Onze ans après le lancement de Sire wen fatahet (dialogue
ouvert), Zaven Kouyoumdjian, l’animateur de
ce talk-show social libanais, est toujours sur la vague du succès. Avec un lot
d’innovation ajouté à son dynamisme.
L’oreille des jeunes
Moderne, frais, audacieux,
d’une spontanéité qui inspire une grande confiance, l’animateur du talk-show
social Sire wen fatahet (dialogue ouvert) fête sa onzième année sur la chaîne
privée libanaise Future TV. Un singulier contraste entre son look naturel, son
côté bon enfant et son allure sérieuse à l’écran où, toujours en costume, il
fait plus que son âge. Ses quarante ans qu’il vient de fêter le 15 mai dernier
ne sont pas visibles au naturel. Bien au contraire, c’est plutôt un jeune
sportif en jean beige et chemise blanche à la mode que l’on rencontre,
difficilement reconnaissable si ce n’était sa tête bien rasée. « C’est en signe
de protestation que j’ai décidé d’adopter la coupe rasée. En 1998, les
autorités ont décidé de m’interdire totalement d’écran. J’étais à Télé Liban,
la chaîne étatique où je présentais 5/7, le premier talk-show du genre traitant
des problèmes sociaux avec audace. Ce talk-show visait à unifier les Libanais,
divisés entre le 5, symbolisant la partie est de la capitale, et le 7,
symbolisant la partie ouest adverse à cette époque », dit-il en souriant.
Ce léger sourire ne le
quitte jamais, même si en son for intérieur c’est une grande souffrance qu’il
ressent. La cause ? Le rapport des Nations-Unies sur la pauvreté au Liban.
Zaven le diffuse en public. Le président de l’époque, Emile Lahoud, réplique en
ordonnant l’arrêt immédiat de l’émission et la réclusion de Zaven. Ce dernier,
interdit du petit écran, ne devait même pas présenter les bulletins
d’informations. Cela, même si l’émission bénéficiait de l’audimat le plus
élevé. « Ce fut le début de la mainmise sur l’information », souligne-t-il. Et
d’ajouter : « En me rasant les cheveux, j’ai voulu m’exprimer à ma façon ».
Pour ses détracteurs, « ils ont rasé Zaven ». Mais honnis soient la faiblesse
et le désespoir. Loin de baisser les bras, il rejoint six mois plus tard, en
octobre 1999, la chaîne privée Future TV, où un grand défi l’attend avec son
nouveau talk-show social, Sira wen fatahet (dialogue ouvert). « Un nouvel élan
et une ère nouvelle m’attendaient. Mon nom a fait une entrée spectaculaire dans
le monde arabe et international. Chaque semaine, un sujet tabou crucial devait
être traité en direct. Ce n’était pas chose facile », se souvient-il. Les
responsables de la chaîne craignaient un échec non pas sur le plan local, mais
plutôt au niveau arabe et international, sur le satellite. Cependant, leurs
craintes se sont vite dissipées vu le succès sans pareil rencontré par
l’émission, « un véritable effet boule de neige ». Il ajoute fièrement : « Mes
propos et mes idées avant-gardistes suscitaient ces craintes. Mais d’abord
enregistrée sur la chaîne satellite, l’émission n’a pas tardé à prendre sa
place normale, en direct, tout comme la diffusion locale ».
Ces craintes, du moins
celles relatives à la langue arabe qu’il fallait maîtriser pour exercer la
profession, étaient à l’origine éprouvées par les parents même de Zaven. Mais
il avait une véritable passion du métier, rien ne pouvait l’arrêter. « Je rêvais
de ce monde de la presse. La radio m’a influencé, et à l’époque, la guerre
était incrustée dans ma tête avec les photos dans les journaux »,
souligne-t-il. Il se remémore son enfance normale, heureuse, « une bonne
éducation sereine et en même temps ferme. Il n’y avait pas de place au jeu. Car
notre maison paternelle était à Ras Beyrouth, une zone très chaude, un front de
guerre », précise-t-il. L’influence des parents a été notoire. A l’école, c’est
en parfait autonome qu’il choisit la matière qu’il réussira, mais aussi
A 22 ans, il suit un stage
de journalisme à
Mais loin de la triste
philosophie de la guerre, Zaven Kouyoumdjian reprend son enthousiasme et évoque
les différents sujets qu’il traite : sociaux, sportifs, artistiques, culturels
et autres. « J’ai du respect pour tout le monde, même si les avis ne sont pas
concordants. Je scrute en quelque sorte les visages et j’arrive à comprendre
les personnes », dit-il. « Je me mets à la place de l’autre, veillant à
sauvegarder les intérêts de mon invité avant les miens. Mais pas au détriment
de mon amour-propre », rajoute-t-il.
Son expérience avec le
petit écran ne se limite pas à son talk-show. C’est en effet lui qui lance en
2004 le Nesrine Gaber Book Club, en hommage à Nesrine, décédée en corrigeant un
livre à la lumière d’une bougie. On lui doit également en 2006, Ana al-ane (moi
maintenant), une expérience unique qui a eu un écho international. Il
s’agissait de demander à une centaine de jeunes munis de caméras vidéo de
filmer leurs expériences. Ainsi, toutes ces activités, aussi variées
soient-elles, ont porté leurs fruits. Son épouse, Laury, est aussi dans le
monde des médias, optant pour le développement politique. Son fils aîné, Marc,
est à l’école, l’Athénée de Beyrouth, alors que son frère Ara, trois ans, se
prépare pour la rentrée scolaire en octobre prochain. « Je ne suis pas sévère
du côté éducatif, mais il y a des règles très strictes à suivre et je n’admets
aucune dérogation », affirme-t-il.
Il pense n’avoir été privé
de rien durant son enfance, mettant à part la langue française qu’il aime,
puisqu’il a fait ses études primaires et secondaires en anglais, au collège
arménien évangélique de Beyrouth. De 2002 à 2009, c’est une série de récompenses
qui l’attend, tels l’Award de Londres pour ses efforts dans la création d’un
dialogue panarabe sur les questions sociales, le prix du meilleur spectacle du
Festival Médias Beyrouth, organisé par l’université libanaise, tous les deux en
2002. En 2005, il figure sur les pages de Newsweek, parmi les 43 personnalités
les plus influentes du monde arabe, et le Festival Médias Beyrouth lui décerne
le prix du meilleur talk-show social. Enfin, c’est au tour des municipalités de
lui rendre hommage : en 1999, celle de Bourj Hammoud (fief des arméniens) lui
remet la clé d’honneur de la ville, et en 2009, celle de Ghazir, dans le
Kesrouan, au nord du Liban (fief des maronites) le récompense à l’instar de dix
notables de la région.
« Je prends toujours le
parti des jeunes et non celui des parents, remarque Zaven, et la jeunesse a
toujours raison tant qu’elle est sur la bonne voie ». Aujourd’hui père de deux
garçons, il se voit contraint de se ranger un temps, soit peu, du côté des
parents.
Grand amateur de
photographie, son livre Liban images croisées est très riche en clichés
inédits. Son penchant va également du côté du grand écran et des beaux films
qui y passent. Son autre passion : le voyage. Il rêve, par exemple,
d’entreprendre le tour du pays des pharaons en bateau sur le Nil. « Le
téléspectateur égyptien est exigeant. Il a un patrimoine et une autosuffisance
artistiques à envier ».
Mais ces moments d’évasion
passent rapidement et Zaven revient à la réalité. « Je rêve d’un Liban
fortifié, qui applique les lois civiles. Le Liban doit être un message entre
l’Orient et l’Occident. Je rêve d’un renouvellement quadriennal de la classe politique
qui doit rendre compte de ses accomplissements », dit-il. « Les guerres civiles
n’engendrent que la mort », ajoute-t-il. Lui est plutôt un médiateur de paix.
Il partage aussi bien les souffrances de plus d’une centaine de sidéens qu’il a
accueillis dans son studio, que celles des victimes innocentes à
Mireille Bouabjian