fils aîné.

1992 : Fondation de la société de production théâtrale et audiovisuelle, Familia.

2007 : Ouverture du CinémAfricArt.

Juin 2011 : Attaque du CinémAfricArt. Une deuxième naissance pour Bel Hadi.

 




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