Vol De Tableau.
La disparition de « Coquelicots », de Van Gogh, dévoile des
failles sécuritaires dans presque tous les musées d’Egypte
et révèle aussi conflits et gabegie au sein du ministère de
la Culture.
Des musées sans gardiens
Le
récent vol de la toile de Vincent Van Gogh du musée Mohamad
Mahmoud Khalil est un signal d’alarme qui vient de mettre en
relief le problème de sécurité dans les musées égyptiens.
Une affaire qui oblige les responsables de revoir et de
réévaluer les systèmes de sécurité établis. Suite à
l’incident qui a placé de nombreuses personnes dans un état
de choc, la police égyptienne recherche activement cette
toile, « Coquelicots », qui a été découpée en plein jour de
son cadre d’un musée qui abrite l’une des plus importantes
collections d’art européen des XIXe et XXe siècles au
Moyen-Orient.
Alors que l’on ne trouve pas de trace du tableau, les
autorités ont eu recours à la manière forte avec les
responsables : cinq hauts fonctionnaires du ministère de la
Culture sont détenus, le musée est fermé et plusieurs
employés sont interdits de voyager. En fait, ce n’est pas le
premier incident du genre ces dernières années : 9 tableaux
ont disparu du palais Mohamad Ali de Choubra, 2 peintures de
Helmi Nada de l’Opéra. En 1996, un voleur s’est donné même
le luxe de passer la nuit au Musée du Caire. Et beaucoup
d’autres incidents ; et à chaque fois, les investigations
concluent à la négligence absolue de la part des
responsables du ministère de la Culture et à la défaillance
des systèmes de sécurité. Mais rien ne se fait. Malgré les
sommes énormes que verse le ministère de la Culture pour
rénover les musées et les dépenses allouées aux systèmes de
sécurité sophistiqués, il y a toujours de grosses lacunes
qui se révèlent après chaque cas. Au musée Mahmoud Khalil,
uniquement 7 caméras sur les 43 existantes fonctionnent et
même celles qui en principe le sont demeurent dans un très
mauvais état. Normal, puisque celles-ci sont installées
depuis 1995, et depuis, sans rénovation ni contrôle. « Les
caméras ne fonctionnaient pas depuis longtemps, tout comme
le système d’alarme », a indiqué un responsable des services
de sécurité sous le couvert de l’anonymat, en ajoutant
qu’aucune image du vol n’était disponible. Le procureur
général, Abdel-Méguid Mahmoud, a affirmé de son côté que «
la sécurité au musée Mahmoud Khalil était insuffisante »,
estimant que le dispositif installé était « de façade ». Il
a précisé que la toile avait été découpée « de manière
professionnelle », de quoi soulever différents doutes sur
cet incident. « Chaque tableau est équipé d’une alarme, mais
là aussi, elles sont toutes en panne », a-t-il dit. « La
sécurité des musées est une affaire très compliquée. Il est
vrai que sur papier tous les musées possèdent des systèmes
d’alarme et des caméras, mais la plupart ne fonctionnent
pas, et ceux qui fonctionnent sont en très mauvais état et
ont besoin d’entretien. Il faut au fur et à mesure suivre de
près ces systèmes et s’assurer de leur précision, et c’est
ce qui nous manque dans les musées », souligne à cet égard
l’égyptologue Abdel-Halim Noureddine, ex-président de
l’Organisation arabe des musées.
Parallèlement aux systèmes de technologies, il ne faut pas
marginaliser le côté humain qui est aussi d’une importance
majeure. « Il faut qu’il y ait des gardiens de sécurité
entraînés et de haut niveau, pour que la sécurité de
l’endroit soit complète », poursuit-il. Noureddine ajoute
que même le Musée égyptien du Caire, avec ses œuvres
pharaoniques uniques et objet de grande convoitise, manque
de sécurité complète. « La sécurité est plutôt de type
général, et ce n’est pas chaque vitrine qui est sécurisée,
comme cela doit être », souligne-t-il.
Achraf Al-Achmaoui, conseiller juridique du ministère de la
Culture, estime qu’en particulier, les pièces au musée
Mohamad Mahmoud Khalil sont mal placées. « N’importe quel
visiteur peut toucher les peintures, malheureusement, les
musées ont recours à des compagnies de sécurité privées qui
n’ont aucune expérience dans ce genre de travail. Le
ministère de l’Intérieur assure seulement la sécurité à
l’extérieur et n’est pas responsable de tout ce qui se passe
à l’intérieur », souligne Al-Achmaoui. Une contribution plus
importante du ministère de l’Intérieur est une idée qui
pourrait être lancée pour assurer à l’intérieur des musées
une sécurité plus professionnelle. Dr Ihab Youssef, expert
en gestion des crises sécuritaires, assure que le système en
Egypte n’obéit pas à des critères scientifiques, précisant
qu’uniquement 5 musées sont sécurisés par des caméras et des
systèmes d’alarme 24h sur 24, qui sont les musées égyptien,
d’art islamique, copte, gréco-romain d’Alexandrie et celui
de la Nubie. D’ailleurs, cela est théorique, comme on le
constate, puisque les systèmes ne marchent pas.
Nombreuses critiques
Le vol de la toile de Van Gogh a suscité en plus un fort
débat entre les responsables du ministère de la Culture. La
question qui se pose : Qui en est responsable ? Est-ce le
ministre de la Culture Farouk Hosni ? Ou est-ce Mohsen
Chaalane, directeur des musées artistiques ? Les deux se
rejettent la balle. Ce dernier assure qu’il est venu à ce
poste en 2006 quand déjà toutes les caméras étaient en panne
et a demandé à plusieurs reprises, et de façon officielle,
de lui allouer une somme de 40 millions de L.E. pour assurer
des travaux de restauration et de rénovation de plusieurs
musées, dont celui de Mohamad Mahmoud Khalil, mais en vain.
Chaalane a annoncé dans un entretien au quotidien Al-Ahram :
« Toutes mes demandes sont restées vaines et le ministre ne
s’est même pas donné la peine de discuter l’affaire avec
moi, alors que parallèlement, il accorde une importance
majeure au grand musée égyptien prévu sur la route Le
Caire-Fayoum et celui de la civilisation à Fostat, qui vont
coûter des millions. Pourquoi n’a-t-il pas donné
d’importance à mes demandes répétées ? ». Pour sa part, le
ministre se défend en assurant que Chaalane avait toutes les
prérogatives de ministre et bénéficiait d’un budget qui lui
permettait de rénover le système d’alarme et de sécurité.
Des accusations mutuelles qui restent un grand point
d’interrogation attendant le retour hypothétique de la toile
de Van Gogh.
Suite au vol, le ministre de la Culture a pris la décision
de créer une salle de contrôle central à la Citadelle pour
tous les musées de l’Egypte. Celle-ci serait sous la
surveillance directe du ministre et serait dirigée par la
sécurité nationale. Celle-ci aura pour but de découvrir
toute panne dans la sécurisation des musées artistiques ou
patrimoniaux dans les différents endroits de l’Egypte. En
outre, le ministre de la Culture a affirmé que le problème
réside dans les personnes qui en sont en charge et qui n’ont
aucun sens de la responsabilité. Le ministre se défend
ainsi. Cependant, des voix se sont levées demandant la
démission de Farouk Hosni, qui est responsable de façon ou
d’une autre de cette négligence, alors que d’autres le
défendent, jetant la balle sur les petits fonctionnaires qui
sont sous la direction de Chaalane.
Une dizaine de visiteurs
Le vol de la toile de Van Gogh dénote de l’absence absolue
non seulement des systèmes techniques et des hommes de
sécurité, mais aussi du manque de visiteurs qui fréquentent
les musées, chose qui a facilité le vol. Un aspect qui
marque l’ignorance d’une grande partie des Egyptiens des
trésors et œuvres se trouvant dans leurs musées et témoigne
d’un manque d’intérêt pour la culture. « Les Egyptiens en
général ne visitent pas les musées, c’est une culture qu’ils
ne possèdent pas ». Bien que le ministère de la Culture
verse, depuis des années, des sommes importantes pour les
travaux de rénovation et de construction de nouveaux musées,
le revenu reste toujours encore moins que modeste. C’est
d’ici que vient la négligence et l’ignorance des hommes de
sécurité qui ne peuvent ni comprendre ni évaluer la valeur
des pièces qu’ils sécurisent. La plupart des gardiens qui
veillent à la sécurisation des pièces artistiques ou
archéologiques ne conçoivent pas la valeur de ces pièces. Il
faut recommencer à zéro. Il faut éduquer les enfants et leur
apprendre la valeur des trésors que possède l’Egypte dans
ses musées. D’ailleurs, c’est seulement il y a quelques mois
que le ministère de la Culture a signé un accord avec celui
de l’Education afin d’éveiller la conscience patrimoniale
chez les jeunes étudiants, en organisant des excursions dans
différents endroits et sites culturels, essayant ainsi à
apprendre aux jeunes la valeur du patrimoine égyptien. De
plus, Abdel-Halim Noureddine considère que ce peu d’intérêt
relevé à l’égard de l’art et du patrimoine peut avoir des
effets négatifs quant à la campagne égyptienne pour la
récupération des pièces se trouvant à l’étranger. « Un tel
incident pourrait être un facteur qui pousserait l’Unesco à
ne pas trop soutenir l’Egypte dans ses revendications,
puisque c’est un pays qui n’arrive pas à préserver ses biens
culturels et historiques. De telles affaires sont une
mauvaise presse pour l’Egypte », poursuit-il.
De toute façon, l’heure à présent est à la recherche du
tableau sans que l’on néglige les autres aspects touchant la
question, à savoir les responsabilités incombant aux
officiels et la nécessité d’une politique permettant de
faire prendre conscience de la valeur d’un patrimoine
méconnu, du moins vu par les Egyptiens comme étant destiné
aux touristes.
La police continue de rechercher activement la toile et ses
voleurs, notamment dans les aéroports et les ports du pays.
Deux enquêtes parallèles ont été lancées, l’une par le
Parquet, l’autre par le Parquet administratif, qui tous deux
interrogent les responsables et employés du musée Mahmoud
Khalil. Un cafouillage avait suivi l’annonce du vol de la
toile, le ministre de la Culture affirmant, plusieurs heures
après l’événement, qu’elle avait été retrouvée avec deux
Italiens arrêtés à l’aéroport du Caire. Mais il avait
ensuite été contraint de faire marche arrière en intervenant
dans la soirée en direct par téléphone à la télévision
publique. Il a expliqué à la télévision égyptienne que le
tableau n’avait finalement pas été récupéré, imputant
l’erreur à un responsable du ministère. Ce membre du
ministère, Mohsen Chaalane, a été suspendu, ensuite retenu
par le Parquet. Et comme dans un roman policier, on a fait
état de deux suspects mystérieux. Deux Italiens dont on ne
connaît pas l’identité. Puis ce fut un revirement, on parle
maintenant de deux Egyptiens qui seraient entrés au musée le
jour du vol. On essaie de leur établir des portraits robots
selon leur signalement. De toute façon, rien n’est clair à
ce sujet. Pour tenter d’aller de l’avant, l’homme d’affaires
Naguib Sawirès a annoncé qu’il réservait une prime d’un
million de L.E. pour toute information pouvant aider à
trouver le tableau. Et l’espoir est basé sur le fait que la
vente du tableau serait difficile, voire impossible, comme
le souligne le ministre de la Culture, se voulant rassurant.
« Le voleur ne pourra pas vendre le tableau et l’Interpol a
été informé de l’affaire par le biais du ministère de
l’Intérieur ».
L’opinion est ainsi mobilisée. Et nous ne sommes qu’au
premier épisode de ce feuilleton en souhaitant que le
dernier intervienne vite.
Hala
Fares