Emigration .
Des villageois d’Aghour Al-Soghra, dans le gouvernorat de
Qalioubiya, souffrant de chômage, ont trouvé un moyen pour
envoyer leurs enfants en Italie : les faire adopter par des
familles égyptiennes ou des proches installés dans ce pays.
L’adoption, une alternative à l’émigration clandestine
Aghour
Al-Soghra, un petit village du gouvernorat de Qalioubiya,
pas très loin du Caire. A l’entrée de l’agglomération, on
aperçoit une dizaine de camions rangés sur les deux côtés de
la route. Les conducteurs de ces camionnettes se roulent les
pouces durant des heures et des heures, voire des journées
entières, en attendant du travail. Au cours des dernières
semaines, le travail dans le domaine du transport se fait
rarissime. « Les gens préfèrent actuellement le toc-toc à
nos camionnettes, ils les trouvent plus confortables et
moins chers », explique Réda, un des chauffeurs, qui joue
aux dominos avec ses collègues en attendant un client. « Nos
camionnettes étaient le seul moyen de transport des
marchandises et des gens, surtout les ouvriers et les
journaliers. Mais les motos chinoises, qui se vendent à 2 ou
3 milles L.E., ont provoqué ce chômage », ajoute Réda. Le
transport par camionnettes était une activité essentielle
dans ce village où l’activité économique est basée sur
l’agriculture. « Je ne possède pas de terrain agricole, mon
père l’a vendu pour payer les frais d’émigration de mon
grand frère. Travailler comme journalier ne peut pas
subvenir aux besoins de ma famille. Nous ne possédons
malheureusement pas d’autres activités économiques dans ce
village. Il n’existe aucune compagnie ni usine pour absorber
la main-d’œuvre. Je n’avais pas d’autre solution que
d’acheter une camionnette à crédit pour pouvoir travailler
», se plaint Taha Al-Sayed.
Avec le chômage et les pressions économiques, l’émigration,
notamment en Italie, est devenue le rêve de tous les
habitants du village, qu’ils soient jeunes ou âgés. Les
villageois sont encouragés par les expériences réussies de
la plupart des jeunes qui ont pu partir pour l’Italie
clandestinement et qui sont revenus avec de grosses sommes
d’argent pour acheter un terrain à cultiver, construire une
maison style italien et se marier. Il est très facile de
faire la distinction entre un homme qui vient d’Italie et
les autres : son visage rayonne d’espoir, sa façon de
s’habiller, bref, sa façon d’être est différente.
Une astuce : l’adoption
L’émigration clandestine vers l’Europe était donc le rêve
des villageois. Mais comment partir ? L’émigration est
soumise, depuis quelque temps, à un contrôle strict. Les
habitants d’Aghour Al-Soghra ont trouvé une solution, une
alternative à l’émigration clandestine : envoyer leurs
enfants en Italie à travers l’adoption. Selon les mesures
prises nouvellement en Italie visant à contrôler
l’immigration clandestine, toute personne qui vit et
travaille dans ce pays peut recevoir, par la voie de
l’adoption légitime, un ou deux enfants de sa famille du
premier ou du second degré âgés de moins de 18 ans. Et cette
personne en serait totalement responsable. C’est ainsi que
plusieurs familles ont eu recours à ce moyen pour y envoyer
leurs enfants. Tout se passe légalement avec des documents
certifiés par les autorités égyptiennes et italiennes. La
procédure est simple. Le père de famille se présente au
tribunal et renonce légalement à la tutelle de son fils. Le
tribunal lui livre alors une attestation qu’il présente à
l’ambassade d’Italie au Caire. Grâce à ce document, le père
de famille peut légalement envoyer ses enfants en Italie
auprès de familles adoptives dans ce pays. L’enfant est
censé rester chez ses parents adoptifs et sous leur
protection jusqu’à ce qu’il atteigne l’âge de 16 ans et
commence ensuite à travailler d’une manière légale après
avoir reçu de l’Etat un permis de séjour. « Au lieu de payer
des milliers de L.E. aux passeurs et d’exposer nos enfants
au danger de la mer, nous les envoyons un peu tôt chez l’un
de nos parents et ils attendent chez lui jusqu’à ce qu’ils
soient en mesure de travailler », dit Taha Abdel-Alim, un
sexagénaire qui a trois jeunes enfants âgés de 13 à 16 ans.
Il raconte qu’il a envoyé son fils aîné à son frère par le
moyen d’adoption.
Depuis que le village a découvert cette procédure, tout le
monde s’y est mis jusqu’au jour où le quotidien indépendant
Al-Masry Al-Youm en a parlé. Le quotidien, qui a publié une
enquête sur ce village, affirmait que les habitants vendent
leurs enfants à des couples européens, dénonçant un trafic
d’enfants. Cette enquête a provoqué la colère et
l’indignation des villageois d’Aghour. « Nous ne vendons pas
nos enfants, au contraire, nous essayons de leur assurer un
bon avenir. En plus, ils poursuivent leurs études dans les
écoles italiennes gratuitement, apprennent un métier et
pourront ainsi obtenir facilement un travail. S’ils restent
ici, ils n’auront rien et seront obligés, à un certain
moment, de partir clandestinement, mais s’ils partent à leur
tendre âge, ils n’auront pas recours à l’émigration
clandestine », assure Mansour, un des villageois. Sobhi Emad,
jeune professeur, se dit choqué depuis la publication de
cette enquête. « Mes amis des autres villages et tous ceux
qui me rencontrent et savent que j’appartiens à Aghour me
regardent avec mépris et trouvent criminels les habitants de
mon village, parce qu’ils vendent leurs enfants en échange
d’une somme d’argent », explique Sobhi. Et d’ajouter qu’il
n’est pas vrai que les habitants donnent leurs enfants en
adoption à un étranger ou à un Européen, mais à un parent à
qui on fait confiance. Il explique que contrairement à ce
qu’a répandu l’enquête du quotidien, les villageois
s’entraident pour l’intérêt des enfants.
Rapports et enquêtes
Le dossier est maintenant entre les mains des instances
concernées. Mme Suzanne Moubarak a demandé un rapport
détaillé sur cette affaire. Pour sa part, le ministre de la
Justice, Ahmad Marei, a décidé de former un comité visant à
enquêter sur les demandes de renonciation aux enfants
présentées à la cour par certains parents. La ministre de la
Famille et de la population, Mouchira Khattab, avait
critiqué cet état de fait et le considère comme un trafic
d’enfants, et avait demandé, ainsi que le gouverneur de
Qalioubiya, Adli Hussein, au ministère de l’Intérieur de
mener une large enquête à ce sujet. Ce dernier a procédé
actuellement à une enquête. Aymane Al-Guindi, l’avocat qui a
dévoilé l’affaire aux journalistes du quotidien Al-Masry Al-Youm,
dément ses propres paroles, en assurant qu’il avait
seulement expliqué aux journalistes que les cas d’adoption
n’avaient eu lieu qu’entre les proches des premier et
deuxième degrés. « L’adoption est le seul moyen légal pour
que les autorités italiennes acceptent les immigrés. Cette
astuce a pu mettre fin au phénomène de l’émigration
clandestine ainsi qu’aux passeurs », conclut-il.
Sabah
Sabet