Sinaï .
Dans le cadre d’un accord passé avec les chefs des
tribus, le
ministère de l’Intérieur
a libéré
cette semaine
plusieurs
dizaines de bédouins
arrêtés
lors d’incidents
dans la
péninsule.
Répit
mais pas de solution
Il
est midi en
ce lundi 12
juillet
dans la ville
d’Al-Arich,
à 350 km du
Caire. Au
siège du
ministère de
l’Intérieur, des
scènes de
liesse. Un cortège
de femmes et d’hommes a
pris place
devant le bâtiment. Des
youyous se font entendre
et se mêlent
aux cris de joie des
enfants. Tout le monde attend la
libération par le
ministère de
l’Intérieur d’un
groupe de
prisonniers politiques
et de droit
commun
bédouins. « Dans
chaque
famille il
y a un père, un
frère ou
un mari qui a
été arrêté
il y un an
ou plus. Je
n’ai pas vu
mon
frère depuis un an et 4
mois »,
crie Amr
Soliman.
Soliman a rédigé
plusieurs
plaintes au commissariat de police pour
avoir des
nouvelles de son frère,
mais en vain.
« Personne
ne nous
prête attention »,
dit-il avec
amertume. Aujourd’hui,
il
est l’un
de nombreux
bédouins venus
dans
l’espoir de voir
leurs
proches libérés. « La
police a
annoncé que
mon frère
va être
libéré
aujourd’hui », dit-il.
Il est
interrompu par
sa mère,
une femme
très âgée venue prier le
président
Moubarak et le ministre
de l’Intérieur,
Habib Al-Adeli,
de libérer son
fils. Quant
à l’épouse
du détenu,
c’est un
mélange de joie et de chagrin qui se
dessine sur son visage. «
Je ne
sais
pas pourquoi
il a été
arrêté et
pourquoi il
est libéré,
mais
l’important est
qu’il dorme
ce soir
à la maison
», lance Sayeda qui cache son
visage des caméras pour
qu’on ne
remarque pas
sa colère.
Il
est 1h30
tappante et sonnante et
deux grands
camions transportant des
prisonniers font
leur apparition.
Les familles
des prisonniers se
ruent sur
le camion. Et dès
que les
portes de celui-ci se
sont
ouvertes, des voix se
sont
élevées en
scandant : « Allah
akbar, Allah
akbar ». On se
serait cru
sur un champ de
bataille. Les
prisonniers descendent
du véhicule
et vont
à
l’encontre de leurs
familles.
L’amertume
apparaît
sur leurs visages
las.
« Je
remercie Dieu d’être
enfin libre.
Je ne
sais
pas jusqu’à
maintenant pourquoi
j’ai fait
tant de prison.
J’ai
passé deux
ans dans
une cellule sans le
moindre
jugement », explique
Mohamad en
pleurant. « Cette
libération
est le
résultat d’un
marché
conclu entre
l’Etat, ou
plutôt le
ministère de l’Intérieur,
et les chefs des tribus,
mais ce
n’est pas la solution
à nos
problèmes,
nous les bédouins
du
Nord-Sinaï », ajoute
Mohamad.
Au départ, les
attentats
Depuis
les attentats
terroristes de
Taba et
de Dahab en 2004 et 2006, le
dispositif de
sécurité a
été renforcé
dans le
Sinaï. Les bédouins qui
habitent la
péninsule affirment
souffrir de
harcèlement par les appareils
de sécurité
et d’arrestations
arbitraires.
Cet
état de fait a
donné lieu
à des tensions. En 2008,
deux
bédouins sont
morts sous
les balles d’un
policier.
Selon
la police, les deux
hommes
roulaient dans
une voiture
sans plaque d’immatriculation.
L’incident a
provoqué la
colère des habitants qui
ont
manifesté leur
colère en se
rassemblant
près de la frontière avec
Israël,
mais plusieurs
députés du
Sinaï sont
intervenus pour calmer la
situation. Cependant, six
mois plus
tard, un
autre
policier a tiré
sur un
autre bédouin. Les
habitants, furieux,
avaient
alors pris en
otage un
grand nombre de
soldats
antiémeutes dans la
ville de
Rafah. Le principal suspect dans
cette
opération, un certain
Salem Abou-Lafi, a
été arrêté,
avant d’être
libéré par
ses camarades
dans une
opération
dans laquelle un
officier a
été tué et
deux autres
policiers
blessés. La fuite d’un
trafiquant de drogue avec
l’aide de
sa
famille avait
également
exacerbé la police.
La
semaine dernière, la
tension était
à nouveau
montée entre les
deux camps
lorsque des rumeurs
avaient
circulé sur
l’intention des
bédouins de faire
exploser un pipeline
d’exportation de
gaz naturel,
ce qui a
été ultérieurement
démenti par le
gouverneur
du Nord-Sinaï.
Face à
cette tension,
Habib Al-Adeli
a décidé de
recevoir, la semaine
dernière au
Caire, les chefs des
tribus
bédouines. Ces
derniers
avaient alors
élaboré une
liste de
revendications comprenant
notamment
l’allégement des « contraintes
et harcèlements »
sécuritaires, la cessation des
arrestations
arbitraires, la
libération des
détenus et
le réexamen des
procès de
ceux qui ont
été
condamnés par contumace.
C’est dans
ce
contexte
qu’intervient la présente
libération.
Une libération
perçue par les
bédouins
comme un
calmant, car les
problèmes de
fonds ne
sont pas
réglés. « Le
ministère de l’Intérieur
paye le prix de
l’échec
étatique.
L’Etat
ne s’est
jamais
intéressé à
nous.
Il n’y a pas de
projet de
développement, pas de boulot
pour les jeunes. Comment
peut-on
vivre ? », interroge
un cheikh
qui a requis
l’anonymat. Il
ajoute
: « Comment ce
jeune homme
peut se
marier et avoir
une maison
? Il est
obligé de
travailler dans le
trafic de drogues,
d’armes ou
de devises. C’est de
là que
vient la
mauvaise relation entre
nous et
le ministère de
l’Intérieur ».
Le cheikh a
tellement
haussé la voix
que
quelques policiers se
sont
approchés de lui
mais rien
ne semblait
l’arrêter. « Le
ministère de
l’Intérieur a
commis une
faute en
laissant prospérer
certains
trafiquants et hors-la-loi
et maintenant
il n’arrive
plus à les
arrêter », dit-il.
De
nombreux bédouins
vivent en
effet du
trafic de drogue
et des armes,
ce qui a
accru la tension entre
eux et les
appareils de sécurité.
Sous le signe
du doute
Les
bédouins
sont à
présent
divisés en deux
groupes.
Un groupe
pense que
l’initiative
du
ministère de l’Intérieur
de libérer les
prisonniers
est un simple sédatif qui
ne va
rien changer et un
autre
groupe pense
qu’il ne
faut pas
être pessimiste et
que c’est
quand même
un bon signe de la part de
l’Etat,
surtout que
durant ce
mois,
d’autres prisonniers
seront
libérés. Amr
Moussa,
jeune bédouin,
pense que
cette crise
est
due à un sentiment chez les
bédouins
qu’ils sont des
citoyens de
seconde zone. «
L’Etat doit
changer cette attitude
surtout
envers les jeunes
générations qui
ne
respectent plus les cheikhs
des tribus
comme auparavant »,
dit-il. Et
d’expliquer
que la plupart de
cheikhs de
tribus sont
manipulés par
l’Etat et
même par les
députés du
PND. D’après
Moussa,
il
faut travailler pour
rendre aux
cheikhs des tribus
leur prestige et
leur respect
d’autrefois.
Un responsable
du
ministère de l’Intérieur
trouve que
cette
libération est un début
encourageant pour
améliorer la relation
entre
l’Etat et les bédouins. «
Il ne faut
jamais
oublier que
ces
bédouins sont la première
ligne de
défense pour l’Egypte
sur le front est. Il
ne faut
pas les marginaliser ». La
même source
pense que pour faire des
projets de
développement,
il
faut rétablir
d’abord la
sécurité afin
d’attirer les
investisseurs. « Le
ministère de
l’Intérieur fait son possible
pour améliorer les services
rendus aux
bédouins. Des
groupes
d’officiers du
département de la circulation se
sont rendus
dans le
Sinaï. Aussi le
ministère a
construit de nouveaux bureaux
dans de
différentes régions
du Sinaï
et l’année
dernière,
nous avons
pu faire 47 000
cartes
d’identité », affirme la
source. Mais
il
faudra
aussi et surtout changer
les mentalités.
Chérine
Abdel-Azim