L’ancien secrétaire général de l’Onu,
Kofi Annan, à l’origine
des Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD) qui
arrivent à échéance en 2015, fait le bilan de cette
initiative en Afrique au moment où les dirigeants du monde
clôturent, .ce mercredi à New York, une conférence de suivi.
« La révolution verte est en marche en Afrique »
Al-Ahram
Hebdo : En tant que « père fondateur » des Objectifs du
Millénaire pour le Développement (OMD), quel regard
portez-vous sur le chemin parcouru ? Et quel impact la crise
mondiale a-t-elle eu sur l’insécurité alimentaire qu’on
observe un peu partout aujourd’hui ?
Kofi Annan :
Lorsque nous avons lancé les OMD, nous avons délibérément
fixé des objectifs ambitieux, car ils reflétaient
l’engagement de la communauté internationale. Nous savions,
dès le départ, que le défi serait difficile à relever. Dix
ans plus tard, les priorités mondiales ont changé et
l’ampleur de la crise économique est venue entraver les
efforts fournis en vue de l’éradication de la pauvreté et de
la faim, surtout en Afrique. Nous progressons lentement sur
un terrain difficile, certes, mais cela ne signifie pas que
nous soyons en train d’échouer. Partout en Afrique, de
petits agriculteurs ouvrent la voie à un avenir plus vert et
durable, grâce auquel le continent pourra nourrir lui-même
sa population, mettre un terme à la pauvreté et même rendre
l’agriculture rentable.
— Y a-t-il des exemples ?
—
Prenons le Malawi : ce pays produit, depuis quatre ans,
l’intégralité du maïs qu’il consomme. Il a même rejoint le
club des pays donateurs, puisqu’il octroie 10 000 tonnes
métriques de maïs sous forme d’aides alimentaires au
Swaziland et au Lesotho. L’année dernière, il a également
exporté du maïs au Kenya. Les OMD représentent un but à
atteindre pour la communauté internationale et une grande
partie des avancées constatées aujourd’hui doit leur être
attribuée en raison de leur caractère stimulant.
— Lorsque vous étiez secrétaire général des Nations-Unies,
vous avez lancé un appel en faveur d’une « révolution verte
en Afrique », en vue d’atteindre les OMD en 2015 et éliminer
la pauvreté. Six ans plus tard, le Forum de l’Alliance pour
une révolution verte en Afrique, l’AGRA, qui s’est récemment
tenu à Accra (Ghana) vous donne-t-il des raisons d’espérer ?
—
Ma réponse sera simple : oui ! Je constate chaque jour que
la révolution verte est en marche en Afrique, et ses
porte-drapeaux se sont rassemblés à Accra. Les agriculteurs
suivent des formations et reçoivent des outils pour les
aider à accroître leur production. Les sélectionneurs de
semences découvrent de nouvelles variétés qui s’adaptent
très bien aux environnements africains, uniques en leur
genre. Les agriculteurs ont plus facilement accès aux
engrais et à d’autres moyens de production qui leur
permettent d’assainir les sols et d’améliorer les récoltes.
Des partenariats sont également instaurés entre différentes
communautés pour faciliter l’accès des agriculteurs au
crédit, aux réseaux de négociants agricoles et aux marchés,
ainsi que pour soutenir les politiques engagées par le
gouvernement en vue de développer l’économie agricole.
— Le Ghana semble aller dans cette voie ...
—
Mon pays, le Ghana, s’emploie à essayer de nouvelles
approches et fournit un bon exemple des progrès qu’il est
possible de réaliser. Le gouvernement et ses partenaires,
dont l’AGRA, font du développement agricole un enjeu de
premier plan. Ils lancent des initiatives ambitieuses dans
le but de faire du nord du Ghana le grenier à blé du pays.
— Comment comptez-vous soutenir les petits exploitants
agricoles, particulièrement négligés au cours des dernières
décennies ?
—
L’AGRA continuera à fournir un soutien financier et moral
aux petits exploitants d’Afrique. Ils sont l’épine dorsale
de la « révolution verte », et en négliger un revient à les
négliger tous. Il est vrai que les petits agriculteurs sont
nombreux à connaître des moments difficiles, mais l’AGRA
travaille main dans la main avec les gouvernements
africains, les investisseurs privés et la communauté
internationale, pour veiller à ce qu’ils reçoivent les
ressources et l’appui dont ils ont besoin.
— N’est-ce pas là un vœu pieux ?
—
J’ai pu le constater en partie au Mali, la semaine dernière,
en rencontrant des agriculteurs de Sanankoroba et de
Dialakoroba, qui m’ont eux-mêmes décrit comment leur niveau
de vie s’améliore peu à peu depuis qu’ils ont accès à des
semences à haut rendement et à des engrais. Ils cultivent de
nouvelles variétés de sorgho, de maïs et de riz qui
résistent à la sécheresse et aux maladies, ce qui augmente
les rendements. Les organisations nationales de recherche
agricole, les nouvelles entreprises de semences et les
négociants agricoles interviennent tous dans cette
évolution. Mais ce qui est encore plus important, c’est que
j’ai pu constater leur foi en l’avenir, l’espoir qu’un
soutien accru leur permettra, à eux et à leurs voisins,
d’améliorer leur situation d’année en année. « Laisser
tomber la houe pour le tracteur » : tel est leur désir pour
demain. Nous continuerons à tout mettre en œuvre pour que
les petits agriculteurs africains puissent réaliser leur
rêve.
— Ne craignez-vous pas, en demandant le concours
d’entrepreneurs privés, d’aggraver le phénomène de
spoliation des terres — comme à Madagascar, etc. —, un
phénomène analysé dans un récent rapport de la Banque
mondiale ?
—
L’AGRA s’intéresse avant tout aux petits exploitants, et
toutes ses politiques et mesures d’aide financière visent à
les aider à nourrir leurs familles et leurs communautés et à
améliorer leur situation. Ceci dit, introduire des
changements porteurs d’une telle évolution nécessite
d’énormes investissements, si on veut qu’ils portent leurs
fruits rapidement. La superficie totale des terres arables
du continent africain dépasse celle de l’Europe occidentale,
des Etats-Unis, de la Chine et de l’Inde réunis. Et
pourtant, la production agricole de l’Afrique est inférieure
à celle de tout autre continent, et représente à peine 25 %
de la moyenne mondiale, et près d’un tiers de la population
africaine souffre de malnutrition. Les gouvernements, les
entreprises privées, les organisations non lucratives et les
institutions multilatérales doivent unir leurs efforts pour
changer cet état de fait. Cela ne veut pas dire pour autant
que cette évolution doive se faire à n’importe quel prix.
— Mais comment convaincre les Etats, à travers leurs
politiques publiques, de protéger l’accès à la terre des
plus démunis ?
—
De nombreux dirigeants africains montrent déjà la volonté
d’aider les petits exploitants dans leur pays. Ce phénomène
remonte à l’année 2003, lorsqu’ils ont pris une mesure
importante en faveur de la révolution verte, en s’engageant
à amener les investissements dans les activités agricoles à
10 % au moins de leur budget national. Plusieurs pays sont
en bonne voie de tenir cette promesse, mais pas encore la
totalité. Le Ghana a ainsi diminué la faim de 75 % depuis
l’introduction des OMD. D’importants progrès ont également
été enregistrés en Tanzanie, au Rwanda et au Malawi au
niveau de la production alimentaire, grâce au soutien accru
que ces pays octroient à l’agriculture. Là-bas comme
ailleurs, les solutions qui fonctionnent suivent une même
approche, fondée sur le respect des petits exploitants et
sur l’aide qui leur est apportée.
— Quelle est cette recette ?
—
Il s’agit tout d’abord d’investir dans des moyens de
production agricole améliorés, comme des semences à plus
haut rendement et des engrais, et ensuite de les distribuer
aux petits exploitants. Cela implique de créer des réseaux
nationaux de détaillants et de négociants agricoles, qui
peuvent à la fois fournir ces outils et apprendre aux
agriculteurs à les utiliser efficacement. Cela implique de
former une nouvelle génération de chercheurs, de
sélectionneurs de semences et d’institutions
d’accompagnement, dans le but d’introduire de nouvelles
variétés de cultures. Cela implique de promouvoir, à tous
les niveaux de pouvoir, des politiques visant à faciliter
l’accès des agriculteurs au crédit et à améliorer la gestion
des terres et des ressources en eau. Et cela implique enfin
d’investir dans de nouvelles infrastructures, comme des
routes, des centres de stockage et d’entreposage et des
usines de transformation des denrées alimentaires.
Propos recueillis par Antoinette Delafin et Marie
Joannidis (RFI)