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 Semaine du 14 au 22 juillet 2010, numéro 827

 

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Idées

Hommage . Le Dr Nasr Hamed Abou-Zeid est décédé la semaine dernière. Dans cet entretien accordé à son ancien collègue de l’Université du Caire, il revendiquait le droit d’interpréter et de réinterpréter l’islam, religion de modernité et de culture, dans son contexte historique.

 

« Il est impératif de se libérer
 de l’autorité du texte »

Par Walid Al-Khachab

Al-Ahram Hebdo : Une formule toute faite explique le « retard » des sociétés arabes sur tous les plans par la prédominance de l’islam dans ces sociétés. Une autre formule l’explique par l’hégémonie d’une mentalité de soumission au texte, expression que vous utilisez dans votre livre sur Le concept du Texte. Quelle serait l’issue, selon vous ?

Nasr Hamed Abou-Zeid : Sur le plan historique, décrire la civilisation islamique comparée à d’autres, comme la civilisation du Texte, est un constat épistémologique général, qui ne signifie pas que l’histoire de cette civilisation est celle de l’interprétation d’un Texte. Dans  l’histoire de l’islam, nombreuses furent les époques le texte religieux était abordé comme agent social dans les limites de sa nature de référence de la légitimité en matière de religion. Au-delà de ces limites se trouvaient d’autres légitimités. Chaque fois que la civilisation arabo-musulmane était soucieuse de distinguer le domaine de l’autorité du texte de celui de l’autorité de la raison, elle était en mesure d’engendrer un savoir qui lui était propre. Puis survint une rupture qui a mené à l’extension de l’autorité du texte à tous les domaines et à la disparition de la zone de la raison. Aujourd’hui, le monde arabe et musulman oscille entre ces deux tendances. J’ai dit dans mon livre sur L’Imam Chafei qu’il était impératif de se libérer de l’autorité du texte afin de restituer l’autorité de la raison, vu que la vie ne se limite pas à la seule dimension religieuse. La réaction a été très violente, mais la question demeure urgente. Si le problème n’est pas résolu, nous continuerons de tourner dans un cercle vicieux et infernal.

Cette réaction violente est-elle l’indice d’une mentalité dominante qui sacralise le texte religieux ou autre — et qui rend minimes les distinctions entre l’Etat autocratique et militariste et le discours islamiste extrémiste ?

Il ne fait pas de doute que si nous analysons les discours nationalistes ou marxistes dans le monde arabe, nous verrons qu’ils sont axés sur l’autorité du texte. Les marxistes arabes s’accusent mutuellement de déviationnisme, voire d’apostasie, puisqu’ils utilisent le mot Riddah pour  qualifier les révisionnistes  marxistes, c’est-à-dire ceux qui s’écartent du régime de l’interprétation du texte. Or, le mot Riddah (i.e. apostasie) se retrouve aussi dans le discours islamiste.

Nous parlons en l’occurrence d’un état d’esprit qui n’est pas relié à la pensée religieuse, mais à la raison d’une manière générale, et dont l’une des causes est la longue absence des libertés dans le monde arabe. Depuis la réunion de Saquifa (qui s’est soldée par la désignation d’Abou-Bakr comme successeur au Prophète) jusqu’à aujourd’hui, rares et extrêmement brefs sont les moments les gens dans le monde arabe ont récupéré le pouvoir de façonner leur système politique et de choisir leurs représentants au pouvoir. Dans ces brefs moments, par exemple en Egypte entre 1923 et 1945, la contradiction entre les dispositions du texte religieux et les exigences du changement social trouvait un espace de débat très large, loin des menaces de mort et des accusations fâcheuses.

Les gens éprouvent le besoin de l’autorité d’un texte lorsque leur capacité d’ériger eux-mêmes leur pouvoir est totalement absente. Actuellement dans le monde arabe, la lutte contre l’autorité des dictatures qui ont usurpé le pouvoir par la force ne s’effectue qu’en suscitant l’autorité d’un texte sacré. Or, la dictature a aussi ses moyens d’exploiter ce texte pour asseoir sa propre autorité. Aujourd’hui, opposition et pouvoir ont tous deux besoin d’une force pour affronter une autre autorité, celle de la globalisation et du nouvel ordre mondial. Comment sortir de ce tunnel ? En tentant constamment de déconstruire et de critiquer à la fois le discours de la globalisation et celui de l’islam politique. Si l’on critique l’Occident quand on est en Occident, cette critique est irrecevable, parce qu’on vous demande de critiquer l’islam seulement, laquelle critique est bienvenue. Dans le monde musulman, on vous demande de critiquer seulement l’Occident, laquelle critique est la seule acceptable. Quand vous dites qu’il faut regarder les choses en face, ni l’Occident, ni le monde musulman ne vous acceptent. Tel est le véritable exil.

— A votre avis, la solution de la crise actuelle dans le monde arabe nécessite-t-elle que l’autorité du texte sacré soit restreinte à un domaine précis plutôt que de nier l’autorité de ce texte en soi ?

Un texte exerce son autorité sur ceux qui y croient dans les limites du domaine de la foi. Le problème survient lorsque les croyants tentent d’étendre l’autorité de leur texte au-delà de ce domaine ; lorsque le texte devient la source de la science et de l’Histoire. A propos de tout texte, nous devons nous demander quelle en est l’histoire. Nous avions réalisé des progrès dans les débats sur l’historicité des textes sacrés. Aujourd’hui, nous risquons d’accuser une régression. Que faire en l’absence de tout cadre de référence ? Les gens se créent en l’occurrence des idoles, et le texte en devient une : si on y touche, on risque les conséquences que vous connaissez.

Même si le texte religieux est confiné au domaine de la foi et que le libre cours est laissé à la raison dans les autres domaines de l’activité humaine, n’y a-t-il pas risque dans le monde arabeà cause d’une longue tradition de la culture du Texte — de voir un texte particulier dominer la société : le texte du socialisme, ceux du nationalisme, du libéralisme, ou de la globalisation ?

— Les idéaux de liberté et de justice réunis posent ces textes comme possibilités et non vérités absolues. Ces textes demeureront et personne ne demandera de les abolir, puisqu’au fond, il s’agit du produit de l’intelligence des hommes tout le long de leur histoire dans leur tentative de comprendre leur réalité, leur philosophie, leur passé, etc. L’essentiel c’est que dans le monde arabe, nous avons décidé de créer un libre marché de l’économie selon les lois du marché, il faut maintenant créer un libre marché des idées, selon les lois des idées. Ainsi, il y aurait une place pour le texte du socialisme, celui du marxisme, de la justice sociale, de l’islam, du judaïsme, du christianisme, etc. La liberté est la garantie qu’aucun de ces textes ne sera le cadre de référence qui annihilait les autres. Il nous faut un libre marché des idées.

 

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Professeur assistant au département de langues, littérature et linguistique à l’Université York à Toronto.

 




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