Télévision.
Deux feuilletons ramadanesques
racontent les destins, plus ou moins tragiques, de deux
reines égyptiennes : Cléopâtre et Nazli,
permettant aux téléspectateurs de s’imprégner d’histoire à
travers la fiction.
Deux reines, un seul malheur
Si
le mois du Ramadan se caractérise cette année par le grand
nombre de feuilletons diffusés, deux fictions étaient très
attendues par les fans des œuvres historiques consacrées à
ces deux reines égyptiennes : Cléopâtre et
Nazli.
Les parallèles entre les deux feuilletons, diffusés à
l’occasion du Ramadan, avec les sorts des deux protagonistes
se dessinent naturellement. A travers leurs différentes
héroïnes tout d’abord. Cléopâtre (campée par la Syrienne
Soulaf
Fawakherji) et Nazli (par
l’Egyptienne Nadia Al-Guindi)
sont deux femmes qui ont exercé le pouvoir et qui ont connu
l’amour et les déceptions. Elles partagent ce don de
l’ennui, du spleen luxueux et de la beauté mélancolique.
Elles ont toutes les deux cet esprit de jeunes femmes qui ne
veulent pas quitter leur coquetterie et leurs ambitions.
Toutes les deux se recherchent, sans véritablement se
retrouver. Elles sont toutes les deux amoureuses, plus ou
moins infidèles par dépit, délaissées par des hommes quasi
transparents.
Néanmoins, il est impossible de se borner à faire des
comparaisons, tant chacune possède une certaine spécificité
éclatante.
Commençons par le feuilleton le plus controversé, Cléopâtre.
D’une production égyptienne au financement arabe, interprété
par la comédienne syrienne Soulaf
Fawakherji, qui a notamment
interprété avec brio Asmahane
durant un Ramadan passé, le feuilleton portant sur la
légendaire reine d’Egypte Cléopâtre vient de provoquer la
colère des théoriciens et des historiens. Réalisé par le
Syrien Waël Ramadan — mari de
l’héroïne —, le feuilleton s’est trouvé, dès son premier
épisode, sujet à de vives critiques des historiens, avancés
initialement par l’égyptologue Zahi
Hawas, le secrétaire général du Conseil suprême des
antiquités, qui n’a pas hésité à qualifier l’œuvre comme
étant « de la stupidité historique qui déforme l’image de
cette dernière reine égyptienne et falsifie l’histoire
pharaonique ».
Visant à jeter la lumière sur la biographie de Cléopâtre,
seizième reine de la dynastie ptolémaïque, cette œuvre
dramatique a — d’après les égyptologues — commis certaines
erreurs historiques, dont le décor qui renferme certaines
pièces ottomanes et non ptolémaïques, le maquillage qui fait
paraître les acteurs tout à fait loin de la réalité des
personnages historiques abordés dans l’œuvre,
l’interprétation de Soulaf
Fawakherji et de plusieurs
comédiens qui manque souvent de sincérité et de crédibilité,
et avant tout, la véracité historique, parfois absente, à
cause des événements fictifs qui se contredisent avec les
faits historiques.
De sa part, l’équipe du feuilleton n’a pas cessé de déclarer
son intention de « présenter une œuvre dramatique au fond
historique et non pas l’histoire dans une fiction dramatique
», réfute Tareq Siam, producteur
du feuilleton.
En fait, le feuilleton fait la lumière autant sur la vie
familiale et sentimentale de Cléopâtre que sur son exercice
du pouvoir et sa réputation politique. Le téléspectateur est
projeté dans l’univers d’une reine, d’une jeune fille née
avec une cuillère en or dans la bouche. On comprend tout de
suite que ce que le scénariste va décrire est très loin
d’une œuvre purement historique.
Dans certains épisodes, on voit la légendaire reine d’Egypte
versant des larmes et lançant des soupirs d’amour en pensant
à son amoureux, dans des moments intimes. Ceci est bizarre
pour les fans de cette reine connue par sa grande puissance
et sa forte personnalité.
Loin du cadrage assez recherché, allant dans quelques scènes
jusqu’à l’artificiel, ce qui double les barrières entre
l’image et son récepteur, le feuilleton manque d’un certain
éclat et d’une certaine richesse visuelle nécessaires pour
ce genre d’œuvre historico-fictive. Et même si l’aspect
historique risque, en effet, d’être désavoué comme
l’objectif principal du scénario, on s’attendait à une œuvre
plus riche, qui devait être à la hauteur de cette reine et
de sa biographie très fertile pour les scénaristes.
Entre fiction et réalité
Autre grande femme de l’Histoire, incarnée également sur
écran ce Ramadan, la reine Nazli,
mère du roi Farouq et l’épouse
de Hassanein pacha, ministre du
Palais royal, et dont la vie est abordée également à travers
le feuilleton Malika fil manfa
(une reine à l’exil) écrit par Rawya
Rached et
Achraf Mohamad, et réalisé par le tandem Mohamad
Zoheir
Ragab et Waël
Fahmi
Abdel-Hamid.
Plongé de sa part dans une phase assez délicate et bien
connue de l’histoire égyptienne, le feuilleton sur la reine
mère Nazli n’a pas pu échapper
aux critiques des historiens, soulignant cette fois-ci un
nombre de faits dramatiques incertains historiquement.
De leur part, certains historiens ont été scandalisés par
certaines retouches données par le feuilleton aux vérités
historiques, critiquant également l’idée de commencer les
événements de l’œuvre par le mariage de la reine
Nazli avec le roi Ahmad Fouad au
lieu de débuter cela par le départ de la reine en 1946, au
lendemain de la mort de son mari le roi Fouad. D’après les
spécialistes, ceci « s’oppose même au titre du feuilleton !
»
Dramatiquement parlant, l’œuvre semble être composée de
tableaux autant que de scènes. Certes, c’était une bonne
idée au départ : montrer que Nazli,
malgré son rang noble, ses richesses et la somptuosité de
son entourage, était une femme qui se sentait seule, une
femme qui veut vivre selon la grandeur de ses sentiments.
Mais fallait-il ennuyer le téléspectateur, afin de montrer
que la reine est une personne qui déprime et s’ennuie ? Les
tableaux passent parfois trop vite et de manière décousue,
silencieuse, à partir du mariage de la reine jusqu’au début
des souffrances sentimentales de la reine mère qui aspire à
vivre sa propre vie, loin de la famille royale. Là, tout
défile comme si la touche rapide de la télécommande était
bloquée.
Tout en recourant à certaines vérités historiques, le
portrait de Nazli reste
toutefois désespérément vide et sans nouveau relief, alors
que c’est sur sa personnalité que l’œuvre semblait vouloir
mettre l’accent.
« Je n’ai pas de passion particulière pour les œuvres
historiques, mais j’étais avide de concrétiser autrement le
personnage de Nazli à l’écran,
puisque je sens — comme toute l’équipe du feuilleton —
qu’elle était victime des mauvaises langues et de ses
ambitions qui se dirigeaient souvent vers le bien de son
fils, le roi Farouq, même aux
dépens parfois de sa joie et de la paix intérieure »,
explique la comédienne Nadia Al-Guindi.
Et de conclure : « Elle n’est ni sainte, ni démon, mais une
femme qui recherchait un équilibre entre sa vie privée et la
vie de palais ».
Il s’agit plutôt d’une biographie très librement adaptée, et
surtout presqu’aussi personnelle.
En bref, ces feuilletons s’obstinent malheureusement à
retracer une vision qui ne correspond que rarement aux faits
comme ils se sont déroulés réellement, prouvant qu’entre la
réalité et la fiction, le chemin pourrait être bien long.
Yasser
Moheb