Al-Ahram Hebdo, Littérature | Mahmoud Awad Abdel-Aal , Des trous dans l’aqueduc

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 Semaine du 18 au 24 août 2010, numéro 832

 

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Littérature

Mahmoud Awad Abdel-Aal s’aventure dans l’écriture de petites nouvelles, ces récits très courts qui côtoient le poème. En voici trois historiettes intitulées Des trous dans l’aqueduc, à la frontière du réel et de l’onirique. 

Des trous dans l’aqueduc

(Trois histoires)

1

Ce que je dis devant elle c’est une chose … mais quand on sera en groupe je garderai le silence. C’est promis. Ne touche pas au pari s’il te plaît. Je gagnerai. La dernière rangée, c’est moi qui le demande … Une seule place, heureusement …

Douter n’est pas admissible. Ils s’imaginent que mon voyage sera sans retour, malgré leur expérience passée et leur retour à eux. Des mécréants. Surtout que mes amis se fâchent sans cesse et sont rarement d’accord.

La fenêtre a été agrandie, la portière a été ouverte largement, comme pour composer une vue du haut d’une montagne plongeant vers la ville … Dès le premier pas, ses yeux se sont brouillés dans les couleurs.

Me voici dans la rue, entraîné par les pas des passants, d’un trottoir à un autre trottoir, d’une rue à un coin de rue et d’un café à rien du tout. Est-ce que je pense, cherche et essaye ? … Et tu ne t’arrêtes pas à un lieu. Qu’est-ce que tu veux que je fasse en plus de ce que j’ai fait, et que faire face à l’ingratitude ce cet être-là ?

Il désirait la voir sans autorisation de visite. Il l’a vue, dormant sous la fenêtre d’une petite mosquée attrayante. Quand il s’est approché, il a appelé d’une voix rauque, elle a chassé les mouches autour de son visage, à moitié étendue, et elle a souri, le visage défait. Il y avait en elle une tristesse profonde … Que tu sois préservée du mal, ô toi qui es chère … Tu n’es pas celle-là … Toi … Où et quand ?

Je suivais son ombre et ses pas hâtifs. Elle s’en allait précipitamment, fuyant les coups de feu fous comme la pluie. Et moi aussi je m’en allais très vite … Invoquons la clémence de Celui qui est Révélé … Je me suis retrouvé à la fin loin de moi-même … sur le toit d’un train délabré qui marche au charbon, avec une vapeur dense … Il ne voit pas sa direction … Partout, je n’arrive plus à discerner la nuit ou le jour.

2

Mona Lisa était une princesse … Elle venait à la maison du grand peintre, un modèle disponible à la demande, un front superficiel qui la mettait à l’abri de la séduction. Elle l’avait entendu le dire dans une lettre qu’il écrivait à un ami … Je vais l’édifier à nouveau, ce sera la cinquième année. Il ne me restait plus que la peindre plongée dans le bain.

Et quand elle l’a entendu, elle s’est rappelée sa vie et ses parents. Elle s’est souvenue de sa perfidie parfois et des souffrances qu’il lui infligeait en la laissant assise durant des heures, en vain. Elle a couru, promptement, et personne ne sait combien de temps l’artiste a passé ébranlé par un profond sentiment d’échec … Pour n’avoir pas pu l’atteindre … Elle avait grimpé sur tous les murs, tous les coins de la grande pièce, partout. Affrontant de nombreuses questions difficiles. Où suis-je parmi tout cela ? Descends, ma Dame. Quel dommage … Je serai fier de toi quand je quitterai ce monde … Elle l’a tancé d’un regard oblique, insistant, froid. Descends, ma Dame. Tu es une part de moi. Comme si j’avais préparé ma fin selon ta volonté. La mer est entre nous. La lumière pure, l’audace et l’eau qui étanche la soif. Essaye, ma Dame, tes yeux et ta tête sont une nouvelle évocation de mon enfance … Mon histoire … Je dois confesser que je suis dans l’erreur … J’ai dilapidé les années pour étouffer mon souffle, soigneusement … Comme une boîte de sardines vide et les restes d’un pain sur une table … Une nature morte !

3

Il étale sa grande taille et sa largeur à cause de sa corpulence. Personne ne se mettra sur mon chemin, personne ne me tordra le bras. On aurait dit à l’intonation de sa voix qu’il ne savait pas ce qui se passait entre ses enfants et qu’il ne pouvait pas le prévoir. Jour après jour, il était de plus en plus taciturne. Même la couleur noire, il en a dit : pour la joie et la peine … Après le suicide de sa fille à la mort d’un chanteur célèbre … Les années de sa vie … ce n’était pas cela la récolte … On a tant attendu la hache pour qu’elle vienne le démolir … La sonnette de la porte est là, à tout venant … On demande des linceuls pour les morts et de la nourriture pour les enfants … Donnez-en, de la boutique, à mes frais … Il ne faut pas en avoir peur, mes filles sont comme des cannes à sucre piquées par des vers depuis l’absence de leur sœur. Je ne supporte pas de le voir s’humilier. Nous avons une terre en héritage. Il dit : pas maintenant … Nous avons du temps devant nous pour amasser de l’argent, de l’or et des plaisirs. C’est bon de patienter … je te rappellerai un jour ce que je suis en train de te dire !

Au croisement de la place Tahrir, on l’a trouvé avec un porte-voix, collectant de l’argent pour construire une mosquée ou une église ou une école, un hôpital, une usine, un immeuble … Il conduit la cabine d’un camion sans benne. Il tourne et tourne encore autour du centre, de sa pelouse arborée et le monument vide. Il vire par moments vers la gauche, puis ajuste la conduite à droite … peut-être qu’il trouvera des cœurs … voici un malade cherchant un remède. Il est anxieux et s’évertue à le chercher dans chaque pharmacie.

Le bruit des freins d’un camion avec remorque qui saute soudain dans le temps qu’on a oublié … On a fait cercle tout autour, comptant à la dérobée les battements de son cœur et épiant ses réactions. Il a levé l’index et a tracé des lignes sur sa poitrine … comme pour demander une cigarette. Tous ceux qui étaient présents sont montés sur des jambes frêles comme des gazelles. L’un après l’autre ils se sont envolés, pris par un courant irrésistible. Ils se sont rassemblés tout autour des mausolées, des demeures des hommes vertueux aimés de Dieu et des prodiges des Soufis ; ils demandaient pour lui le pardon, sur le compte de sa boutique.

Traduction de Suzanne El Lackany

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Mahmoud Awad Abdel-Aal

Mahmoud Awad Abdel-Aal est né à Alexandrie en 1943.

Il a fait ses études à Al-Azhar puis à l’Université du Caire.

Il a publié son premier roman en 1970, Sokkar morr (sucre amer), réédité en 1980 chez l’Organisme général du livre (GEBO).

Son premier recueil de nouvelles, Allazi marra ala al-madina (celui qui est passé par la ville, Dar Al-Maaref, 1974), a été publié en 1974.

Il a ensuite publié plusieurs recueils de nouvelles et romans, dont Aïn samaka (l’œil du poisson) en 1980 chez Dar al-kitab, à Beyrouth.

 




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