Al-Ahram Hebdo, Littérature |

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 Semaine du 23 au 29 juin 2010, numéro 824

 

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Littérature

Abdel-Rahman Al-Abnoudi a écrit son recueil Baad al-tahiya wel salam en 1975, prenant comme toujours le parti des opprimés, de l’ouvrier qui souffre partout dans le monde de la même injustice. Al-Ahram Hebdo adresse ses vœux de prompt rétablissement au maître du poème égyptien.

Avec mes meilleures salutations

D’un jeune homme égyptien

à son ami ouvrier en Europe

 

Mon frère Ezzat Adly Elias,

Tu as mille salutations : de moi-même, de ta mère, de tes amis et tout le monde

Je te félicite comme je me félicite aussi

J’ai obtenu mon diplôme à l’université

Je te prie de me chercher -bas en Europe et sérieusement

Un contrat de travail

Que tu m’enverras aussitôt

Car, pardonne-moi de le dire crûment, si je trouve un emploi ici

Il n’y aura rien de nouveau dans ma vie

Je ne pourrai avoir ni chauffe-eau ni chaufferette ni voiture

Et ceux qui reviennent de -bas disent que l’Europe est riche

-bas chez vous le salaire de l’ouvrier est un vrai salaire !

Que ne peut toucher ici ni même un directeur dans un gouvernorat.

La paye des ouvriers est donc certainement

Elevée, très élevée

Je t’en conjure, mon cher frère,

Envoie-moi ce contrat

Pour que je vienne.

Il n’est pas nécessaire pour moi de travailler avec mon diplôme

Je suis comme toi, mon frère,

Prêt à faire n’importe quel travail et de n’importe quelle manière

Mais il faut absolument que je retourne avec une voiture.

 

                                                            Ton frère,

                                                            Hosny

 

De l’ami ouvrier en Europe au jeune homme égyptien

 

Hosny, mon frère,

Je te souhaite beaucoup de bonheur et de bien

J’ai reçu ta lettre

Je n’ai pas été surpris par ce qui y est écrit

Je savais bien avant ma venue en France

Que tous nos jeunes

Portent les mêmes idées sur l’Amérique et l’Europe.

En tout cas et parce que j’ai peu de temps

Je vais rentrer immédiatement dans le vif du sujet.

Un : Pourquoi j’ai un travail d’ouvrier et non pas de médecin ?

C’est parce que ici je ne peux pas travailler comme médecin

Et parce que je veux savoir

Quelle est au juste l’histoire de l’ouvrier en Europe ?

Deux : Qui a répandu dans nos pays

L’idée du bien-être des ouvriers dans les pays capitalistes ?

Soit les fils des capitalistes qui ont visité les pays occidentaux

Ou bien les livres de l’Occident qui n’arrêtent pas de diffuser

Les idées des capitalistes parmi nos jeunes

Et il y a un genre de guerre très dangereux.

Soit des jeunes gens comme toi et moi

Qui ont visité ces pays vite fait

Et qui n’ont pas eu l’occasion

De s’immerger sous la surface trompeuse.

Celui qui te dit que les ouvriers des pays capitalistes

Vivent dans l’aisance et le bien-être

Est menteur ! Menteur ! Menteur !

Ne dit-on pas « capitalisme » ?

Le capitalisme, Hosny,

Suce le sang des êtres humains

Dans les pays qu’il colonise

Comment donc va-t-il laisser ses ouvriers sans les exploiter ?

Ne va surtout pas croire que l’ouvrier ici gagne cinq livres par jour

Et qu’il a un pavillon, une voiture, une télé et tout le reste

Ne va pas dire que j’exagère en t’avouant

Que les ouvriers en Europe sont pauvres

Exactement comme les ouvriers de nos pays

L’ouvrier qui prend cinq livres

Combien gagne-t-il par rapport au propriétaire de l’usine ?

Moi par exemple je travaille dans la fabrication des cintres

Le coût d’un cintre est de cinq millièmes

Je n’y gagne qu’un millième

L’usine le vend + trente millièmes de gain

Peut-être chez nous -bas …

Combien je gagne ?

Le propriétaire de l’usine

Tu peux me dire, Hosny, combien il gagne ?

La différence est terrifiante

Car ce n’est pas seulement moi

Mais des milliers d’ouvriers dans l’usine :

Leurs sueurs se transforment en bénéfices !

Effectivement, je gagne cinq livres

Mais je m’esquinte toute la journée au travail

La vie d’ici est une équation étrange

Par exemple, la voiture est essentielle pour un ouvrier ici

Les onze kilomètres de transport valent soixante-six piastres

Je dois donc économiser la moitié de mon salaire sur ma nourriture

Pour ne pas prendre le bus

Et acheter une voiture

Et la voiture il faut la changer tous les deux ans

Parce qu’elle nécessite des réparations

Et la réparation se paye en efforts et en valeur du temps

Et cela est très cher !

Il faut donc courir tout le temps, Hosny, derrière l’achat de tout ce qui est nouveau

Je sais que cela ne doit pas te paraître très clair

Je m’explique : pourquoi le bus est aussi cher ?

Les onze kilomètres valent deux heures de marche à pied + la fatigue, ces deux heures on peut les utiliser à travailler pour le même prix

Les propriétaires des sociétés d’autobus font en sorte que l’ouvrier soit obligé

Et lui à l’aise

Si le propriétaire de l’usine hausse le prix du ticket de bus

Cela m’obligera à travailler jusqu’à en crever, pour acheter une voiture

Ceux qui fabriquent les autobus sont les mêmes capitalistes qui fabriquent les voitures

Le capitalisme c’est une bande, Hosny, une bande

Sans un radiateur pour me chauffer, je mourrai de froid

Dans les pays du froid et de la mort

C’est vrai que j’ai une voiture, mais qu’est-ce que j’en fais de cette voiture ?

Je cours de la maison à l’usine comme une bête

Et je cours de l’usine à la maison à bout de force

Je suis allé dans un jardin ou visiter des amis ?

C’est une noria qui te prend, crois-moi,

Le temps que je perds maintenant avec toi, je vais en payer le prix : une bouchée de pain en moins !

Le capitalisme qui colonise les ouvriers du monde colonise en priorité ses ouvriers

Et fait que leurs vies soient du vinaigre !

Tant de choses dans ma tête mais je n’ai pas le temps …

Voici le fond des choses

Et sois sûr que je reviendrai

Je reviendrai raconter l’histoire à la jeunesse d’Egypte

Le bien-être de l’ouvrier dans les pays capitalistes, Hosny,

C’est le mensonge du siècle !

                                                                        Ton frère,

Adly

 

 

De la Statue de la Liberté

à un pauvre nègre

 

Cher frère

Toi qui es debout sous ta statue comme un étranger

Et qui l’offenses, l’humilies, comme si elle était coupable

De ce qui se passe dans la bien-aimée Palestine

Ou dans les pays des peuples arabes

Ou ce qui est advenu à toi, à tes enfants et tes proches qui sont pauvres

Ceux qui ont un rare sourire et qui versent beaucoup de larmes

Ceux qui passent des heures à travailler dans les ventres des usines des maîtres

Et leurs nombreuses heures de travail et de bonne volonté deviennent destruction

Des peuples jeunes debout pour faire la vie

Avec leurs efforts et leur sang

Tu m’injuries ? A qui alors je pourrai parler

Quand vous les défenseurs de la cause

La cause de la liberté

C’est-à-dire ma propre cause

Vous m’abandonnez dans mon tiraillement

Qui me donnera mon sens, ma valeur et l’idée que je représente ?

Je sais que quand tu t’affranchis

Tu me donnes à moi aussi la liberté

C’est à cet instant que ma torche flambera

Pour chaque individu dans ma nation

Et pour chaque individu de l’existence

Les vieux Vietnamiens dans un atelier d’habits pour les soldats

De jeunes Coréens

Un jeune homme cubain qui garde les frontières

Un insurgé palestinien qui sort pour le combat

Sans se demander

S’il retournera ou ne retournera pas

Ils donnent la liberté

A mes mains, à mes pieds, à mon corps, à mon regard,

Je ne suis qu’une pierre debout entre les airs

Je peux être le symbole de la vie et de la liberté

Ou des chaînes

Et c’est toi qui dois savoir

Ce qui m’est indispensable et mon infortune

A chaque fois que tu conquiers un nouveau front face aux maîtres

Tu aides ceux qui aiment la vie à avancer

Et tu fais saigner le sang des maîtres à profusion

Jusqu’à ce que s’effondre leur système aveuli

Qui divise la vie

En maîtres et esclaves.

La Statue de la Liberté.

Traduction de Suzanne El Lackany

 

Abdel-Rahman
 Al-Abnoudi

en 1938 à Abnoud dans le gouvernorat de Qéna en Haute-Egypte, Abnoudi est l’un des poètes contemporains les plus célèbres, une figure publique de la poésie arabe populaire. Il a trouvé sa place dans l’âme et le cœur du public en tant que gardien des traditions orales et du patrimoine rural égyptien. Il a rassemblé la Geste hilalienne en trois volumes. Il fait partie d’une génération de poètes qui ont écrit dans le dialecte égyptien plutôt que dans l’arabe classique, la langue littéraire standard.  Il a obtenu le Prix d’Etat en 2001, devenant le premier poète en dialectal égyptien qui remporte ce prix. Parmi ses œuvres publiées : Al-Mawt ala al-asflat (mort sur l’asphalte) est inscrit sur la liste des 100 livres africains du 20e siècle, en 2001 à la Foire internationale du livre du Zimbabwe. Les plus célèbres poèmes sont : Le Permis et l’interdit, Moi et les gens, La terre et les enfants et Le silence de la cloche. Il a aussi écrit les textes de nombreuses chansons interprétées par les plus grands artistes orientaux et maghrébins comme Abdel-Halim Hafez, Mohamad Rouchdi, Warda et bien d’autres.

 

 




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