Islam et
Modernité
Al-Ahram
Hebdo publie un
extrait d’un article de
Nasr
Hamed
Abou-Zeid, paru
dans la revue
Panoramiques en 2001.
1. L’islam en
contexte :
L’émergence
de l’islam
apportait une solution
à l’impasse
que
connaissait le monde au VIIe
siècle, telle
qu’illustrée par la situation
dans la
péninsule arabique. Le
monde était
divisé entre les
deux empires
rivaux,
romain et perse. Les
frontières
nord de l’Arabie
étaient
contrôlées par deux
Etats
vassaux, faisant
chacun
allégeance à
l’une des
deux puissances. La
fonction
principale de ces
états était
de maintenir les
Arabes à
l’intérieur de la
presqu’île,
afin de protéger les
frontières des
deux empires et
leurs routes de commerce.
Etant
forcées de compter
uniquement
sur leurs
rarissimes
ressources, les tribus
arabes se
sont engagées
entre elles
dans des
conflits sanglants,
autour des sources
d’eau.
Une
situation similaire
régnait en Europe, au
Moyen Age.
Dans son livre
sur Mohammed et Charlemagne
(1939), l’historien
belge Henri
Pirenne estime
qu’à cause de la puissance de
l’islam,
l’Europe était
contrainte de se replier
sur
elle-même et de se livrer
à un
conflit interne sanglant,
dû non à
la rareté des
ressources en eau,
mais bien
au contraire, à son
abondance : le sol fertile et
les pâturages
étant les
facteurs principaux de la
division de l’Europe en
domaines
privés, pendant la période
agraire de son histoire.
Cette
dynamique interne a trouvé
son issue, selon
Pirenne,
dans la Réforme et la
Renaissance.
En
d’autres termes,
nous
appliquons la thèse de
Pirenne à
l’Arabie du
VIIe. Les
luttes sanglantes
dans un
espace géographique
fermé ont
abouti à
l’émergence
d’une structure sociale
et éthique
que nous
connaissons
aujourd’hui sous le nom
d’islam. La guerre
rendait
nécessaire l’instauration
d’un système
juridique et d’un code
pénal, afin
de mettre un certain
ordre dans
la réalité
chaotique de la péninsule.
Je prétends
que ces
facteurs
sociaux ont
rendu possible,
voire
prédéterminé, l’islam.
Aussi
est-il
compréhensible que
l’islam
assimile de nombreuses
traditions de la péninsule
arabique et
négocie, voire
fasse des
compromis avec ces
coutumes.
Ainsi, « les mois
sacrés »,
où les combats étaient
interdits,
ont été
reconnus et
respectés, afin
d’assurer un minimum de
sécurité pour les routes
du commerce.
Nouvel
ordre social et éthique,
l’islam
tentait de régler la
situation critique des Arabes
tout en demeurant
à l’écoute
de leur histoire et
leurs traditions.
Comme toute
religion et tout système de
pensée,
l’islam est
intimement
lié au travail de l’histoire.
Je
voudrais
souligner que
l’islam est
une religion
extrêmement
intéressée par la politique
et par les conditions de vie des masses. Il
avait à
l’époque
ouvert la voie
à « la
libre pensée », et
avait
plaidé pour la réflexion
rationnelle. Certes,
cette
tendance sociale a
valu à
l’islam le respect de
l’idéalisme
historique allemand,
depuis Hegel
jusqu’à Max Weber,
mais
également l’indulgence
du
matérialisme de Marx. Tous
ont évoqué
le rationalisme de
l’islam qui a
promu un cachet social et qui a
instauré un
ordre juridique
dans une
situation tribale
chaotique.
Dans L’idéologie
allemande, Marx fustige la
religion, parce
que trop
orientée vers le
ciel,
laissant le monde sans secours.
En revanche,
grâce à
ses
législations et ses
orientations politique et
sociale
égalitaire, l’islam
exerce une
fascination sur
nombre
d’intellectuels de gauche, y
compris certains
marxistes.
L’islam
est un
système opérant
sur
différents plans, qui parfois
se chevauchent. Au
niveau de la
foi,
l’islam a proposé la
notion d’un « Dieu unique
transcendant », pour
remplacer les
divinités
tribales : une
seule
vérité, justice pour tous.
Au niveau social, « la
communauté des
croyants » a
été
substituée à
l’ethos social tribal. Au
niveau
éthique, la « conduite
rationnelle »
individuelle
était
supposée devenir la
norme, le lien
entre
l’individu et la communauté
devait
ainsi se fonder sur
une
compréhension idéologique
rationnelle pour
remplacer la
loyauté
absolue vouée aux
appartenances
tribales,
système taxé par
l’islam de
Jahiliyah (ignorance ou
époque d’obscurantisme). Au
niveau
intellectuel, l’islam a
ouvert la
porte à la «
libre
pensée », plaidant en
faveur d’un
raisonnement rationnel et
condamnant
l’adoption aveugle des
traditions tribales antiques. En
plus de son nouvel
enseignement,
l’islam a
assimilé la plupart des
institutions sociales et
religieuses qui
lui
préexistaient, tel
que le haj,
pèlerinage de La
Mecque. Quant
à
l’Histoire, l’islam a
reconstruit
tous les récits
oraux de
l’Antiquité dans le but
d’y
replacer son message comme
le plus élevé, le plus
complet et le dernier de la
série des messages de
Dieu.
L’islam a mis en relief
sa critique des
écritures déjà
existantes,
dans le judaïsme et le
christianisme,
afin
d’intégrer leurs
adeptes
dans la communauté
musulmane. Il
n’était
donc pas une
croyance
uniquement spirituelle
ou une
simple idéologie
expliquant le monde,
mais une
idéologie
visant à changer
celui-ci. Marx
disait que
la mission de la philosophie
avait
toujours été
d’interpréter le monde, et
que
désormais, son objectif
principal serait de le changer.
Cette
réflexion nous
permet de
mesurer l’ampleur de la
nature révolutionnaire de
l’islam.
Cette nature enflammée
n’a pas été
sans lui
valoir nombre
d’ennemis,
ce qui n’enlève
rien à
son crédit Par
Nasr
Abou-Zeid.
Traduction de Walid Al-Khachab.