« Pour avoir les manuels parascolaires de mes deux enfants,
le propriétaire de la librairie, qui me connaît depuis de
longues années, m’a demandé de se faufiler à partir d’une
porte arrière. Il m’a donné les livres dans un sac noir
comme si j’achetais de la drogue ou d’autres produits
interdits que je dois cacher », dit Soad, qui habite à Guiza,
en ajoutant que pendant les moments de sa présence dans la
librairie, il ne cesse de répondre négativement aux autres
clients qui viennent demander ces ouvrages condamnés par le
ministre de l’Education. « Nous n’en avons pas pour cette
année », répète-t-il, de peur d’être arrêté ou que sa
librairie soit fermée par les agents de police. A Guiza, à
Héliopolis ou même dans les gouvernorats de Basse et
Haute-Egypte, les scènes se répètent. Et des nouvelles
circulent que les campagnes policières ont mené à la
confiscation de milliers de manuels ici et là.
Un état de crainte, de colère, d’attente et même d’anarchie
règne, à cause d’un conflit entre le ministre de l’Education
et les éditeurs des manuels parascolaires. Des livres
d’assistance qui ont été autorisés depuis 1988 contre un
droit de 400 L.E. Une somme qui s’est élevée pour atteindre
1 000 L.E., que le ministre Ahmad Zaki Badr a élevée à 5 000
L.E. Cependant, selon Sayed Abdel-Fattah, un associé dans
une des maisons d’édition, le ministre a soudainement pris
une décision, en juillet dernier, imposant des sommes qui
vont de 350 000 jusqu’à 900 000 L.E. et parfois un million
pour chaque manuel, selon le cycle scolaire. « Le ministre
explique que les sommes sont simplement un droit d’auteur à
acquitter en faveur du ministère de l’Education, qui est le
possesseur des programmes scolaires sur lesquels sont basés
les manuels. Il a alors imposé ces sommes exorbitantes sans
prendre en considération les bénéfices réels des éditeurs,
surtout les maisons d’édition moyennes », explique-t-il,
tout en ajoutant que son épouse, qui est l’auteur d’un
manuel du cycle secondaire, a décidé de ne pas le publier,
parce qu’ils doivent payer 900 000 L.E. « Comment
pourrons-nous compenser cette perte ? », s’interroge le
couple. De l’autre côté, le ministre, bien ferme sur sa
position, ne cesse d’annoncer qu’il ne changera pas d’avis.
En attendant, plusieurs éditeurs ont décidé de s’abstenir et
de ne pas publier de manuels, pour protester contre la
décision ministérielle, d’autres ont défié la décision et
ont imprimé les manuels et les ont donnés à des
distributeurs pour les vendre dans un marché assoiffé et
clandestin.
A Faggala, avenue commerçante et marché central des manuels
parascolaires, la scène est complètement différente cette
année. La longue rue, qui était comme la ruche, deux
semaines après la rentrée scolaire, est en état d’anarchie.
Plusieurs maisons d’édition ont fermé leurs portes, des
distributeurs essayent de gagner leur pain en écoulant
d’autres marchandises, comme les fournitures scolaires.
D’autres ont accroché une pancarte annonçant qu’ils n’ont
pas de manuels à vendre et passent le temps à raconter leurs
crises et à critiquer la décision ministérielle qui n’est
pas bien étudiée.
Faggala, zone interdite
Des
pères, des mères et des élèves sont là de bonne heure et
font le va-et-vient du marché cherchant ce manuel
introuvable. Des centaines ont fait la queue devant la porte
de la seule librairie qui a décidé de vendre malgré les
menaces. « Ce distributeur a décidé de prendre le risque en
exposant les manuels à la portée des clients. Cependant, des
agents de police viennent de temps à autre pour le menacer,
ferment la librairie et quittent. L’audacieux ne cesse de
répéter l’aventure ». Et pour se fournir ces livres, il faut
attendre des heures. Après une longue attente de cinq
heures, Mahmoud Abdel-Moneim et son épouse semblent enfin
avoir gagné la bataille. Le couple est sorti de la foule
avec un grand sac rempli de manuels pour leurs deux enfants.
« Je n’arrive pas à croire ce que nous devons faire
aujourd’hui pour garantir l’avenir de nos petits. Passer des
heures dans une longue queue d’attente et payer le double et
le triple du prix ! On ne mérite pas ça », s’exclame la
mère, en assurant que, face à un système scolaire qui a
beaucoup de lacunes, les manuels parascolaires sont
indispensables. « Mes enfants sont dans une école
expérimentale. Cependant, ils ne reçoivent les livres du
programme scolaire qu’un mois après la rentrée. Les livres
des exercices pratiques n’arrivent aux mains des élèves
qu’une semaine avant les examens. Que peuvent-ils alors
faire sans les manuels scolaires ? », s’interroge la mère
qui ne va pas à son travail depuis deux jours, ni son mari,
à la recherche de ces livres. Enviés par les nouveaux venus
d’avoir obtenu ce trésor inestimable, ils ont été la cible
d’un flux de questions par des parents qui ont la peur au
ventre de ne pas trouver les manuels d’une telle année
scolaire et d’une telle matière. C’est le cas de Mahmoud
Wahid, élève du cycle secondaire dans une école azharite. Il
a l’air déçu et étourdi. « Que puis-je faire ? Il y a
plusieurs matières qui me manquent. Chez nous, ce sont les
professeurs qui nous donnent la liste des manuels
parascolaires. Ceux des programmes officiels sont mis à
l’écart dans le bureau, car ils ne nous ajoutent rien.
Est-ce qu’ils veulent que nous échouions ? », se demande
l’élève, qui ne s’intéresse pas aux raisons de cette crise,
mais à avoir les manuels nécessaires pour ses études. Même
les professeurs sont là essayant de chercher les manuels,
parce qu’ils sont indispensables pour leurs cours, comme
l’explique un enseignant de mathématiques, qui fait la queue
devant la librairie et qui assure que même lui, il ne peut
pas dépendre du livre du programme officiel pour expliquer à
ses élèves. « Je dois leur faire des exercices pratiques et
des applications que je ne trouve que dans les manuels
parascolaires », dit-il.
Des profs en profitent
Une crise qui a profité à quelques enseignants, qui ont
augmenté les prix de leurs leçons particulières et ont fait
chacun des aide-mémoire et textes d’exercices, pour les
vendre aux élèves à de différents prix. Et ce sont les
parents qui payent, comme l’explique une mère, médecin, qui
attend depuis l’aube pour chercher quelques manuels. Elle
pense que la décision du ministre n’a aucune logique et
n’est pas bien étudiée. « La preuve est ce mal de cœur dont
souffrent les parents, pour arriver à avoir les manuels
qu’ils cachent comme les voleurs ».
Une cohue et des réactions de victoire spontanées, une fois
la mission d’avoir en main le manuel réussie, ont suscité
une anarchie dans la rue. Ce qui a provoqué les policiers
qui sont venus pour fermer la librairie et emmener le
vendeur au poste de police. « Il semble que cette fois est
définitive, il risque d’avoir une peine de prison de trois
mois et une amende de 10 000 L.E. », dit l’un de ses
voisins, en regrettant cet état d’humiliation ou de chômage
forcé que vivent les libraires de Faggala. Quant aux
clients, stupéfaits de ce qui s’est passé, ils attendent
toujours la réouverture de la librairie. Sayed Ahmad,
fonctionnaire au ministère des Affaires étrangères,
s’interroge : « Que faire sans avoir le reste des manuels
pour mes enfants ? ». Une interrogation qu’échangent les
parents qui cherchent à tout prix une issue.
Et voilà qu’ils ont commencé à faufiler vers un petit
camion, garni d’une grande couverture. Et dans une
atmosphère de suspens et en cachette, les jeunes vendeurs
prennent un bout de papier de la main du client et lui
demandent de s’éloigner, le temps qu’ils préparent les
manuels et les lui mettent dans des sacs noirs, tout en
soulignant l’importance du caractère confidentiel de la
chose. « Ne nous exposez pas au risque s’il vous plaît »,
dit la jeune fille qui ajoute quelques livres au prix du
manuel. Les parents se soumettent aux ordres des vendeurs
clandestins tout en répétant des mots de colère et de prière
contre un ministre qui refuse de prendre en considération
leur malaise car ils n’ont pas d’autres choix. « Qui
pourrait croire qu’un jour je me mette dans la peau du
criminel pour acheter des manuels à mes petits ? Je sens
comme si j’achetais du haschich ou du bango, pas des moyens
éducatifs », s’indigne une mère, superviseur d’anglais au
ministère de l’Education.
Doaa
Khalifa