Membre du Conseil consultatif des associations religieuses et
laïques, créé par le président Obama,
Dalia Mogahed
analyse les rapports entre les musulmans et
l’Occident.
« Il
faut s’investir pour corriger
la perception incorrecte de l’islam »
Al-ahram
hebdo : Vous avez été nommée, en février 2009, membre du
Conseil consultatif sur les affaires interreligieuses créé
par le président Obama à la Maison Blanche. Pourquoi ce
choix ?
Dalia Mogahed : J’ai été
choisie vu les recherches que j’ai faites et qui
concernaient la compréhension de l’attitude et du
comportement des musulmans dans le monde. Nous avions comme
objectif de collecter et de mesurer les points de vue et
opinions des musulmans dans différentes parties du monde.
— Dans vos recherches faites avec le professeur John
Esposito, vous avez tiré la conclusion que les différences
entre les musulmans et les autres sont beaucoup moins
importantes que les caractéristiques qu’ils partagent.
Comment êtes-vous parvenue à cette conclusion ?
— Il est vrai que les
résultats de notre étude montrent qu’il existe de nombreux
points communs entre les musulmans et les gens en Occident.
La famille ou la foi sont importantes, aussi bien pour les
Américains que pour les musulmans autour du monde. De part
et d’autre, les gens sont préoccupés par la violence, le
terrorisme et l’extrémisme. En fait, les musulmans sont plus
inquiétés par ces phénomènes que les Américains. On est
partout à la recherche d’un meilleur avenir, notamment quand
on parle des opportunités de travail. La réponse la plus
fréquemment obtenue chez les musulmans de par le monde a été
que leur rêve pour l’avenir est celui d’avoir un travail
valorisant. Les besoins de base, tels que la nécessité
d’éduquer leurs enfants, par exemple, sont des ambitions
partagées aussi bien dans le monde musulman qu’ailleurs.
— Qu’est-ce qui crée alors les problèmes entre ces deux
mondes ?
— En fait, le refus qu’on
manifeste dans le monde musulman concerne surtout la
politique externe américaine. Les musulmans ne sont pas
jaloux de l’Amérique. Ils ne sont pas fâchés ni contre la
démocratie américaine, ni même contre les normes culturelles
des Américains comme on dit parfois. Au contraire, ils
admirent les valeurs américaines ou occidentales de liberté,
de démocratie et de professionnalisme. Aujourd’hui, nous
avons les instruments pour prouver ces propos : les
divergences et les conflits ne sont dus ni aux différences
religieuses ni culturelles, mais plutôt c’est une réaction à
la politique étrangère des Etats-Unis, notamment, par
rapport à la guerre en Iraq, en Afghanistan et au conflit
israélo-palestinien. Il y a aussi un sentiment fort chez les
gens au Moyen-Orient que les Etats-Unis interfèrent, voire
contrôlent leur avenir politique et qu’ils ne soutiennent
pas leurs droits à l’autodétermination. Lors de nos
enquêtes, nous avons constaté que la majorité des gens dans
la plupart des pays où nous avons travaillé ne croient pas
que les Etats-Unis sont sincères en parlant du soutien de la
démocratie dans ces pays. Ils ne pensent pas que les
Etats-Unis permettront que la démocratie s’instaure dans
leurs pays. Ils ne pensent pas que les Etats-Unis les
laisseront libres pour façonner leur avenir politique.
En outre, les musulmans ont
ce sentiment qu’ils ne sont pas suffisamment respectés.
— N’y aurait-il pas là une claire contradiction entre ce que
l’on dit, les valeurs qu’on défend et les politiques que
l’on met en œuvre ?
— Certainement. Il y a
aussi le sentiment que, quand il s’agit de traiter avec les
musulmans, les Etats-Unis ne tiennent pas à leurs propres
valeurs fondamentales. Les musulmans, malheureusement,
pensent qu’ils ne sont pas perçus comme des égaux ou des
êtres humains à part entière.
Mais ils ne sont pas contre
les valeurs occidentales.
— Comment les musulmans sont-ils perçus par les Américains ?
— La manière dont les
musulmans sont perçus aux Etats-Unis, tout comme dans la
majorités des pays occidentaux, est très stéréotypée. On les
perçoit comme étant des oppresseurs des femmes. 80 % des
Américains associent l’islam à l’oppression de la femme. Ils
sont très religieux et pratiquants, mais aussi très
intolérants par rapport aux autres religions. Ils sont
également perçus comme étant plus violents. Il est vrai que
cette dernière idée est moins répandue que celle de
l’oppression de la femme et l’intolérance.
— Que faut-il faire, selon vous, pour changer cette idée et
montrer que l’islam est surtout une religion qui prône avant
tout la paix, la miséricorde et la compassion ?
— Mon analyse est la
suivante : A cause du fait qu’en Amérique et en Occident,
les musulmans sont perçus comme très religieux et
pratiquants, tout ce qu’ils font, surtout leurs pratiques
négatives, est interprété comme étant une conséquence de
leur religiosité. Malheureusement, il y a très peu de
connaissance des pratiques positives des musulmans. Des gens
comme Mohamad Younès, l’économiste qui a remporté le prix
Nobel de la Paix grâce à la réussite de son projet dédié à
combattre la pauvreté dans son pays, à travers les
micro-crédits. Ou l’Egyptien Mohamad ElBaradei, un autre
prix Nobel de la Paix ou n’importe quel autre nom devenu
célèbre. On ne présente jamais ces noms-là comme étant
représentatifs des musulmans dans le monde. Ils sont
toujours considérés comme des cas individuels, qui sont, par
hasard, des musulmans. Et non des gens qui ont trouvé
l’inspiration dans leur foi.
Par contre, des gens comme
Ossama bin Laden, ou n’importe quel autre terroriste ou
criminel, sont, eux, vus comme étant des gens qui trouvent
leur inspiration dans leur religion.
Le problème c’est que,
lorsqu’un musulman agit de manière négative, on généralise
et on finit par attribuer cette attitude ou ce comportement
à toute la communauté des musulmans. Ce que nous avions
constaté, par exemple dans nos recherches, était qu’une des
variables les plus puissantes associées aux sentiments
antimusulmans est la perception négative que l’on a de
l’islam.
— Comment traiter alors ce problème ?
— Il faut s’investir pour
corriger la perception incorrecte de l’islam.
Les médias ont un rôle très
important à jouer. Mais il est vrai que les médias ont une
partie très importante de responsabilité, lorsqu’il s’agit
de transmettre des idées fausses ou stéréotypées. Car la
manière avec laquelle on encadre le contenu de l’information
transmise peut aboutir à l’envoi d’un message ou une idée
incorrecte. Par exemple, dans des études sur le contenu et
les analyses produites par les médias aux Etats-Unis, nous
avons trouvé que la majorité des protagonistes qui
représentent l’islam ou les musulmans dans les médias
américains sont des militants armés. Donc, ce sont ces
gens-là qui représentent l’islam en Amérique. Par contre, la
majorité de ceux qui représentent la foi chrétienne sont des
prêtres, des pasteurs, des hommes de foi. Donc, la
différence dans les paramètres est très visible et
impressionnante.
— Mais ne pensez-vous pas que, souvent, les médias reflètent
fortement ce qui se passe dans les sociétés ? Donc, si les
musulmans sont dépeints de cette manière dans les médias
américains c’est qu’il y a quelque part des sentiments qui
leur sont antagonistes. Qu’en pensez-vous ?
— Il est vrai que les
médias reflètent la réalité, mais ils la façonnent aussi, en
quelque sorte. Il s’agit d’un cercle vicieux. La réalité est
que le public, en général, croit aux messages transmis par
les médias. De nombreuses études confirment cela. La façon
avec laquelle on transmet les informations influence
certainement l’opinion du public en le dirigeant dans une
direction ou dans une autre.
Les médias doivent donc
être capables de recarder et de mettre en contexte
l’information. Ceci a déjà été fait avec les Afro-Américains.
Ils étaient auparavant présentés de manière très négative
dans les médias américains. Et quand on a commencé à prendre
conscience de cela, les médias ont fait des efforts pour
lutter contre les stéréotypes transmis en faisant un travail
plus objectif.
— Une année après le fameux discours d’Obama au Caire, un
document auquel vous avez contribué, est-ce que vous croyez
qu’il a réussi à réaliser ses objectifs ?
— Le discours avait comme
objectif, comme nous le savons tous, de créer un front
unissant les musulmans modérés, qui représentent
certainement la majorité des croyants, et d’exclure ou
isoler les extrémistes. Je pense, qu’en un premier temps, il
a réussi. Je pense même que, d’une certaine manière, cela
continue à être le cas, car je pense que, même avant le
discours, la majorité des musulmans rejetaient l’extrémisme.
Mais ce qui se passe cependant, une année après le discours
d’Obama, c’est que les gens sont moins optimistes par
rapport à ce qu’ils ont ressenti à la suite du discours
d’Obama à l’Université du Caire, le 4 juin 2009, à cause
surtout de l’absence de progrès dans des dossiers essentiels
pour tous les Arabes et les musulmans, comme celui du
conflit israélo-palestinien. Les gens assistent par exemple
à la croissance des colonies israéliennes en territoires
palestiniens occupés. Et les Etats-Unis n’ont pas déployé
suffisamment d’efforts pour arrêter cela .
Propos recueillis par
Randa Achmawi