Al-Ahram Hebdo, Littérature | Ahmad Sabri Aboul-Fotouh, L'exode

  Président
Abdel-Moneim Saïd
 
Rédacteur en chef exécutif
Hicham Mourad
  Conseiller de la rédaction
  Mohamed Salmawy

Nos Archives

 Semaine du 1er au 7 septembre 2010, numéro 834

 

Contactez-nous Version imprimable

  Une

  Evénement

  Enquête

  Nulle part ailleurs

  Invité

  Egypte

  Economie

  Monde Arabe

  Afrique

  Monde

  Opinion

  Société

  Arts

  Livres

  Littérature

  Visages

  Environnement

  Voyages

  Sports

  Vie mondaine

  Echangez, écrivez



  AGENDA


Publicité
Abonnement
 
Littérature

Dans une grande saga qui raconte l’histoire d’une famille, l’épopée des Sarassiyah, et celle d’un homme qui va bâtir un nouveau monde, Ahmad Sabri Aboul-Fotouh nous mène avec simplicité et profondeur dans la vie des êtres humains, où la joie et la tristesse ne cessent de s’enlacer et de se diviser sur les voies de notre achèvement personnel.

L’exode

A l’aube d’un jour lointain, un cortège partit du village de Sérs, proche de Ménouf, base de la principauté de Ménoufiya. Il était conduit par un cheikh qui prenait la route pour « l’Egypte », afin d’inscrire son fils à l’Université d’Al-Azhar.

Avant la naissance du garçon, il avait eu quatre filles. Lorsque sa femme fut enceinte pour la cinquième fois, il fit le vœu — au cas où elle aurait un garçon — que son fils serait le défendeur du Coran. Le nouveau-né répondit à son souhait et il le plaça alors qu’il faisait ses premiers pas dans le kottab de sidi Négmeddine, pour qu’il apprenne le Coran ainsi que la lecture et l’écriture. Et avant qu’il n’atteigne l’âge de cinq ans, il le confia au maître Sourial Kabani, pour qu’il lui apprenne les bases de l’arithmétique. A l’âge de six ans, il l’emmena à Ménouf, à l’école de Nakhoudiya, bien connue. Il avait mis à sa disposition un ouvrier qui l’emmenait après la prière de l’aube à Ménouf, pour le ramener dans son village Sérs après l’appel à la prière du coucher du soleil. Il demanda également à ses maîtres à l’école de Nakhoudiya de lui donner des leçons de fiqh de manière intense, car c’était un élément important des études à Al-Azhar. Tout le monde savait parfaitement qu’il avait l’intention de l’envoyer étudier à Al-Azhar, depuis les ouvriers journaliers de la Dessilla jusqu’aux ouvriers à plein temps.

Des amis du cheikh lui proposèrent de garder l’enfant chez eux durant ses années d’études, mais il opposa un refus gentil, car il prit pour excuse son épouse qui ne pouvait pas souffrir du fait que son fils vive loin d’elle. Ainsi, l’enfant continua à partir à l’aube pour revenir avec le coucher du soleil, jusqu’à ce qu’il ait terminé six étapes, durant lesquelles il avait étudié par cœur tout le Coran et l’avait réétudié une deuxième fois. Il avait également beaucoup appris de fiqh, de la charia et des sciences du hadith. Lorsqu’il fut inscrit aux cours de maîtrise du Coran, en plus de ses études, à la mosquée du cheikh Zéwin à Ménouf, il ne revenait de là-bas que tard dans la nuit. Car les cours de maîtrise ne commençaient qu’après la prière de l’après-midi, et se terminaient avec la prière du soir. La famille se heurta à des difficultés pour le ramener tard la nuit, les routes n’étant pas sécurisées et les fils de la nuit et ceux qui fuyaient les voies de l’engagement coupaient la route aux voyageurs, à la recherche de ce qu’ils pouvaient voler de bagages ou de nourriture. Ils pouvaient tuer les voyageurs pour une raison ou sans aucune raison valable. Cela emmena le cheikh à louer une pièce pour son fils à Ménouf dans un bâtiment proche de celui de l’un de ses amis. La nourriture arrivait tous les jours fraîche pour le fils. Sa mère se levait à l’aube pour la préparer, puis un ouvrier l’emportait à Ménouf, afin qu’elle lui parvienne avant que le gosse n’aille à l’école.

Avec la fin de ses études, à l’école de Nakhoudiya, et alors que ses études de maîtrise étaient sur le point de s’achever, le cheikh déclara que son fils avait besoin d’une épouse. Il ne pouvait le faire partir à la capitale avant de le marier. Ils furent d’accord sur le choix de sa nièce et elle devint son épouse. Ils accrochèrent les lampions dans l’ancienne place, depuis la mosquée de Zahrane jusqu’à la vieille demeure. Sérs vécut des jours qu’on dit alors qu’ils se déroulaient en dehors de toute réalité. Toutefois, comme tous les moments de bonheur, ces jours se terminèrent rapidement. Les beaux moments se terminèrent et la dure réalité se présenta, à savoir le moment du départ.

Le cheikh fit des allers et retours à Ménouf à la recherche d’un bateau qui les mènerait au Caire. Tous les bateaux étaient pleins de marchandises pour des commerçants et leurs propriétaires ne prenaient pas de voyageurs à leur bord. Finalement, et grâce à l’aide de son ami, le cheikh des dallalines, l’un d’entre eux accepta de les prendre avec lui, mais à un prix élevé. Il demanda également que le cheikh paye la moitié du salaire des ouvriers qui allaient assurer la garde sur le bateau.

Les transporteurs terminèrent leur travail et posèrent tous les bagages sur le bateau et leur annoncèrent que le départ du bateau se ferait après la prière de l’aube. Ils avaient entendu dire également qu’un grand convoi partirait de Rosette pour Le Caire, avec les bagages de grands commerçants ayant des liens étroits avec le Wali, et qu’ils rencontreraient le cortège s’ils arrivaient à la branche du fleuve qui se dirigeait vers Rosette avant midi, le lendemain. Ils pourraient ainsi être escortés par ce cortège important et jouir de la sécurité grâce aux gardes de force qui protégeaient ce convoi important, que ce soit grâce aux soldats qui accompagnent le convoi ou les jeunes escadrons qui sécurisent les deux rives.

De grandes caisses remplissaient la grande demeure, ce qui incitait tout le monde à se moquer, que ce soit du cheikh, dont la joie l’avait conduit à une certaine légèreté, ou des oncles qui avaient refusé d’accompagner leur frère dans son dangereux périple, ou encore des ouvriers dont l’excitation depuis la nouvelle du voyage prenait différentes formes et des enfants qui remplissaient la demeure de bruit et qui se trouvaient partout où quelque chose se passait qui avait affaire avec le voyage de leur frère pour ce pays lointain. Et à chaque fois que le cheikh demandait à sa femme d’arrêter d’envoyer des bagages, elle en faisait plus. La nuit avança et l’heure se rapprocha des coups de minuit. Les enfants se couchèrent sur place et le remue-ménage se calma. Tous retrouvèrent leurs lits pour se reposer un temps, soit peu avant de se réveiller à l’aube.

Pourtant, en cette lointaine nuit, ils ne connurent pas le sommeil, et avant l’aube, ils avaient posé les caisses et les paniers sur les dos des chameaux. Au moment de partir, le jeune homme versa quelques larmes qui traversèrent ses joues et se glissèrent à l’intérieur de sa moustache naissante. Très vite, et avant que sa mère ne se rende compte, il les essuya avec ses doigts. Lorsqu’il se courba pour embrasser ses sœurs qui dormaient profondément, d’autres larmes coulèrent de ses yeux et il se précipita pour les essuyer. Sa mère se rapprocha de lui et l’enlaça comme si elle faisait le geste de le garder. Elle l’enlaça longtemps et le cheikh se mit à toussoter pour qu’elle s’arrête. Elle quitta son fils et se précipita vers son épouse qu’elle enlaça de la même manière, longuement. Et lorsque le cheikh toussota à nouveau, elle la quitta. Ils partirent alors, hors de la demeure.

Le jeune homme sentit qu’il avait laissé son cœur là-bas, à cet endroit où sa mère et ses sœurs se tenaient sur le pas de la porte et où les rêves ne cessaient de miroiter devant ses jeunes frères. A chaque fois qu’il ressentait le besoin de se retourner pour remplir ses yeux des dernières images de la demeure, son jeune orgueil l’en empêchait. Il était convaincu que sa mère se tenait encore là-bas, dans l’attente d’un seul regard de lui. Finalement, il ne put résister et il se retourna. Sa mère se tenait sur le pas de la porte, debout, entourée de ses sœurs, cachant ses lèvres avec son voile et pleurant.

Il rassemblait toutes ses forces pour affronter l’aventure, mais il était angoissé à cause du départ. Il ne savait pas que ses quelques pas vers la ville des villes étaient la voie d’un parcours important qui en ferait de lui un savant, non seulement à Sérs ou Ménouf ou même dans la principauté de Ménoufiya, mais à travers tout le pays (…).

Traduction de Soheir Fahmi 

Retour au sommaire

Ahmad Sabri Aboul-Fotouh

Est né le 22 septembre 1953 dans le gouvernorat de Daqahliya. Il est diplômé de la faculté de droit en 1975 et a travaillé dans le corps juridique, puis s’est consacré à son travail d’avocat. Mais dès qu’il a publié son roman Malhamet al-saraswa, aux éditions Merit en 2009, classé parmi les cinq meilleurs romans de l’année par les critiques, un tournant dans sa vie s’est effectué. Cette épopée en cinq volumes, dont deux sont déjà sortis chez Merit, Al-Khoroug (l’exode), puis Al-Takwin (la genèse) en 2010 et le troisième, Ayyam okhra (d’autres jours), est en voie d’impression. Tandis que les deux derniers volumes ne seront pas publiés, selon la volonté de l’écrivain, de son vivant, pour des raisons familiales. Il s’agit de la saga d’une famille qui commence vers la fin du XVIIIe siècle et dont le parcours coïncide avec les grands événements de l’histoire de l’Egypte comme la campagne de Bonaparte sur l’Egypte, et l’avènement de Mohamad Ali au pouvoir. Ce sont des récits légués d’une génération à l’autre et dans lesquels l’écrivain Ahmad Sabri Aboul-Fotouh a gardé le ton des contes cités par ses grands-parents. Il a déjà publié en 2000 Taër al-chouk (l’oiseau aux épines), puis Wafat al-moallem Hanna (la mort du maître Hanna) en 2003.

 




Equipe du journal électronique:
Equipe éditoriale: Névine Kamel- Howaïda Salah -Thérèse Joseph- Héba Nasreddine
Assistant technique: Karim Farouk
Webmaster: Samah Ziad

Droits de reproduction et de diffusion réservés. © AL-AHRAM Hebdo
Usage strictement personnel.
L'utilisateur du site reconnaît avoir pris connaissance de la Licence

de droits d'usage, en accepter et en respecter les dispositions.