Polygamie.
Pour certains, épouser une femme, c’est
déjà le calvaire. Ce n’est pas le cas
de Am Sayed Chédid, qui en a épousé une vingtaine et a
engendré 49 enfants et 64 petits-enfants. Avec une famille
aussi nombreuse, il se sent
protégé.
Am
Chédid, l’homme à femmes
« Moi,
j’ai toujours eu de la chance !
Souvent quand un homme a
plusieurs femmes, elles se disputent.
Mais pas les miennes. Je n’ai pas
de problèmes avec elles ». Combien en as-tu
eu ? Il
réfléchit. Il compte sur ses
doigts. « Vingt !
Enfin … quatre actuellement, puisque
c’est la charia, j’en ai répudié quinze car elles ne
m’écoutaient pas ». Une favorite
? « Non. Je les apprécie
toutes ! Mais
celle que j’ai vraiment aimée, je ne l’ai pas épousée », dit
Am Sayed Chédid. Hors norme ?
Décalé ? Faisant un pied au nez
du planning familial ? Am Sayed
Chédid a fait exception à la règle, il
est même très envié par certains. Sa
réputation dépasse les bornes et son histoire est une
légende. Et pourquoi pas, et il a
pris le dessus sur Hag Métoualli, ce personnage singulier du
feuilleton, marié avec quatre femmes en même temps. Agé
d’une soixantaine d’années, Am Sayed en
a épousé une vingtaine, et a eu quarante garçons et
neuf filles. Il a aussi 64
petits-enfants. Choix de vie, bien sûr !
Enfant unique et souffrant de la
solitude, il a désiré reproduire un noyau différent de ce
qu’il a vécu. « Je ne veux pas mourir sans laisser de
traces. Mes enfants sont la preuve que je
suis bien viril et fécond, mais
c’est aussi une richesse que personne d’autres ne peut
m’apporter. C’est pour cela que j’ai choisi de me marier
avec plusieurs femmes et avoir
beaucoup d’enfants. Aujourd’hui, ma
smala compte 113 personnes. C’est
ma ezoueti (ma parenté), ma tribu », dit-il avec fierté.
Pêcheur et vendeur de poissons,
Am Sayed vit à Kotsika, dans la banlieue de Hélouan, avec
ses quatre femmes. Son premier mariage date de 1967 alors
qu’il avait 16 ans. Depuis, il n’a cessé d’avoir quatre
femmes en même temps. Dans cette série, une seule épouse
est morte mais il en a divorcé de
quinze. Des divorces sans problèmes et
à consentement mutuel. Quant à ses
enfants, il s’en occupe et refuse qu’ils grandissent loin de
lui. « J’aime le halal (licite).
Une seule femme ne peut pas me suffire.
Je suis comme la voiture qui
roule avec quatre pneus, moi, je ne peux pas vivre sans
quatre femmes. C’est pour cela que lorsque je divorce de
l’une d’elles, elle est vite remplacée par une autre »,
confie-t-il tout en ajoutant qu’il a deux femmes qu’il garde
depuis 1974 et 76 car elles ont un bon caractère. « Ce qui
compte pour moi c’est le tempérament, la beauté c’est
secondaire. Pourtant, je tiens toujours à choisir une jeune
dont l’âge ne dépasse pas les 17 ans », explique Am Sayed
qui n’a laissé aucun gouvernorat sans frapper à
ses portes pour demander une
femme en mariage. Autrement dit, il
en a épousé trois de Minya, trois autres d’Assiout, une de
Sohag, et de la Basse-Egypte, il n’a pas oublié d’avoir une
de Mansoura ainsi que quelques-unes de Guiza. Pour lui,
l’homme ressemble à la mer et la
femme au rivage. Elle doit le contenir
et supporter son flux et reflux.
Une comparaison allant de pair avec son métier de pêcheur.
Et pour être juste et équitable,
il alterne quotidiennement les nuitées entre ses quatre
femmes. « Il est normal que ce soit l’homme qui se déplace
et non l’inverse, c’est pour cela que tout se passe bien
entre nous », explique Am Sayed qui a réuni
sa grande famille dans trois
immeubles. Sinon comment aurait-il pu rassembler tout ce
monde ?
La
polygamie, un art de vivre
En fait,
ses femmes sont catégoriques sur le fait qu’elles ont réussi
à vivre ensemble parce qu’elles ont formé une « alliance »,
une complicité développée au fil des années. Le mari est de
mauvaise humeur, malade, ou absent ?
Elles cherchent à s’en informer mutuellement
et à développer une stratégie
commune. Dès l’arrivée de la deuxième épouse, le « partage »
du mari se fait selon des règles
dictées et elles se font un devoir de le respecter pour leur
bien-être. « Le mari ne doit pas passer plus d’une nuit chez
chacune de ses femmes », affirme Héba l’une de
ses femmes. La vérité
est que si l’homme a la
possibilité de choisir combien de temps il peut passer chez
l’une, il finira par avoir des préférences et une épouse
sera privilégiée aux dépens de l’autre ou des autres. « Et
c’est là que la rivalité commence, que les conflits sont
générés, toujours du fait de l’homme qui en est le
provocateur », selon la deuxième épouse. Le conflit aurait
toujours une cause matérielle ou
affective : le mari donne plus de cadeaux à une femme
ou à ses enfants. Il a donc
établi dès le départ le système d’alternance qui fait que le
mari change de femme chaque nuit sauf en cas de maladie, où
on lui reconnaît le droit de se faire soigner par l’épouse
chez qui il se trouvait la nuit précédente. L’autre
exception se situe lors de l’arrivée de l’épouse suivante à
qui on concède les sept premières nuits avec l’époux ...
bien que maintenant, la norme les réduise à trois nuits. «
Il ne faut jamais délaisser la
plus vieille dès qu’on entre dans une nouvelle relation »,
dit-il avec philosophie.
Affable
et chaleureux, l’homme élude les
questions lorsqu’on évoque la place et la liberté des femmes
dans un ménage polygame. Héba, une de
ses épouses, fait une moue ironique quand son mari
assure qu’il lui a demandé son avis avant de se remarier.
Cependant, on découvre une chose bien étrange lors de la
conversation avec Am Sayed pour compléter la particularité
de cet homme, à savoir toutes ses femmes acceptent cette
polygamie et confient que ces mariages n’ont pas eu de
répercussions inattendues puisque leur mari n’avait pas
changé de comportement envers elles. « Tout allait bien sur
les plans matériel et
sentimental. Il devient de plus
en plus attentionné et disponible comme s’il voulait se
faire pardonner la faute qu’il vient de commettre.
Il veut une nouvelle vie et il en
a les moyens. Pourquoi l’en priver et détruire nos ménages
alors que nous, toutes ses femmes, sommes
heureuses ? », avance l’une de
ses épouses avec indifférence
mais ayant l’air bien gênée. Chose étonnante encore
est que la plupart de ces femmes
ont fait le premier pas et voulaient vivre avec lui. Héba,
l’avant-dernière épouse, confie que c’est elle qui a demandé
à Am Sayed de l’épouser, bien qu’elle soit belle, diplômée
et plus jeune que lui d’une
trentaine d’années. « Non seulement c’est un homme complet,
bon partenaire, mais aussi un excellent père », dit Héba en
ajoutant qu’il ressemble au célèbre acteur Farid Chawqi, car
il est aussi costaud, musclé et
tout le monde le craint, d’où son surnom Sayed Chédid
(fort).
L’homme
heureux
D’ailleurs, pour Am Sayed, la polygamie n’est pas en soi
traumatisante pour les enfants. Cela dépend beaucoup de la
relation entre les épouses et des
conditions socio-économiques de la famille. « Un mari sans
pouvoir économique est un mari qui ne peut pas commander et
qui doit accepter ce que ses femmes lui
disent ! Dans mon cocon
familial, je suis le maître. Ma famille
est plutôt une petite école de la vie, voire même une
micro-société. Chaque membre doit apprendre très tôt à se
frôler à divers tempéraments et
caractères. Il existe bien sûr
des pièges et des problèmes, mais c’est toujours à moi de
les résoudre et de faire instaurer une relation particulière
et unique avec chaque enfant. Et
aussi d’encourager les enfants à s’ouvrir vers des relations
extra-familiales. Bref, une famille nombreuse exige
concessions, privations et don de
soi, c’est bien certain. Mais au-delà de ces préoccupations,
ce type de famille apporte une richesse que rien d’autre ne
peut apporter », affirme-t-il. Sameh, Dina, Racha, Naglaa,
Hind, Yousra, Mahmoud, Ahmad, Ayman, Karim, Moustafa, Emad,
Hamada … tels sont les prénoms des enfants de Am Sayed qu’il
énumère sans oublier personne. Mahmoud, l’aîné, a 38 ans et
le tout dernier enfant, Chahd, 3 ans, et qui lors de la
conversation ne cesse de donner
des bisous à son père. Pourtant, Am Sayed, qui possède six
bateaux de pêche et un magasin de
poissons, se plaint de la cherté de la vie. « Je me rappelle
avoir payé 6,5 L.E. comme dot
pour le premier mariage, contre 20 000 L.E. pour le dernier
qui a eu lieu en 2005. Je verse 600 L.E. par mois pour
chaque ménage, c’est-à-dire 2400 L.E. pour les quatre
foyers, sans compter la viande, les légumes, les fruits, les
vêtements et l’argent de poche
versé à chaque enfant. Même les grands
qui sont mariés, je ne les oublie pas. Je les aide
tous, je leur donne de la
nourriture, de l’argent, j’aide aussi leurs familles, sans
distinction. C’est pourquoi petits et grands sont heureux »,
souligne Am Sayed tout en ajoutant qu’il n’apprécie pas
beaucoup que ses fils soient
polygames. « Une seule suffit, la satisfaction
est un trésor intarissable.
Et puis c’est moi qui dois aller
voir la femme que mon fils a choisie, je suis devenu un
expert dans ces affaires », s’exprime-t-il en riant.
Pourtant, deux seulement de ses
40 fils sont polygames. Quant à sa
fille Samah, 19 ans, encore célibataire, elle pense que son
père est idéal, mais refuse catégoriquement d’avoir un époux
polygame. Mais peu importe.
A en juger par sa mine réjouie et
ses yeux rayonnants, aucun doute, Am Sayed est un homme
heureux. Ragab, 50 ans, vendeur de
poissons, envie son ami. Il
a prévu de prendre une seconde épouse. «
Deux femmes, c’est bien », décrète Am Sayed. Et
d’ajouter : « A ton avis,
qu’est-ce qui est mieux : avoir une livre ou deux livres ?
». Puis il révèle ne pas être le seul dans ce cas, puisque
Am Abdel-Rahmane Al-Naggar, Palestinien âgé de 83 ans, a eu
11 femmes, 32 enfants et plus de 430 petits-enfants.
Toutefois, Am Sayed annonce une bonne
nouvelle : il a décidé de ne plus se remarier afin de
donner plus de chance aux jeunes de se marier. Son seul rêve
aujourd’hui est que le
gouvernement lui accorde les deux feddans sur lesquels il a
campé toute sa vie. Un havre de
paix au bord du Nil qui représente tout pour lui. «
Il suffit de m’asseoir à l’heure
du crépuscule sur ma banquette, entouré de ma grande
famille, pour écouter Al-Sett (la célèbre chanteuse Oum
Kalsoum) pour me sentir bien heureux », conclut-il avec
émotion.
Chahinaz Gheith