Abdel-Rahman
Al-Abnoudi
a
écrit son
recueil Baad al-tahiya
wel salam
en 1975, prenant
comme
toujours le parti des
opprimés, de
l’ouvrier qui
souffre partout
dans le monde de la
même injustice. Al-Ahram
Hebdo
adresse ses
vœux de prompt
rétablissement au
maître du
poème
égyptien.
Avec
mes
meilleures salutations
D’un
jeune homme
égyptien
à
son ami
ouvrier en Europe
Mon
frère Ezzat
Adly Elias,
Tu
as mille salutations : de moi-même,
de ta mère,
de tes amis
et tout le monde
Je
te félicite
comme je
me félicite
aussi
J’ai
obtenu mon
diplôme à
l’université
Je
te prie
de me chercher
là-bas en Europe et
sérieusement
Un
contrat de travail
Que
tu
m’enverras aussitôt
Car,
pardonne-moi de le dire
crûment, si
je trouve
un emploi
ici
Il
n’y aura
rien de nouveau dans ma
vie
Je
ne pourrai
avoir ni
chauffe-eau
ni chaufferette
ni voiture
Et
ceux qui
reviennent de là-bas
disent que
l’Europe
est riche
Là-bas
chez vous le
salaire de
l’ouvrier est un
vrai
salaire !
Que
ne peut
toucher ici
ni même
un directeur
dans un
gouvernorat.
La
paye des
ouvriers est
donc
certainement
Elevée,
très élevée
…
Je
t’en conjure,
mon cher
frère,
Envoie-moi
ce contrat
Pour
que je
vienne.
Il
n’est pas
nécessaire pour moi de
travailler avec
mon diplôme
Je
suis comme
toi, mon
frère,
Prêt
à faire
n’importe quel travail et
de n’importe
quelle
manière
Mais
il faut
absolument
que je
retourne avec
une voiture.
Ton frère,
Hosny
De
l’ami
ouvrier en Europe au jeune
homme
égyptien
Hosny,
mon frère,
Je
te souhaite
beaucoup de bonheur et de
bien
J’ai
reçu ta
lettre
Je
n’ai pas
été surpris par
ce qui y
est écrit
Je
savais bien
avant ma venue en France
Que
tous nos
jeunes
Portent
les mêmes
idées sur
l’Amérique et
l’Europe.
En tout
cas et
parce que
j’ai peu
de temps
Je
vais
rentrer immédiatement
dans le vif
du sujet.
Un :
Pourquoi
j’ai un travail d’ouvrier
et non pas de médecin ?
C’est
parce que
ici je
ne peux
pas travailler
comme
médecin
Et
parce que
je veux
savoir
Quelle
est au
juste l’histoire de
l’ouvrier en Europe ?
Deux
: Qui a répandu
dans nos
pays
L’idée
du
bien-être des ouvriers
dans les pays
capitalistes ?
Soit
les fils des
capitalistes qui
ont visité
les pays occidentaux
Ou
bien les
livres de l’Occident qui
n’arrêtent pas de diffuser
Les
idées des
capitalistes parmi
nos jeunes
Et
il y a là
un genre de guerre très
dangereux.
Soit
des jeunes
gens comme
toi et moi
Qui
ont visité
ces pays
vite fait
Et qui
n’ont pas
eu l’occasion
De
s’immerger
sous la surface trompeuse.
Celui
qui te dit
que les
ouvriers des pays capitalistes
Vivent
dans
l’aisance et le bien-être
Est
menteur !
Menteur ! Menteur !
Ne
dit-on pas «
capitalisme » ?
Le
capitalisme,
Hosny,
Suce
le sang des êtres
humains
Dans
les pays qu’il
colonise
Comment
donc
va-t-il laisser
ses
ouvriers sans les exploiter ?
Ne
va surtout
pas croire
que l’ouvrier
ici gagne
cinq livres
par jour
Et
qu’il a un
pavillon, une
voiture,
une télé et tout le
reste
Ne
va pas dire
que j’exagère en
t’avouant
Que
les ouvriers en Europe
sont
pauvres
Exactement
comme les
ouvriers de nos pays
L’ouvrier
qui prend
cinq livres
Combien
gagne-t-il par rapport au
propriétaire de
l’usine ?
Moi
par exemple
je travaille
dans la fabrication des
cintres
Le
coût d’un
cintre est de
cinq
millièmes
Je
n’y gagne
qu’un
millième
L’usine
le vend + trente
millièmes de gain
Peut-être
chez nous
là-bas …
Combien
je gagne
?
Le
propriétaire de
l’usine
Tu
peux me dire,
Hosny,
combien il
gagne ?
La
différence
est terrifiante
Car
ce n’est
pas seulement
moi
Mais
des milliers
d’ouvriers
dans l’usine :
Leurs
sueurs se
transforment en bénéfices
!
Effectivement,
je gagne
cinq livres
Mais
je
m’esquinte toute la
journée au travail
La vie
d’ici est
une
équation étrange
Par
exemple, la
voiture est
essentielle pour un
ouvrier ici
Les
onze
kilomètres de transport valent
soixante-six
piastres
Je
dois donc
économiser la
moitié de
mon salaire
sur ma
nourriture
Pour
ne pas
prendre le bus
Et
acheter une
voiture
Et la
voiture il
faut la changer
tous les
deux ans
Parce
qu’elle
nécessite des réparations
Et la
réparation se
paye en efforts et en
valeur du
temps
Et
cela est
très cher
!
Il
faut donc
courir tout le temps,
Hosny, derrière
l’achat de tout
ce qui est
nouveau
Je
sais que
cela ne
doit pas te
paraître
très clair
Je
m’explique :
pourquoi le bus
est aussi
cher ?
Les
onze
kilomètres valent
deux heures
de marche à
pied + la fatigue, ces
deux heures
on peut les
utiliser à
travailler pour le
même prix
Les
propriétaires des
sociétés
d’autobus font en sorte
que
l’ouvrier soit
obligé
Et
lui à
l’aise
Si
le propriétaire de
l’usine
hausse le prix du ticket
de bus
Cela
m’obligera
à travailler
jusqu’à en
crever, pour acheter
une voiture
Ceux
qui fabriquent les autobus
sont les
mêmes capitalistes qui
fabriquent les
voitures
Le
capitalisme
c’est une
bande,
Hosny, une
bande
Sans un
radiateur pour me chauffer,
je mourrai
de froid
Dans
les pays du
froid et de la mort
C’est
vrai que
j’ai une
voiture,
mais qu’est-ce
que j’en
fais de
cette voiture ?
Je
cours de la
maison à
l’usine
comme une bête
Et
je cours
de l’usine
à la maison
à bout de force
Je
suis allé
dans un
jardin ou
visiter des
amis ?
C’est
une noria
qui te
prend, crois-moi,
Le temps
que je
perds
maintenant avec toi,
je vais
en payer le prix : une
bouchée de pain en
moins !
Le
capitalisme qui
colonise les
ouvriers du
monde colonise en
priorité
ses ouvriers
Et fait
que leurs
vies soient
du vinaigre !
Tant
de choses
dans ma tête
mais je
n’ai pas le temps …
Voici
le fond des choses
Et
sois sûr
que je
reviendrai
Je
reviendrai
raconter l’histoire
à la
jeunesse d’Egypte
Le
bien-être de
l’ouvrier
dans les pays capitalistes,
Hosny,
C’est
le mensonge
du siècle !
Ton frère,
Adly
De la
Statue de la Liberté
à
un pauvre
nègre
Cher
frère
Toi
qui es
debout sous
ta statue
comme un étranger
Et qui
l’offenses,
l’humilies, comme
si elle
était
coupable
De
ce qui se
passe dans la
bien-aimée Palestine
Ou
dans les pays des
peuples
arabes
Ou
ce qui est
advenu à
toi, à
tes enfants
et tes
proches qui sont
pauvres
Ceux
qui ont un rare
sourire et qui
versent beaucoup de
larmes
Ceux
qui passent des
heures à
travailler
dans les ventres des
usines des
maîtres
Et
leurs
nombreuses heures de
travail et de bonne
volonté
deviennent destruction
Des
peuples
jeunes debout pour faire
la vie
Avec
leurs efforts et
leur sang
Tu
m’injuries ? A qui
alors je
pourrai
parler
Quand
vous les
défenseurs de la cause
La cause
de la liberté
C’est-à-dire
ma propre cause
Vous
m’abandonnez
dans mon
tiraillement
Qui me
donnera mon
sens, ma
valeur et l’idée
que je
représente ?
Je
sais que
quand tu
t’affranchis
Tu
me donnes à
moi aussi
la liberté
C’est
à cet
instant que ma
torche
flambera
Pour
chaque
individu dans ma nation
Et pour
chaque
individu de l’existence
Les
vieux
Vietnamiens dans un
atelier d’habits pour les
soldats
De
jeunes
Coréens
Un
jeune homme
cubain qui
garde les frontières
Un
insurgé
palestinien qui sort pour le combat
Sans se
demander
S’il
retournera
ou ne
retournera pas
Ils
donnent la
liberté
A
mes mains,
à mes
pieds, à
mon corps,
à mon regard,
Je
ne suis
qu’une
pierre debout
entre les airs
Je
peux être
le symbole de la vie et de la
liberté
Ou
des chaînes
Et
c’est toi
qui dois savoir
Ce
qui m’est indispensable et
mon
infortune
A
chaque fois
que tu
conquiers un nouveau front face
aux maîtres
Tu
aides ceux qui
aiment la vie
à avancer
Et
tu fais
saigner le sang des
maîtres à
profusion
Jusqu’à
ce que
s’effondre
leur système
aveuli
Qui
divise la vie
En
maîtres et
esclaves.
La
Statue de la Liberté.
Traduction
de Suzanne El Lackany