Théâtre.
Dans son adaptation de l’œuvre de Friedrich Durrenmatt,
L’Ombre de l’âne, le metteur en scène Islam Emam parodie et
critique la société égyptienne. Présentation.
Un procès fantaisiste
La
voix d’un sage résonne dans la salle. Avec un ton du passé
et un air ironique il annonce : « Voici l’histoire de ce
village, Rokn Al-Zawiya. Que s’est-il-passé ? ». C’est ainsi
que la pièce de théâtre débute. Il s’agit de la pièce de
théâtre Zel al-homar (l’ombre de l’âne), une adaptation et
une mise en scène de l’œuvre de l’Allemand Friedrich
Durrenmatt par le jeune metteur en scène Islam Emam,
présentée actuellement dans la salle du Centre de créativité
artistique. Cette création constitue le premier projet
théâtral réunissant les diplômés du studio de l’acteur
dirigé par Khaled Galal. « Notre objectif est de créer une
compagnie théâtrale qui s’éloigne de la bureaucratie. On
cherche à offrir aux jeunes diplômés de la première et de la
deuxième promotions l’occasion de rejoindre la compagnie et
travailler d’une manière professionnelle », souligne Galal.
Le texte de Durrenmatt est en fait une pièce de théâtre
écrite pour la radio misant sur l’humour et la fantaisie,
voire l’absurdité. Il s’agit d’un dentiste qui décide
d’aller soigner un malade dans un village lointain. Pour ce
faire, il loue un âne pour le déplacement. Ainsi, le
dentiste, enfourchant l’animal escorté par son propriétaire,
entame son voyage dans le désert. Sous une chaleur
écrasante, il met pied à terre afin de s’abriter du soleil à
l’ombre de l’âne. Le propriétaire, furieux, lui réclame de
l’argent sous prétexte que l’âne est loué pour le
déplacement et non pour profiter de son ombre. Le conflit
s’exacerbe au point d’impliquer les autorités et le peuple.
Le procès divise le pays en deux camps : les partisans du
dentiste et les défenseurs du propriétaire de l’âne. C’est
la guerre et la chute du pays.
Emam, dans son adaptation, a opté pour la narration. C’est
presque un conte arabe du passé raconté comme les anecdotes
de Goha. Il a même adopté un langage dialectal actuel visant
à égyptianiser le texte. « Ce texte touche bien notre réel
et notre vie sociale et comporte une ironie et une critique
acerbe », explique Emam dans la presse. Ainsi trouve-t-on
dans cette nouvelle version une image sarcastique de la
société. Avec beaucoup d’humour, il dénonce l’avidité des
arrivistes, l’esprit candide de certains et l’intérêt
accordé aux trivialités. N’empêche de souligner la démesure
et l’exagération que les médias ont adoptées.
Au niveau de la mise en scène, le jeu est dévoilé à travers
la narration. D’où une série de flash-back. Des scènes
introduites et commentées souvent par les héros eux-mêmes.
Misant sur le jeu, le comique et l’humour noir, le metteur
en scène a bien sélectionné ses comédiens et retravaillé les
situations comiques de sa pièce. Ainsi, il a créé des types
de personnages comiques, tel le juge qui répète à maintes
fois : la paix, dans une intonation ridicule rappelant les
slogans vains des leaders et des hommes politiques. S’ajoute
à ces personnages, la danseuse, qui joue à la belle
séduisante alors que c’est une femme très ordinaire qui se
comporte comme un petit enfant. De même, les avocats
impliqués : l’un représente le dentiste et appartient à une
classe des nouveaux riches, et l’autre représente le
propriétaire de l’âne, un arriviste qui sort son jeu au nom
des pauvres et des démunis.
Quelques scènes tournent en dérision les stars
d’aujourd’hui, lorsque les comédiens jouent, chantent et
dansent en les imitant. On assiste à une scène où le
dentiste et son avocat interprètent des musiciens de jazz en
pleine extase et qui chantent du blabla, ou encore quand le
propriétaire de l’âne fredonne avec sa femme les airs des
tubes américains et occidentaux.
De plus, le déguisement et l’interprétation des rôles
féminins par les hommes laissent échapper les éclats de rire
du public.
Le design, les habits et le décor, signés par Marwa Auda,
sont révélateurs d’une époque arabe lointaine. Les éléments
du décor simples sont bien manipulés sur scène par les
comédiens eux-mêmes … Une grande toile sert d’arrière-fond
où le jeu d’ombres chinoises reflète clairement le ventre et
les quatre pattes de l’âne, sous lesquels des images de
conflits et de guerres sont figées au début et à la fin de
la pièce. Une signification riche. L’éclairage et le
mouvement des acteurs sur scène nous transportent d’une
scène à l’autre rapidement d’où un enchaînement continu.
Beaucoup d’éléments contribuent à créer une scénographie
intéressante.
A la fin de la pièce, la guerre mène à la chute et le
narrateur s’interroge alors : qui est l’âne dans cette
histoire ?
Une
question pleine de sarcasme.
May
Sélim