Stéréotypes .
Suite à la publication d’une étude sur l’image de la femme
que véhiculent certaines caricatures, un débat est lancé sur
un possible encadrement de cette pratique. Si les féministes
y sont favorables, les caricaturistes y voient un moyen de
censure.
Rire de tout, même de la femme
Un
revolver à la main, il veut se flinguer en présence de sa
femme qui se met à crier. Elle a peur que le sang salisse le
tapis qu’elle vient de laver !
Autre scène. Autre image. Penchée sur le portable de son
mari, elle fouille dans son répertoire cherchant le numéro
de sa maîtresse alors que son conjoint, tête baissée,
apparaît comme un enfant pris en flagrant délit.
Autre style de femme : avec ses rondeurs, elle manipule son
mari comme s’il était une simple bague à son doigt.
Ces caricatures reflètent l’image de la femme égyptienne :
insouciante, égoïste, fouinarde, autoritaire, insatiable et
superficielle …
Une étude de la faculté de communication révèle que ces
dessins véhiculent une vision sociale péjorative à l’égard
de la femme en général, et de l’épouse en particulier. « Il
existe des stéréotypes sur les femmes que les caricaturistes
tentent de commercialiser. La vision de la majorité est
encore axée sur le corps de la femme et ses rondeurs »,
assure Asmaa Fouad, auteure de l’étude.
Analysant ces dessins parus dans les journaux entre 2004 et
2008, Asmaa constate que les caricaturistes se servent du
sexe faible pour révéler les vices de la société. La femme
est présentée dans ces dessins comme étant la principale
responsable de la dépravation de l’homme.
L’étude
montre que le moyen le plus répandu pour faire rire cherche
le contraste entre un mari maigrichon et sa conjointe obèse.
Un stéréotype qui semble être dominant pour montrer la force
de caractère de la femme et la faiblesse de l’homme. «
L’image de la femme dans la caricature m’a souvent gênée.
Raison pour laquelle j’ai décidé d’effectuer cette étude
afin de changer les mentalités », avance Asmaa Fouad.
Ces caricatures ne cessent de susciter la colère des
activistes qui luttent pour les droits de la femme. Nihad
Aboul-Qomsane, directrice de l’Association égyptienne des
droits de la femme, assure que l’influence de messages aussi
brefs illustrés par des images est considérable sur l’homme
de la rue car les caricatures dépassent les frontières de
l’analphabétisme. « L’accès de la femme à certains
postes-clés est souvent tourné en dérision. Des
caricaturistes ont même traité la grossesse et l’allaitement
pour ridiculiser la femme, la rendant incapable d’exercer la
fonction de juge. Quand on dessine une juge enceinte, on
appuie sur une idée bien ancrée : celle de la femme dont le
rôle principal est d’être une bonne épouse et une bonne
mère. Cela ne va pas de pair avec l’image prestigieuse de la
profession de juge », assure l’activiste. Elle souligne que
les caricaturistes ne se rendent pas compte des conséquences
néfastes de leurs caricatures. L’étude prouve qu’il existe
une certaine dualité entre ce que peuvent croire les
dessinateurs et ce qu’ils dessinent. Indice : presque 90 %
des caricaturistes dans les journaux ont confié qu’ils
respectent énormément la femme !
Pourtant, leurs caricatures reflètent une image négative et
réductrice de la femme. « C’est tout juste pour rigoler »,
avance un caricaturiste. Quant à Amr Sélim, caricaturiste
appartenant à la génération des années 1990, il confie que
cet art se base en principe sur l’exagération. La chose la
plus difficile pour un caricaturiste est de dessiner un
personnage qui n’a pas de défaut. Selon lui, la femme ne
fait donc pas exception aux règles du jeu.
Ce qui rend les choses plus difficiles pour les femmes est
que le métier de caricaturiste est monopolisé par les
hommes. « Il y a très peu de femmes caricaturistes. Leur
nombre ne dépasse pas les doigts d’une main », constate Amr
Sélim.
Problème de génération et de mentalité
Doaa
Sultan est l’une des rares femmes qui a pris la décision de
se lancer dans ce domaine. Pour elle, le périple a été
parsemé d’embûches, surtout au début de sa carrière. « Le
problème est que certaines caricaturistes portent le même
regard vis-à-vis du sexe faible pour la simple raison
qu’elles ont été influencées par tout un héritage machiste
», explique Doaa. Selon elle, il s’agit d’un problème de
génération. Doaa fait partie d’une génération de
caricaturistes ouverts aux nouvelles idées sur la femme. «
Je pense que la génération des années 1960 et 70 a été plus
libérale vis-à-vis de la femme. Les illustrations de Salah
Jahine et Hégazi ont donné une autre image de la femme :
intelligente et active, reflétant ainsi l’ouverture d’esprit
qui dominait pendant cette période. Il suffit de mentionner
que ces deux artistes ont représenté l’Egypte sous l’image
d’une mère dévouée ! Les illustrateurs du magazine Sabah Al-Kheir
continuent à montrer beaucoup de respect aux femmes.
D’ailleurs, au niveau du monde arabe, cette tendance était
évidente. Nagui Al-Aly a illustré la cause palestinienne par
une femme digne et non soumise », explique-t-elle.
« Par contre, la génération des années 1980 et 90 a déformé
l’image de la femme. Dans ces illustrations, la femme est
représentée de façon péjorative comme dans les dessins de
Amr Fahmi et de Moustapha Hussein qui sont les fidèles de
l’école d’Al-Akhbar », dénonce Doaa Sultan.
Tamer, jeune caricaturiste, partage l’avis de Sultan. Il
cite l’exemple du supplément publié par le journal Akhbar
Al-Youm où le logo de la caricature intitulée « Vacances
joyeuses » n’est qu’une femme qui traîne son partenaire par
les cheveux.
L’art de faire rire existe-t-il aux dépens des droits de la
femme ? « C’est une décadence artistique », explique Walid
Taher. Et d’ajouter : « Certains caricaturistes choisissent
le chemin le plus facile en ridiculisant tout ce qui a trait
à la femme ». Il pense qu’il existe des stéréotypes tout
prêts qui se basent sur le contraste entre l’homme et la
femme, la femme obèse, méchante, autoritaire ... « La
nouvelle génération a plus de talent. Elle s’inspire des
conditions politiques, économiques et sociales pour créer
des caricatures en évitant de jouer sur le corps de la femme
», poursuit-il.
Cet art ne cesse de gagner de l’espace, surtout avec la
montée de la presse électronique qui élargit le cercle des
lecteurs. C’est pour cette raison que la féministe Nihad
Aboul-Qomsane réclame que les caricaturistes suivent des
stages sur les droits de l’homme. « Il ne faut pas que les
idées concernant le statut de la femme soient influencées
par les idées rétrogrades des illustrateurs. C’est la
mentalité de toute une société qu’il faut changer », confie
Aboul-Qomsane. « Ces caricaturistes ne réalisent pas que
leurs dessins risquent de donner une image négative de la
femme égyptienne et pourraient entraver son accès à des
postes importants », estime la féministe.
De son côté, la chercheuse Asmaa Fouad propose
l’enseignement de matières, comme l’éthique, aux étudiants
des facultés des beaux-arts et de communications afin
d’éviter toute dérive sur l’image de la femme.
Des propositions qui ne font pas l’unanimité chez les
caricaturistes qui voient dans ce genre de stage « une forme
de censure qui va limiter la liberté d’expression et exercer
une pression sur les artistes dont le droit à la créativité
doit demeurer intouchable », conclut Taher .
Dina
Darwich |