Dauphins . Une ONG a découvert quatre de ces mammifères en captivité dans la petite piscine d’une villa à Hurghada, sur la mer rouge. Un lieu inapproprié, mais aucune sanction n’est prévue par la loi égyptienne.

Dans les filets de la maltraitance

Découvrir un dauphin captif alors que son milieu naturel n’est qu’à quelques mètres, cela a  de quoi révolter. La semaine dernière, l’HEPCA (Association de la protection et de la conservation de l’environnement à Hurghada) en a pourtant fait l’amère expérience. Après avoir reçu plusieurs appels téléphoniques et des rapports de la communauté locale indiquant des dauphins en captivité dans la piscine d’une villa à Hurghada (capitale du gouvernorat de la mer Rouge à 450 kilomètres du Caire), elle s’est précipitée sur les lieux. « Nous sommes vite allés dans la villa concernée après autorisation des autorités locales, le 15 septembre. Les propriétaires ont ouvert les portes sans aucun problème », raconte Heba Shawky, responsable du bureau de l’HEPCA à Hurghada. Dans la petite piscine de la villa se trouvaient en effet 4 dauphins à nez en bouteille, appelés aussi « grand dauphin ». 2 mâles et 2 femelles, mesurant chacun entre 2 et 3 mètres. « La piscine n’était pas assez grande pour accueillir ces dauphins ! », s’exclame Shawky.

Selon l’Institut brésilien pour les ressources environnementales et naturelles renouvelables, un bassin d’un minimum de 14 m de longueur, de 6 m de profondeur et d’un volume de 1 600 m3 est nécessaire pour la captivité de deux dauphins à nez en bouteille. Le volume minimum nécessaire pour 4 dauphins est donc de 2 400 m3. « Essayez d’imaginer la misère de ces 4 bêtes qui passent de longs jours dans un bassin de 9x9 m et d’une profondeur de 4 m. En plus, la qualité de l’eau est lamentable car le système de filtrage n’est pas assez puissant. La visibilité de l’eau était de 20 cm ! », raconte Heba Shawky, furieuse.

Ces dauphins ont en fait été importés du Japon pour être les hôtes du premier delphinarium, dont l’ouverture est annoncée dans quelques mois à Hurghada. Selon la réglementation égyptienne, tout animal importé doit rester 105 jours en quarantaine. « Mais dans le monde entier, la quarantaine animale doit avoir des normes et des conditions qui conviennent à l’animal. C’est aussi le cas pour les dauphins », explique Amr Ali, directeur exécutif de l’HEPCA.

Il n’empêche que les importateurs de ces dauphins ont tous les documents en règle nécessaires, dont l’autorisation de la CITES (convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction). « Ils ont les permis nécessaires, dont un document qui assure que ces dauphins sont habitués à vivre en captivité car nés en captivité. Alors le ministère de l’Environnement ne veut pas intervenir. Quand je l’ai contacté, on m’a dit que cet incident n’a rien à voir avec la conservation et qu’il est plutôt lié aux droits des animaux », regrette Amr Ali.

Ils risquent d’être massacrés

De son côté, le gouverneur de la région a réagi positivement. Informé du problème, il a demandé à l’HEPCA d’étudier les solutions pour le régler au plus vite. « Le gouverneur de la mer Rouge, le général Magdi Al-Qobeissy, est très coopératif avec tout ce qui concerne la conservation et la défense de l’environnement. Il est déterminé à faire face aux activités qui visent le commerce ou la captivité des dauphins dans son gouvernorat », assure le directeur exécutif de l’HEPCA. Mais les lacunes de la législation égyptienne liées à la captivité des dauphins limitent les possibilités. Amr Ali ose alors espérer la promulgation prochaine d’une loi qui sanctionnera de telles découvertes. D’autant plus que ce qui complique le problème est que les 4 dauphins ne peuvent pas être libérés en mer : ils ne sont pas originaires de la mer Rouge et leur présence dans ces eaux risque de propager d’éventuelles maladies aux dauphins locaux. « Ils risquent d’être massacrés par les dauphins locaux, car si ces dauphins sont nés en captivité, cela veut dire qu’ils n’ont pas pu développer des capacités de survie en milieu ouvert », ajoute Ali.

Heureusement, après plus de 20 réunions avec les principales autorités, l’HEPCA a trouvé une destination appropriée pour ces dauphins. Dans les jours qui viennent, ils devraient être transférés dans un lac artificiel d’eau de mer près de la localité de Sahl Hashish, toujours sur la mer Rouge pour y passer le reste de leur quarantaine, sous la surveillance d’un vétérinaire.

Il n’empêche que des sanctions s’imposent. Il faut également déterminer dans quelle mesure la ville d’Hurghada a besoin d’un delphinarium. « Hurghada n’a pas besoin de delphinarium pour la simple raison que dans la mer Rouge on peut facilement rencontrer des dauphins. Il n’y a donc aucun sens de construire un delphinarium dans cette région », estime Amr Ali. Surtout si l’on sait que cela fait très longtemps que les scientifiques ont découvert l’impact négatif de la captivité des animaux. Dès 1963, au premier Symposium international de recherches sur les mammifères marins, le chercheur américain Ken Norris affirmait : « Le stress est le problème le plus grave auquel nous avons à faire face avec les cétacés en captivité surtout avec ceux qui subissent un dressage intensif ». Dans les années 1980, le cétologue suisse Giorgio Pilleri, de l’Institut d’anatomie cérébrale de l’Université de Berne, a établi que « les dauphins captifs sont sujets à une déformation psychologique. Leur perte de liberté et la destruction de leur structure sociale mènent au désespoir, aux comportements suicidaires, à une agressivité anormale et à un immense sentiment de claustrophobie, symptômes semblables à ceux que présentent les êtres humains incarcérés dans les prisons ». Le gouverneur, réputé pour son attention à préserver la faune et la flore, sera-t-il alors en mesure d’annuler le projet de delphinarium ? Affaire à suivre.

Dalia Abdel-Salam