Eboulement de Doweiqa .
L’acquittement par la Cour d’appel des responsables
municipaux a été mal accueilli par les familles des victimes
de ce drame datant de 2008. Alors que des ONG mettent en
garde contre d’autres accidents similaires.
Consternation alors que le danger demeure
La
cour d’appel du Caire a acquitté, la semaine dernière,
Mahmoud Yassin, un vice-gouverneur du Caire, et Mohamad
Hussein Gomaa, un employé municipal, des condamnations
prononcées contre eux pour négligence dans l’affaire de
Doweiqa. Six autres responsables locaux ont vu leurs peines
ramenées à un an de prison. En septembre 2008, lors d’un
éboulement dans le bidonville de Ezbet Békhit à Manchiyet
Nasser, à l’est du Caire, 119 personnes ont été tuées et 55
blessées selon les chiffres officiels. Des ONG ont toutefois
parlé de « plusieurs centaines » de morts.
Le vice-gouverneur du Caire, Mahmoud Yassin, affirme qu’il
était sûr de « l’impartialité de la justice » … et de son
innocence. Pour lui, comme pour les autres accusés, il
s’agit simplement d’une « catastrophe naturelle ».
Les familles des victimes sont choquées par ce verdict
qu’elles jugent trop indulgent, d’autant plus que les
rescapés affirment avoir alerté à maintes reprises les
autorités à propos de ce risque, signalé d’ailleurs à la
veille du drame par de nombreux experts.
Une enquête diligentée par le Parquet a permis de déterminer
que des représentants des autorités locales avaient été
avertis du risque d’effondrement grâce aux rapports
d’experts remis en 2007 et 2009. Ces rapports avaient
recommandé que les résidents soient évacués pour leur
sécurité.
Le 26 mai, le Tribunal correctionnel de Manchiyet Nasser a
condamné le vice-gouverneur du Caire à une peine de cinq ans
d’emprisonnement et les sept autres accusés à une peine de
trois ans de prison chacun.
Les rescapés de cet effondrement et les parents des
personnes décédées ou les blessés peuvent désormais demander
des dédommagements devant des tribunaux civils. Ceux qui ont
perdu leur logement à la suite de l’évacuation de la zone
touchée n’ont cependant pas la possibilité d’obtenir des
dédommagements.
Conditions insalubres
En dépit du danger, dans le même quartier où s’est produit
l’éboulement de 2008, des centaines de familles continuent à
vivre dans des baraques en bois et dans des conditions
insalubres. Leur réaction au verdict de la semaine dernière
se résume en une phrase : « Le sang de nos parents et
enfants continue à crier justice ».
« Chaque jour, on voit passer des responsables, des députés,
des activistes d’ONG et des journalistes. Ils viennent
visiter le quartier, nous poser des questions et prendre des
photos, mais ces nombreuses visites n’ont pas encore apporté
des solutions à nos problèmes. Le danger de mort continue à
planer au-dessus de nos têtes », se confie Oum Mohamad, une
femme âgée de 50 ans qui habite sur les lieux du drame. «
Dans ce pays, les pauvres ne comptent pour rien, leur vie ou
leur mort n’intéresse personne », se lamente-t-elle. Oum
Mohamad vit avec sa fille et ses quatre petits-enfants dans
une chambre de moins d’une dizaine de mètres carrés. Elle
affirme qu’elle n’aspire pas à un logement de luxe, mais à
la sécurité.
Pour Sayed Zaki, qui a perdu son fils et sa fille lors de
l’incident, le seul moyen pour sauver ce qui reste de sa
famille est de s’adresser « directement au président
Moubarak et demander son intervention ». Il dit avoir déjà
envoyé des lettres à la présidence …
« Et je
continuerai d’en envoyer en attendant la réponse ».
Mohamad Hassan, qui a perdu toute sa famille sous les
rochers du Moqattam, a un problème d’un tout autre ordre. «
Je n’arrive pas à extraire les certificats de décès … Pour
les autorités, ma femme et mes enfants sont parmi les
disparus », dit-il en essuyant une larme.
D’après beaucoup de spécialistes, la tragédie de Doweiqa
2008 risque de se reproduire. Manal Al-Tibi, directrice du
Centre égyptien pour le droit au logement, qui étudie le
dossier de Doweiqa depuis huit ans, a prévenu contre un
nouvel éboulement dans ce quartier, « si aucune mesure n’est
prise pour l’éviter ». Elle estime que la politique du
logement du gouvernement est injuste envers les plus
démunis.
« La priorité devrait être donnée à ces familles qui vivent
en danger, celles de Doweiqa et des autres zones
informelles. Nous recevons de nombreuses plaintes de la part
de ces familles qui rêvent de vivre en sécurité. Deux ans
après le drame, pourquoi n’a-t-on pas encore relogé ces
familles ? », dénonce-t-elle.
Au début du mois de juin 2010, les autorités municipales ont
estimé que 14 800 familles vivaient en danger imminent de
mort, et ce dans le seul secteur de Manchiyet Nasser.
Environ 9 100 familles vivant dans ce quartier ont été
relogées depuis l’éboulement de 2008 ; toutefois, dans de
nombreux cas, il semble qu’elles aient été expulsées de
force.
Amnesty International a, de son côté, fait campagne pour
l’évacuation de « milliers d’habitants démunis contraints de
vivre dans des logements indécents et à risque sur des
flancs de colline instables ». Dans un communiqué publié
suite à l’acquittement des responsables, l’ONG
internationale a exhorté l’Egypte à prendre des mesures
concrètes afin de protéger ces personnes. « Il faudrait que
les autorités égyptiennes réduisent les menaces pesant sur
la vie des habitants de certaines zones du Grand Caire,
considérées à risque par les autorités chargées de la
planification urbaine. Les autorités municipales doivent par
ailleurs agir afin de protéger les droits des habitants à la
santé et à un logement décent », a appelé Hassiba Hadj
Sahraoui, directrice adjointe d’Amnesty Moyen-Orient et
Afrique du Nord.
Ola
Hamdi