Al-Ahram Hebdo, Littérature | Première marche

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 Semaine du 11 au 17 Août 2010, numéro 831

 

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Littérature

Le Saoudien Abdou Khal, lauréat du Prix International de la Fiction Arabe (PIFA), Booker, pour son roman Tarmi bi charar (lancer des flammes), griffonne les traits de l’enfer qui forment le palais dans lequel se déroule l’action. Il y pose la question du changement de rôle inlassable entre victime et bourreau.

Première marche

Mon âme avait faibli et je fus entraîné vers le crime à pas sûrs.

Debout dans la salle de torture, je contemplais mon corps nu sali par les traces de ses péchés. Un corps qui avait passé par des dizaines de missions de tortures et de correction triomphantes et perdantes, des tâches n’ayant pour résultat aucun succès et d’autres extrêmement bien tissées. Je menais la torture de ma victime avec ardeur et doigté sans que ne m’affectent ni les cris ni les supplications qui se dégageaient de ses lèvres. Je menais ma tâche sans aucun écart au plan posé par le maître et en ne diminuant pas de plaisir de vengeance qui envahissait son âme, lorsque je lui donnais à voir toutes les faiblesses de ses adversaires, et qui le remplissait de volupté à cause du mal que je leur faisais.

Je me relevais quittant ma victime après avoir écrasé tous ses os, ne laissant émaner d’elle que quelques lamentations ainsi que ses dernières supplications.

Je reconnaissais mes victimes par leurs photos. Le maître avait l’habitude de me donner une copie de la photo de la victime après avoir terminé mes tortures (une photo et un enregistrement).

J’ai des archives complètes des victimes et je ne savais pas la valeur de ces archives. En effet, je pouvais les utiliser à des buts de marchandages et afin d’obtenir d’énormes gains en exposant le matériel à la victime accompagné  de marchandages mesquins au sujet de la somme qui me conviendrait pour ne pas lui causer de scandales. C’est l’idée que m’avait fait parvenir Ossama, pour profiter de toutes les photos que je gardais dans le coffre-fort de ma chambre.

Mais je revenais sur ce chemin de marchandage de peur que mon maître n’en ait vent et qu’il ne me détruise avant que ne sorte un son de ma bouche. Cependant, l’idée continuait à être présente avec la possibilité de la mettre en exécution en temps opportun.

De longues années, je restais poli avec ses adversaires, ne montrant rien de ma valeur devant le maître du palais. Je ne le faisais que lorsqu’il venait voir l’une de ses victimes alors que je lui faisais subir une difficile opération de torture. Dans la plupart des temps, je devenais à l’intérieur du palais une machine à torture sans aucune importance, jusqu’au moment où le maître faisait venir sa victime, et alors, je me transformais en une clé perdue que tous les habitants du palais recherchaient.

Je devenais indépendant dans mon logement, en dehors du palais, après de longues supplications en ayant pour excuse la protection de ma tante. Pourtant, il ne relâchait pas ses regards de sur moi, en suivant de près mes déplacements et ne se désistait pas de la condition de me voir au moment où il le voulait. J’étais comme un cerf-volant qui planait dans les cieux alors qu’un mince fil me liait à lui et qu’il n’avait qu’à le tirer à lui pour que je tombe, dans un sol crasseux en attendant le moment où il me relèverait face aux vents pour que je vole à ses commandements :

— Tu dois venir tout de suite.

Je crus qu’il avait eu vent du jeu que je menais contre lui et je pensais à prendre la fuite. Je téléphonais à Marame pour savoir ce qu’il en était, mais elle dit ne rien savoir. Toutes les conditions qui pouvaient le mettre en colère n’étaient pas de mise et je ne pouvais que répondre à sa demande. Je traversais la rue du Roi à gauche pour arriver à son palais situé à Charm Abhar en une demi-heure. Alors que je m’approchais, je reçus un autre coup de fil où il me demandait subitement de le rencontrer au vieux palais, sans que personne n’ose faire de remarque ou discuter sa décision.

Je me dirigeais vers le sud et revins sur mon chemin alors que les angoisses et les peurs remplissaient mon imagination :

— Que me voulait-il maintenant ?

Le petit poisson, lorsqu’il se trouve dans les filets d’un pêcheur, pense à deux choses : s’évader du piège où il était tombé ou alors que la barque s’arrête pour que son essai de fugue soit réussi tel un vœu très précieux.

Et moi, je ne cessais de caresser  le rêve, depuis que je tombai dans son piège, de m’évader de son emprise grâce à un ralentissement de vitesse ou qu’il cesse de me poursuivre. Quelquefois, nous avons besoin de silence pour délimiter le meilleur chemin pour nous évader ou avancer. Ce serpent qui ne cesse de bouger laisse ses victimes dans une perpétuelle confusion ne sachant quel chemin prendre et avec quelle vitesse, il s’attaquerait à sa victime. Depuis que je fus pris au piège de ses filets, je ne cessais de penser au moyen de m’en sortir sans failles dans le gouffre où j’étais tombé et je n’avais d’autre issue que de le voir mort.

Il avait beaucoup tardé à mourir et sa santé laissait deviner qu’il était loin de prendre cette route.

Je prenais le chemin de la salle où il se tenait. La victime était jetée au sol dans un état désastreux alors que les gardes la maintenaient à terre en lui pressant le ventre de leurs chaussures. Je tremblais à la vue de cette scène et restais clouée au sol tandis que diverses pensées me traversaient la tête sans relâche.

— Tu dois mener ta dernière mission.

Il me poussa ainsi que la victime vers la pièce de correction, entouré des gardes. Cette fois-ci, je contemplais l’espace de torture que je connaissais bien comme si je ne l’avais jamais vu auparavant et une répugnance énorme me tirait vers les profondeurs de l’obscurité.

Les moyens de torture dans cette pièce se faisaient d’une seule manière que j’avais suivie depuis le premier jour où j’avais commencé à mener cette tâche. Je devins même maître dans cette manière de faire ou même dans la simulation du jeu.

Dans tous les cas de torture que je menais contre les autres, il y avait toujours deux corps et deux âmes, chacun d’entre eux souffrait de la présence de leur maître comme une clé et un cadenas rouillés qui laissaient passer entre eux une sorte de matière gluante qui rendait les choses moins dures, en laissant le cadenas s’ouvrir. Une profonde défaite qui laissait du temps jusqu’à la venue d’une nouvelle tâche qu’on devait entreprendre.

Dans toutes les opérations que je menais, la victime et le bourreau étaient aspirés vers un gouffre profond alors que l’âme se fendait entre eux.

Tout était faux cette fois-ci : l’endroit, la personne et le moment. Dès que je commençais à torturer, j’entendis l’appel à la prière telle une voix suave qui traversait nos êtres en laissant ses traces sur notre monde intérieur. L’appel ressortait telle une mélodie captivante qui laissait vibrer nos corps dans une lamentation sans espoir qui faisait monter des sanglots silencieux et étouffés dans nos êtres engloutis dans les affres de la douleur.

Le bourreau et la victime se laissaient engouffrer sous les couvertures à la recherche d’une issue de sortie qui les mènerait loin l’un de l’autre, loin de l’évanescence de leurs êtres.

Avec la fin du moment, je tirais mon pantalon pour couvrir mon sexe, toujours à découvert, et mon être en perpétuel déchirement. Je pouvais couvrir les mauvaises parties de mon corps, mais ne pouvait tirer mon âme de ses crasses et la rendre plus lumineuse. Elle perdit donc de ses forces et se perdit dans un déchirement sans fin.

J’étais rentré souvent dans cette pièce, et à chaque fois, je sombrais plus dans la déchéance et la pesanteur. A chaque fois, que j’essayais de m’arracher de cette noyade, je me retrouvais dans les profondeurs du précipice comme une masse de fer qui devait rester là, entourée de rouille de toute part et d’êtres morts devant vivre dans de perpétuels méandres comme un tas de laine qui s’était défait de partout.

— Tu dois mener ta dernière mission.

Je m’effondrais complètement. Il ne m’était jamais venu à l’esprit que je serais avec lui dans cette pièce. Nos regards échangeaient la cassure et nos âmes dans une faiblesse sans nom. Les années qui nous rassemblaient avaient laissé place à de l’eau salée qui glissait des yeux, portant les stigmates d’une vieillesse à la mémoire emplie de moments lointains. Mes larmes se rassemblèrent en me souvenant d’une adolescence lointaine, lorsque Issa Al-Déréni leva la main pour empêcher Moustapha Al-Kanass de me ridiculiser et de casser ma fierté de virilité.

— Qui nous protégera aujourd’hui, l’un de l’autre ?

L’appel de la prière se prolongea ce soir. Je sentis que le prédicateur répétait son appel jusqu’au milieu de la nuit sans que les fidèles ne viennent prier. Les mots de l’appel se mouvaient à l’intérieur du cœur dans un essai d’illuminer une ancienne obscurité, mais nous restions emprisonnés là-bas. Tous les péchés y étaient enfermés et l’obscurité devenait de plus en plus grande. Avec l’obscurité de l’âme, la torture devint plus cruelle. Une affaire continue qui ne se termine pas alors que les sanglots étouffés poursuivaient leurs lamentations en laissant échapper leur surplus. Un surplus qui dépassait les bornes. Les larmes se précipitant dans nos yeux comme des barques à la recherche d’une rive proche s’en allant vers les profondeurs des mers en laissant les rives emprisonnées dans des murs et des bâtiments sur toute la longueur des plages. On ne pouvait se sauver l’un de l’autre. Le temps passait et l’appel à la prière se poursuivait. Le ciel rassemblait son manteau non pas pour nous couvrir, mais pour découvrir nos mauvaises actions, à nous deux.

Ma décision de le tuer avait complètement mûri. Il y avait longtemps que je portais son cadavre dans mon imagination sans savoir comment le cacher. Lorsque je rentrai me coucher, j’aidais la venue du sommeil en imaginant les manières de le tuer. Tous les soirs, je le tue d’une manière différente de celle de la nuit précédente …Oh ! Combien grande est la distance entre l’imagination et la réalité (...) .

Traduction de Soheir Fahmi

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Abdou Khal

Né en 1962 dans un village de Gazane en Arabie saoudite, il obtient une licence en sciences politiques de l’Université du Roi Abdel-Aziz et commence une carrière de journaliste depuis 1982.

Il a déjà publié douze ouvrages entre recueils de nouvelles et romans, dont La ahad (personne) aux éditions Markaz Al-Hadara, Le Caire en 1986, Al-Mout yamor hona (la mort passe par-là), Al-Moassassa al-arabiya lel derassat, Beyrouth en 1991, Modone taäkol al-ochb (des villes qui mangent l’herbe), Dar al-saqi, Londres en 1998, etc. Son roman Tarmi bi charar est sorti en 2008 aux éditions Al-Gamal, Bagdad-Beyrouth, et a été retiré du Salon du livre de Riyad en 2009. Lauréat du Prix international de la Fiction Arabe, Booker, (voir l’Hebdo du 10 mars 2010), Khal a été également au centre d’un débat en Egypte pour avoir intégré dans son roman les mêmes traits d’une personnalité (un compositeur égyptien) réelle au cœur de sa fiction.

Malgré le bruit qui accompagne son œuvre et son penchant pour une écriture plutôt classique, Abdou Khal ne fait pas partie des écrivains saoudiens à la mode, bénis par l’Occident pour leurs plumes intrépides. Mais il serait plutôt classé parmi la gamme d’écrivains saoudiens de haut niveau littéraire comme Raja Al-Allem ou Youssef Al-Mohaimeed, qui sont préoccupés par l’écriture et non pas par le simple fait d’exhiber les tabous.

 

 




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