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 Semaine du 30 juin au 6 juillet 2010, numéro 825

 

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La chorégraphe tunisienne Syhem Belkhodj a initie les jeunes à la danse contemporaine et insiste sur le caractère pluridisciplinaire de son art. Directrice de Doc à Tunis, des Rencontres chorégraphiques de Carthage et du Festival design et mode de Carthage, elle milite contre l’intégrisme.

Une combattante pour la simplicité

La chaleur était écrasante le jour de son arrivée au Caire. Dès l’après-midi, elle se retrouve au théâtre Al-Gomhouriya, en train de tout arranger pour le rendez-vous de 21h, avec le public du Festival international du Caire sur la danse moderne. Malgré une nuit blanche et des horaires de vol assez difficiles, la chorégraphe tunisienne Syhem Belkhodja se familiarise rapidement avec les planches cairotes. On la trouve à son aise, avec une petite robe assez large, pieds nus et accompagnée de sa fille. Elle parcourt le devant de la scène, la salle, puis s’installe au premier rang avec le micro en main. La répétition commence.

Sur les planches, elle donne des coups de main à ses danseurs. Parfois, elle monte sur leurs corps allongés, expliquant à l’un d’entre eux une posture bien mise en valeur sous l’effet de l’éclairage. Elle est sérieuse et exigeante avec ses danseurs, tous de jeunes hommes, à l’exception d’une seule jeune fille. Elle déclare : « Mes enfants, êtes-vous prêts ? On va tout refaire ». Et d’un autre côté, elle rappelle au technicien : « Soufiane, la musique du ballon ». Il s’agit de « Chutt » (faire un coup de pied). Un spectacle qui puise dans le monde du football, s’inspirant des mouvements des joueurs, de leurs codes et de leurs postures. Les gestes gagnent aussi un vocabulaire contestataire propre aux jeunes des quartiers populaires.

Son deuxième spectacle, présenté aussi au festival, Houma, est construit à partir du vocabulaire hip-hop très populaire en Tunisie et dans les pays du Maghreb. Deux créations interprétées par sa compagnie Sybel ballet théâtre.

En fait, Syhem Belkhodja est aussi l’invitée d’honneur de cette 11e édition (16 juin-5 juillet). « Je suis heureuse de l’être. Ma relation avec Walid Aouni remonte à plus d’une vingtaine d’années. C’est grâce à lui que je suis devenue chorégraphe et ai fondé ma compagnie de danse ». A l’époque, Belkhodja était une danseuse connue, mais ne pensait pas avoir le courage de fonder une compagnie. « En Tunisie, on n’avait ni la tradition ni la structure de créer une compagnie de danse indépendante. Mais ma rencontre avec Walid m’a initiée. Il était en Belgique pour cinq ans, avait sa compagnie et travaillait avec Maurice Béjart. Il m’a donné l’occasion de passer un mois avec sa compagnie, non pas pour danser, mais pour assister aux répétitions, la structure du travail, etc. J’ai dit : puisque lui, en tant que Libanais dans un pays étranger, a réussi, donc, je pourrai réussir moi aussi dans mon pays », explique Belkhodja, qui a gardé ce secret pendant longtemps. Et d’ajouter : « En fait, même Walid ne le savait pas. Le mois dernier, lors des Rencontres chorégraphiques de Carthage, j’ai pu finalement lui raconter l’anecdote ». S’ajoute à cela l’expérience qu’elle a acquise comme danseuse et chorégraphe qui a voyagé et étudié dans les écoles de Martha Graham, Cunningham et autres.

Belkhodja donne aux jeunes cinq minutes de repos. Elle se détend un peu, demande à ses compagnons d’aller chercher des falafels pour tout le groupe. Malgré la fatigue, elle reste souriante et accueillante. « On est arrivé à 5h du matin, on n’a pas dormi ». Mais le rendez-vous est déjà fixé. Et par respect et conscience, Belkhodja doit tout suivre. « Je dois être avec eux, je ne peux pas les laisser », dit-elle à propos de ces jeunes danseurs. Joue-t-elle le rôle de la marraine ? Oui, depuis fort longtemps, depuis la fondation de sa compagnie de danse.

Elle avoue avoir une grande difficulté à initier les jeunes à la danse contemporaine. « Notre société était ouverte. Je n’ai pas eu de problème en tant que danseuse. Le statut de danseur est déjà accepté. D’un autre côté, ma famille, et surtout mon père, m’a encouragée à étudier au Conservatoire à danser à l’âge de six ans, etc. ».

Pourtant, lors des auditions pour sélectionner les danseurs de sa compagnie, elle a reçu plus de jeunes filles que de garçons. Une raison pour laquelle elle a fondé une école pour initier les jeunes hommes à la danse contemporaine. « Les jeunes hommes danseurs du ballet, classique ou moderne, étaient pris pour des homosexuels, mal traités, et il n’y avait que le hip-hop ils se sentaient des mecs. Alors, j’ai tricher, en disant que je faisais une école de hip-hop et du break dansealors que je n’aimais pas du tout à l’époquejuste pour attirer les danseurs. Pendant deux ans de formation, on dansait le hip-hop et, petit à petit, on passait à la danse contemporaine. Aujourd’hui, je compte 3 000 danseurs au Centre méditerranéen de la danse que j’ai créé pour former les danseurs contemporains », déclare-t-elle avec fierté.

Belkhodja réussit à changer l’image stéréotypée et a bouleversé la situation en faveur de la danse contemporaine. Une femme persistante, qui déploie toute son énergie pour l’art de la danse.

La répétition du deuxième spectacle Houma commence. Syhem remonte sur scène avec les danseurs, les situe à leurs places et révise les gestes avec eux. « Pourquoi faut-il répéter la chose sept fois ?, un geste explique tout », s’adresse-t-elle sur un ton furieux à l’un des jeunes qui voulait ajouter à son geste et son mouvement d’autres postures. La simplicité du mouvement, du geste et de la composition est la technique qu’elle adopte après un travail de 15 ans avec le metteur en scène Fadel Jaziri. « Il m’a montré beaucoup de choses. J’avais une technicité de danseuse, je voulais montrer toute la danse. Et il me disait souvent : Cela me suffit, pourquoi veux-tu dire plus ? Je faisais beaucoup de blabla, mais lui, il m’a appris à ne retenir que l’essentiel ». Un point bouleversant dans sa carrière. Avec lui, elle introduisait une forme de danse hip-hop théâtralisée pour le spectacle Nuba, développait de nouvelles approches esthétiques dans Al-Hadhra, Nujoum, Zeghounda et Azzouz et Bani Bani.

Puisant dans le patrimoine populaire, la chorégraphe a signé d’autres spectacles profondément inscrits dans la gestuelle de la tradition tunisienne : Chants de la Terre, Rabéa Al-Adouia, Chikhat et Tensions corporelles.

Syhem Belkhodja est toujours préoccupée par ses chorégraphies et ses cours de danse. Chaque année, depuis avril jusqu’à fin juin, elle est complètement absorbée par ses trois festivals : Doc à Tunis, Rencontres chorégraphiques de Carthage et le Festival de design et mode de Carthage qu’elle organise à travers son association Ness El-Fen.

« Je dansais dans tous les villages de la Tunisie et je n’avais aucun souci. Pour moi, les deux présidents qui ont dirigé la Tunisie, surtout Bourguiba, qui reste dans mon cœur, ont tout fait. Donc, je n’étais pas militante et je ne voulais pas l’être. Ce n’était pas du tout ma vie. Je ne militais que pour la danse. Dans ces villages je dansais, je voyais malheureusement des gens, comme le prédicateur Amr Khaled, qui intègrent cette population par le biais de la télévision. Et tout d’un coup, cette population moderne et tolérante devenait de plus en plus fermée. J’avais peur de l’intégrisme bête et non pas de la religion. Parce que je suis musulmane, pratiquante, amoureuse de l’islam, je ne peux que le défendre. Mais je ne voulais pas que ma Tunisie ressemble à des pays qui ne lui ressemblent pas. On a notre histoire », souligne-t-elle sérieusement.

Avec le 11 septembre 2001, Syhem s’est sentie frustrée. « Cet événement planétaire a fait de la sorte que je change de vie, de la danseuse qui ne recherchait que l’écriture chorégraphique, l’esthétique, initier les élèves à venir faire la danse, à une dame qui fait une course contre la montre pour que son pays ne bascule pas pour devenir un pays à l’image de l’Iran. Eux, ils ont l’argent pour le faire, ils ont des missiles, ils trouvent des subventions, et nous, dans l’art, nous n’en trouvons pas ». Une femme impliquée ? Oui, et à haute voix, elle déclare : « Je ne porterai pas le hijab, je ne vais pas non plus porter le niqab ».

Donc, à travers les trois festivals, Belkhodja milite à sa manière. Doc à Tunis est un festival d’analyse de documentaires politiques, les Rencontres chorégraphiques de Carthage vise à démocratiser l’art de la danse et le corps. Quant à Design et mode, il est suite à une anecdote. « Je suis partie nager dans un village conservateur les femmes n’ont jamais porté de maillot de bain ou de bikini de leur vie. Elles mettaient uniquement des robes blanches mais fleuries. L’année dernière, j’y étais et j’ai trouvé que les femmes étaient en burkini noir. Des êtres en noir dans une mer bleue, les femmes nageaient comme des pingouins », raconte-t-elle. « On peut interdire un film, mais je trouve le moyen de le passer, on peut interdire une danse, mais je trouve le moyen de la passer, et la mode peut passer les frontières sans visa et peut former toute une population », explique-t-elle en ajoutant : « Ces trois festivals sont une interrogation sociale de ce que les Tunisiens d’aujourd’hui vont laisser comme héritage aux générations futures ».

20h30. D’une petite valise près de son fauteuil au premier rang, Syhem Belkhodja fait sortir sa robe et sa trousse de maquillage. Elle monte sur scène, se met derrière les coulisses pour prendre rapidement son casse-croûte, se maquille et se change, ensuite, revient quelques minutes avant l’entrée du public en salle. A 21h, elle salue son public et rejoint sa place dans le cabinet d’éclairage avec les techniciens. La salle est noire, les rideaux se lèvent. Le spectacle commence.

May Sélim

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Jalons

1963 : Naissance à Carthage.

1985 : Création de sa compagnie de danse Sybel ballet théâtre.

1989 : Premier spectacle avec Fadhel Jaziri Nuba.

2002 : Lancement des Rencontres chorégraphiques de Carthage.

2004 : Inauguration de l’Espace Ness El-Fen.

2005 : Première édition du Doc à Tunis.

2006 : Prix du Monaco Dance Festival, pour toute la compagnie.

2009 : Première édition du festival Design et mode.

2007 : Trophée Cultures France des créateurs sans frontières.

2008 : Directrice de la Biennale de la danse de l’Afrique tenue à Tunis.

2010 : Invitée d’honneur du 11e Festival international de la danse moderne du Caire.

 

 




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