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 Semaine du 29 septembre au 5 octobre 2010, numéro 838

 

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Le nom du Turc Faruk Turunz est synonyme d’authenticité dans la fabrication du luth oriental. Sans être musicien, il se proclame maître du oud, à sa manière.

Fabricant de musique

Pendant les journées du Forum international du luth, il ne pouvait passer inaperçu, revêtant toujours son allure souriante et modeste. A l’Opéra du Caire ou à la réception de l’hôtel de Zamalek où il logeait, tout le monde venait vers lui pour le saluer. Par estime et gratitude. On lui serrait la main, le prenait dans les bras … car c’est le cheikh des fabricants du oud (luth oriental) en Turquie. Faruk Turunz maintient les secrets de son instrument, en véritable connaisseur des mélodies orientales. « Mon premier et meilleur luth est signé Faruk Turunz », lance à haute voix le luthiste émirati Faysal Al-Sary. En fait, le nom de Faruk Turunz est plutôt un gage d’originalité impeccable. Entre musiciens et luthistes de par le monde, on se vante d’avoir parmi ses collections un modèle signé Turunz.

Invité d’honneur du Forum international du luth tenu récemment au Caire, il dévoile les techniques du métier. « J’aime partager mes secrets avec autrui. Or, il existe un grand écart entre les fabricants du luth et la société. Nous devons assumer notre responsabilité et partager nos connaissances pour éclairer la société. Depuis longtemps, on parle de tabous, de secrets. Moi, je ne crois pas en tout cela. Le savoir existe, la technologie aussi. Et l’homme, par curiosité, veut toujours connaître ce qui se passe ailleurs dans le monde. Eclairer les gens est une responsabilité qui mène au développement. Tant qu’on est ouvert d’esprit, on ne trouve pas de mal à communiquer ses connaissances à autrui », souligne Faruk Turunz, plutôt un artisan qui croit au pouvoir de la connaissance et de la reconnaissance. « Al-Maarefa en arabe comporte aussi la reconnaissance de la valeur d’une personne. C’est un geste d’appréciation. En Occident, chaque musicien dévoile le nom du fabricant de son instrument. On n’a pas l’habitude d’agir ainsi en notre société. On tire notre énergie non pas du travail ni de l’argent, mais de cette sorte de reconnaissance. C’est un acte humain important », explique-t-il. Que faire pour changer alors la situation ? Turunz ne réfléchit pas trop. Un jour, durant le concert d’un jeune luthiste turc, il lui a posé amicalement la question : « Pourquoi ne pas mentionner mon nom ? ».

Le luthiste répondit : « Je n’y avais pas songé. Désormais, je marquerais ton nom sur tous mes CD ». Un premier pas.

Créer, de ses propres mains, un instrument musical était « un rêve enfantin que j’ai gardé longtemps en moi », avoue-t-il. Son rapport avec la musique remonte à son âge tendre. Sa mère a voulu que son enfant joue de la musique. La mandoline était alors l’instrument répandu à l’école primaire, lui permettant de jouer quelques chansons enfantines. « Mon père partageait ma passion pour la musique. Il jouait avec moi de la mandoline, mais avait compris que c’était un instrument limité. En fait, ce n’est pas le bon instrument pour les mélodies orientales », raconte-t-il. Au père, en quête d’instrument convenable, on a conseillé d’acheter un luth. « Un jour, mon père est rentré avec un oud. J’étais complètement ébloui. Je n’avais jamais vu d’instrument aussi beau et fascinant », se rappelle-t-il. Un coup de foudre ? Certainement. « Le lendemain, mon père sortait pour le travail et j’ai pris le luth entre les mains pour jouer. Mais le soir, quand il est rentré, il a découvert que le son de l’instrument n’était pas le même que celui de la veille. Avec une petite voix, j’ai dit : peut-être c’est une question d’ajustement. Il a donc compris, et d’un regard furieux, il a crié : Faruk ! Interdit d’approcher le luth ! ». Le petit Faruk n’était pas aussi obéissant que son père le pensait. Dès que ce dernier sortait, Faruk se précipitait pour jouer du luth. Il demandait à sa mère s’il y avait moyen d’ajuster le luth pour jouer de la musique, et aussi pour que son père ne découvre pas son affaire. Sa mère lui a donné un coup de pouce. Et pour quelques temps, Faruk jouait du luth en cachette. « Un soir, mon père a invité un de ses amis à venir pour jouer de la musique. Ils essayaient tous les deux d’interpréter un ancien morceau turc. A chaque fois, ils produisaient de fausses notes ». Une occasion pour le petit de tenter sa chance en disant : « Papa ! Laissez-moi faire ». Et il se mettait à jouer de manière extraordinaire. Le père, étonné et ravi, se résigne : « Faruk ! Tu peux désormais jouer du luth comme tu veux ».

« Je joue un petit peu, mais je ne prétends pas être ni musicien, ni luthiste. Je suis un fabricant de oud ». Il en est fier.

Au cycle secondaire, à l’atelier d’artisanat et de menuiserie, Faruk se contentait de créer des objets et rêvait un jour de fabriquer un instrument musical. Cependant, il avait du mal à trouver le bon chemin. A l’université, il a étudié les sciences politiques pendant trois ans. Insatisfait, il a quitté la faculté pour se lancer dans d’autres études et d’autres métiers.

Pendant un certain temps, Faruk Turunz a travaillé comme enseignant dans les écoles primaires en province. Se déplaçant pour Istanbul, il a continué à enseigner et à offrir à ses élèves l’occasion de fabriquer eux-mêmes un instrument de musique. « A l’époque, j’ai pu fabriquer avec eux un chümbüsh (une sorte de luth à manche longue) ». L’occasion était propice afin d’étudier dans l’Académie des arts, le soir. Et il s’est joint à la section « Architecture », étant la classe disponible. Marié et père d’un enfant, il n’a pas pu suivre ses cours et fonda avec ses collègues un atelier d’artisanat pour les objets de décoration.

Petit à petit, Turunz construit son business, satisfaisant et stable. Et il tente de temps à autre de fabriquer, avec des outils simples, un instrument musical pour des amateurs. « Un client d’Anatolie m’a chargé de fabriquer 350 boîtes décoratives avec du bois et du verre. C’était un bon deal. Les boîtes ont été fabriquées et chargées vers l’Anatolie. Mais faute d’expérience, le bois que j’ai utilisé n’allait pas de pair avec la chaleur de cette ville. En trois mois, toutes les boîtes ont craqué et j’ai payé une indemnisation. J’ai dû alors vendre toutes les machines et tous les outils de travail. C’était très dur. Je ne trouvais plus le sommeil et souvent, je regardais ma femme et mon bébé, sans trop savoir quoi faire », se souvient-il, les larmes aux yeux.

Il se lève un petit peu, allume une cigarette en pleurant. Son visage tout rouge d’émotion. Les jeunes luthistes présents dans les parages réussissent à le calmer. Il leur adresse la parole en disant : « Oh ! La vie n’est pas toujours facile ». Puis, il reprend son histoire : « Ma femme, voyant ma forte détresse, m’a dit un soir : Faruk, tu as un bébé. On a besoin de toi. Il faut t’en sortir. Pourquoi ne pas fabriquer des ouds ? As-tu besoin de toutes ces machines et ces outils pour le faire ? Je lui ai répondu : bonne idée ; je n’ai pas besoin de grandes machines ».

Il a alors créé un très bel instrument en bois qui ne produisait pas de son. Turunz rit et ajoute : « Il m’a fallu dix ans d’expérience pour découvrir le bon chemin ». Une fois, un musicien l’a chargé de faire un oud suivant le modèle existant dans son atelier et un deuxième avec du bois plus foncé. Il a répondu aux besoins du client lequel a trouvé que le son de l’instrument n’était pas bon. J’étais furieux : « Pourquoi ne l’as-tu pas précisé dès le début ? En fait, je savais parfaitement que le son était vraiment mauvais, mais je ne voulais pas l’admettre ». Un autre défi. Comment travailler le côté acoustique de l’instrument ? « J’ai cherché partout dans les bibliothèques sans rien trouver. Et puis, je me suis dit : Es-tu stupide ? le oud est un objet physique, le son aussi. Donc, je dois chercher des études sur le son et la vibration des cordes ». Il a emprunté un livre au cousin de sa femme, étudiant d’ingénierie, sur la physique et le son. Dans les premiers chapitres, il a pu trouver des formules et des équations sur lesquelles repose l’émission du son dans un moteur. « Il fallait appliquer ces théories physiques sur le oud, et j’ai réussi à donner à l’instrument les mesures et les ajustements nécessaires pour émettre le son voulu ».

Progressivement, la clientèle augmente. Et Turunz répond à leurs exigences. Uldar, père des fabricants du oud turc, était lui-même ébloui de son œuvre, lui promettant une grande renommée et une clientèle élitiste. « A chaque voyage, je mentionnais ton nom, je conseillais aux musiciens et luthistes d’aller chez vous pour trouver le bon oud ». Ce dernier a tenu sa parole. Turunz travaillait encore sur les équations et les formules physiques et développait une théorie concernant les mesures du luth « The Brace Tuning System » (le système d’ajustement et d’accordage des portées musicales en harmonie). Une théorie qui lui permet de fabriquer tout genre de luth : arabe, égyptien, turc ou autres. « Avec les logiciels nécessaires, je maintiens les détails et techniques acoustiques nécessaires qui répondent aux volontés des musiciens et artistes. Il faut donc respecter ces notes en fabriquant », sourit-il, en dévoilant ses secrets. « Je rencontre des artistes et musiciens en quête de oud et je me sens obligé de répondre à leurs besoins, découvrant de nouvelles idées et techniques », souligne-t-il, content d’assumer son rôle. Turunz est fait pour la fabrication du oud, ce rêve enfantin du passé.

May Sélim

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Jalons

1944 : Naissance à Adana, Turquie.

1984 : Fabrication du premier oud.

2002 : Développement de la théorie « The Brace Tuning System » (le système d’ajustement et d’accordage des portées musicales en harmonie).

2010 : Honoré au premier Forum international du luth au Caire organisé par Nassir Chamma.

 

 




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