Le ministre de l’Agriculture,
Amin Abaza, s’exprime
sur les relations de l’Egypte avec les pays du Bassin du
Nil, l’augmentation du prix du blé et le secteur du bétail
et de la viande, stratégiques durant le mois du Ramadan.
« Notre dialogue se concentre aujourd’hui avec l’Ethiopie et
l’Ouganda »
Al-ahram
hebdo : Le prix du blé, dont l’Egypte importe la moitié de
sa consommation, a connu un envol spectaculaire après les
incendies russes et la forte spéculation sur les marchés.
Quels effets peut-on craindre pour l’Egypte ?
Amin Abaza :
Nous sommes prêts à une telle situation avec une réserve
stratégique qui couvre quatre mois de consommation, ce qui
est suffisant jusqu’à ce que les marchés mondiaux se
stabilisent. Les derniers jours ont déjà connu une baisse
légère des prix. En plus, la Russie n’a pas annulé les
livraisons de blé qu’elle devait envoyer, elle les a juste
réechélonnées sur une plus longue période.
— Comment évaluez-vous la relation de l’Egypte avec les
Etats du Bassin du Nil, notamment après les récents
problèmes entre les pays en amont et en aval du fleuve ?
— Notre dialogue avec ces Etats se concentre plus
particulièrement aujourd’hui avec l’Ethiopie et l’Ouganda.
Quant à la Tanzanie et le Kenya, leur influence est minime
pour ce qui est de la quantité d’eau dont nous avons besoin.
L’Egypte n’a jamais oublié le dossier africain. J’ai
personnellement visité l’Ethiopie 7 fois durant les 5
dernières années, le Soudan 9 fois et l’Ouganda 3 fois et
j’ai rencontré les ministres de l’Agriculture de ces pays.
Les responsables dans les Etats du bassin africain sont
conscients de l’importance du rôle de l’Egypte, pour fonder
des relations basées sur des principes et des intérêts
communs. Or, le problème est que les peuples dans ces pays
ne comprennent pas ce rôle. Par exemple, bien que le rôle de
la Tanzanie soit le moins influent dans le dialogue
actuellement en cours, certains responsables dirigent un
mouvement d’opposition à l’intérieur des Etats du Bassin du
Nil, bien que le président tanzanien appuie la position de
l’Egypte et soutienne continuellement nos réclamations. Il a
dernièrement visité l’Egypte et rencontré le président
Moubarak, ce qui prouve la profondeur des relations entre
les deux pays. L’Egypte déploie d’énormes efforts pour
convaincre les Etats du bassin que l’action commune signifie
réaliser des intérêts communs pour toutes les parties. Il
est important d’effacer totalement des esprits l’idée qu’il
y a une partie gagnante et une autre perdante et le message
de l’Egypte ne parviendra aux peuples du Bassin du Nil que
par l’augmentation des investissements en Afrique dans
divers domaines.
— L’importation du bétail d’Afrique est-elle donc une
décision politique ?
— L’importation du bétail ainsi que des viandes fraîches ou
congelées des Etats du Bassin du Nil constitue un des
facteurs de renforcement des relations commerciales entre
l’Egypte et ces Etats. De plus, le bétail existant dans les
pâturages africains est conforme aux conditions de santé
fixées par des comités vétérinaires pour protéger notre
richesse animale.
— La rue égyptienne ne fait pas confiance à ces viandes
exportées. Ce qui a causé une hausse exorbitante des prix de
la viande locale, surtout à l’approche du Ramadan. Qu’en
pensez-vous ?
— Ce manque de confiance est provoqué par des rumeurs
répandues par les entreprises locales en concurrence parce
que chacune veut s’accaparer le marché local. J’appelle donc
le public à ne pas accorder trop d’importance à ces rumeurs,
surtout que les prix des viandes locales vont baisser à
nouveau. Et je voudrais assurer que les viandes exportées
passent par plusieurs phases d’examen et de contrôle, et il
faut savoir que 13 millions de touristes visitent l’Egypte
chaque année et consomment ces viandes en toute sécurité.
— Certains pensent également que le ministère n’accorde pas
de grand intérêt à la question de l’envoi de comités
vétérinaires pour examiner les viandes à l’étranger. C’est
aussi votre avis ?
— L’Egypte est l’unique Etat du monde qui envoie à
l’étranger ce genre de comités. J’ai appris par les
ministères de l’Agriculture en Arabie saoudite, au Koweït et
aux Emirats arabes unis qu’ils n’envoyaient pas ce genre de
comités malgré les conditions très strictes qu’ils imposent
à l’importation des viandes.
— Etes-vous donc satisfait du travail de ces comités
vétérinaires ?
— Non, je ne suis pas satisfait parce que les comités
voyagent aux frais de l’importateur. De plus, le nombre de
membres dans chaque comité n’est pas suffisant pour examiner
tout le bétail. Le ministère tente actuellement de conclure
un accord avec les grands Etats exportateurs de viande pour
qu’ils assument la responsabilité des certificats d’hygiène
qui prouvent que le bétail est halal et qu’il est conforme
aux normes vétérinaires égyptiennes.
— Mais on prétend que le nombre d’abattoirs est insuffisant
pour couvrir la diversité des sources d’importation. Quel
est votre avis sur la question ?
— Ceci est tout à fait vrai. Le nombre d’abattoirs est
insuffisant. L’entrée du secteur privé dans ce domaine est
une nécessité impérative pour construire des abattoirs
modernes aux points d’arrivée du bétail, comme à Port-Saïd
et Safaga.
— Revenons au problème de l’eau. Où en est le projet de
modernisation des systèmes d’irrigation des champs ?
— C’est un projet colossal. Il économisera 10 milliards de
mètres cubes d’eau, capables de bonifier près de 2 millions
de nouveaux feddans (840 000 ha) dépassant 4 fois ce que
dépensera l’Etat pour ce projet. Le secteur privé y jouera
un rôle important en participant au développement de
l’irrigation des plantations d’agrumes dont la surface
s’élève à près de 700 000 feddans (294 000 ha). Cela afin
d’élever les revenus de près de 1,5 million d’agriculteurs
d’agrumes. Le ministère des Finances a d’ailleurs crédité
les sommes consacrées au lancement du projet.
— Quelle est la position du ministère quant aux
constructions en terres agricoles ?
— Le ministère a promulgué des législations, lois et
décisions pour protéger les terres agricoles. Cependant,
elles ne sont pas appliquées comme il se doit par les
responsables dans les gouvernorats.
— Le gouvernement est accusé d’avoir échoué dans sa lutte
contre la grippe aviaire. Qu’en dites-vous ?
— L’Egypte est le seul pays au monde dont l’élevage de
volailles concerne 9 millions de familles rurales. Nous ne
sommes pas parvenus aux foyers du virus car les cultivateurs
n’ont pas réalisé le danger que représente l’élevage
domestique.
— Le fonds d’indemnisation consacré aux pertes causées par
la grippe aviaire peut-il être utilisé pour compenser
l’élevage domestique à la campagne ?
— Comme je l’ai dit, nous avons 9 millions de foyers à la
campagne qui élèvent des volailles. Ils peuvent bénéficier
du fonds à condition de signaler l’atteinte de leurs
volailles. Le vétérinaire doit alors prouver la maladie et
exécuter les volailles malades. L’indemnisation s’élève à 50
% de leur valeur et n’est versée qu’une seule fois. Le
capital du fonds a atteint 30 millions de livres.
— Certains pensent que l’agriculture est une perte pour les
agriculteurs à cause de la hausse des prix des engrais.
Qu’en pensez-vous ?
— Ces prétentions sont exagérées. Lorsque j’ai accédé au
ministère de l’Agriculture il y a cinq ans, il y avait une
crise flagrante dans le domaine des engrais. Prétendre que
l’agriculteur obtenait les engrais à bas prix et que le
gouvernement a élevé les prix n’est pas correct. Il obtenait
une partie de ses besoins à prix réduit puis achetait le
reste à des prix très élevés sur le marché noir. La moyenne
de ce qu’il versait était donc élevée. La première chose que
j’ai alors faite a été d’augmenter les prix pour qu’ils se
rapprochent des taux mondiaux, pour deux objectifs. D’abord,
assimiler la production des usines du secteur privé qui
n’étaient pas intéressées par le marché local à cause de ses
bas prix et, par conséquent, réduire le fossé sur le marché
local entre la production et la consommation. Puis, réaliser
une certaine abondance pour mettre terme à l’état de panique
dont souffrait l’agriculteur et adresser un message fort au
marché noir. Cela pour parvenir en fin de compte au résultat
que la hausse des prix est en fait une baisse des prix des
engrais qui sont maintenant disponibles à tout moment en
grandes quantités, au lieu d’un prix réduit pour des engrais
qui ne sont pas disponibles.
— Quel fut donc le résultat ?
— Depuis près de 3 ans, il n’y a pas eu de crise de manque
d’engrais dans les deux saisons hivernale et estivale. Au
contraire, la hausse des prix a poussé les agriculteurs à
rationaliser leur consommation de 30 %. Nous avons donc mis
un terme à l’emploi abusif des engrais.
— Pourquoi avez-vous promulgué une décision d’interdire au
secteur privé la livraison des engrais ?
— J’ai pris cette décision car je ne pouvais pas contrôler
la livraison et afin de savoir où se trouvait le véritable
déséquilibre dans le secteur des engrais et de placer les
autres parties sous le contrôle de la banque agricole, des
coopératives agricoles et des compagnies productrices.
— Certains pensent que la corruption est importante dans le
secteur agricole. Comment faites-vous face à ce problème ?
— Le secteur agricole touche directement la vie des
populations. Par conséquent, la corruption, même d’ampleur
limitée, exerce une forte influence sur le quotidien des
citoyens. Lorsque je découvre des corruptions, je n’hésite
pas à les transmettre aux organismes de contrôle et à
frapper d’une main de fer ce phénomène .
Propos recueillis par Magda Barsoum