Al-Ahram Hebdo, Littérature | Kassem Mossaad Eléwa; La Gazelle

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 Semaine du 2 au 8 juin 2010, numéro 821

 

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Littérature

En épousant une écriture soufie, Kassem Mossaad Eléwa nous introduit à travers son roman La Gazelle dans un monde le plaisir de la lecture rime avec la teneur d’un texte construit par une série de dialogues concis. Le tout sur fond de mystère et de multiplicité des sens.

La Gazelle

J’ai dit à mon maître, je te suis

1

Je dis à mon maître, je te suis.

Il dit : Essaye.

2

J’ai porté l’habit troué et je me suis approché de lui, il m’a grondé :

Oh ! Ce n’est pas ainsi que l’on se vêtitEt ce n’est pas ainsi que l’on suit son maître.

3

Il me présenta un vêtement en haillon de la même manière que l’on présenterait un habit de prince, de sultan ou de roi.

Je dis : Mais, il est plein de trous et déchiré.

Il dit : De ces trous tu t’en sortiras et de ces déchirures tu perceras.

4

J’avais faim et nous étions dans le désert et de l’horizon lointain une gazelle courait dans un sillon de poussière et arriva vers nous. Lorsqu’elle s’approcha, je me posais devant mon maître et portais haut une barre de fer que j’avais sur moi. Je dis :

Je la tue et nous la mangeons.

Il me lança un regard aussi intense que la douleur de la faim et dit :

Si nous la mangeons, que nous restera-t-il et de quoi rêverons-nous ?

Puis, il caressa la tête de la gazelle et dit en lui adressant la parole :

— Il est encore inexpérimenté, n’en fais pas cas.

5

La gazelle nous accompagna et nous fut d’une grande utilité. Elle nous fit escalader et descendre des dunes et nous fit découvrir des chemins que nous n’aurions pas découverts sans elle. Elle nous sauva des serpents et écrasa des scorpions. Elle nous emmena vers des sources d’eau nous nous désaltérâmes d’une eau douce et limpide. Mais alors que nous avions été épargnés de certains dangers, mon maître se pencha vers moi et demanda :

Que penses-tu de notre gazelle ? Faut-il la tuer ?

J’aurais voulu qu’il me remplisse la bouche de sable avant qu’il ne me posât une telle question.

6

Un contrebandier nous barra le chemin. Il nous regarda de haut, nous considérant comme insignifiants, puis il dit :

Avez-vous quelque chose qui mériterait que l’on vous vole ?

Mon maître dit : Nos haillons.

Il fit la moue et nous dédaigna, puis il vit la gazelle et dit :

Je prends la gazelle.

En peu de mots, mon maître répondit :

Si tu le peux.

Je fus pris par un grand étonnement … Il m’en prive et la donne à un voleur !

Le voleur rit et essaya de la prendre, mais elle s’évada et s’enfuit. Il lui asséna alors un coup de couteau, mais elle s’échappa. Il la frappa avec un bâton, mais il ne le put. Il lui jeta une pierre qui partit dans le vide. Il sauta dessus, mais elle se mit à courir. Je la vis qui tournoyait sans arrêt jusqu’à couper le souffle du voleur. Il dit :

Partir au loin et vous quitter est une chance.

Il nous quitta alors que la gazelle se frottait contre le vêtement en haillon de mon maître.

7

Mon maître escalada en compagnie de la gazelle une dune et je les suivis.

Dès que nous fûmes en haut nous fûmes surpris par un grand chahut. Des chiens de chasse, des Jeeps, des hommes sur le qui-vive et des fusils.

Nous fûmes pris de panique et rebroussèrent chemin. Les chiens étaient ceux du gouverneur et les voitures celles du gouverneur et les gens faisaient partie de la garde du gouverneur. Je tremblais alors que le visage de mon maître se rembrunissait et la gazelle vibrait de tout son corps.

Une grande ombre plana au-dessus de nous, puis nous fûmes surpris par le gouverneur en personne au-dessus de nous. Il nous interpella comme les gouverneurs le font avec leurs sujets :

Oh ! Vous ! Laissez-moi cette gazelle.

Nous nous tuâmes, mon maître et moi. La gazelle se protégea contre le dos du maître.

Le gouverneur dit :

— Le désert est vide de proies. Il est honteux que je retourne de la chasse sans avoir rien rapporté.

Mon maître contint sa colère et dit :

— Elle est à vous, gouverneur. Espérons qu’elle soit à vous.

Il m’étonna. Il m’en avait privé et avait dit au voleur : si tu le peux. Il semblait qu’il ne l’avait gardé que pour le gouverneur.

De sa place, le gouverneur fit signe à des personnes derrière la dune et ils lui répondirent aussitôt. Par un autre signe, ils s’empressèrent, dans notre direction, accompagnés de leurs chiens.

Aussitôt, la gazelle prit du leste et partit loin de nous, d’eux et de la dune. Le gouverneur essaya de la fusiller, mais il rata son coup. Les porteurs de fusils firent de même, mais ils remplirent de balles les sables.

Il n’apparaissait plus d’elle que le sillon de sable qu’elle avait formé de ses pattes.

Le gouverneur se tourna en vociférant à la suite de quoi, les Jeeps se lancèrent derrière le sillon de sable. L’atmosphère se remplit encore plus de poussière. Elle cachait l’horizon et couvrait le ciel. La gazelle et son sillon disparurent de notre horizon.

Un temps passa, puis les voitures réapparurent. Elles tranchaient les sables sur la route du retour et vers le haut d’une dune, elles montèrent. Avant de reculer, nous pûmes discerner les signes de honte sur les visages des passagers et le désespoir à travers les gestes de leurs mains.

Le gouverneur ne put que réprimer sa colère et avec l’orgueil des gouverneurs, il monta dans une voiture proche de lui, nous lança un regard de mépris et s’en alla.

Lorsque leurs nuages disparurent, je ne fus pas étonné de voir la gazelle près de mon maître.

Devant la portière de la ville, mon maître me demanda :

8

Tu as gardé ta barre de fer ?

Puis, il se pencha vers la gazelle et lui demanda de se retirer et de partir. Elle refusa et il la poussa fermement vers le désert. Elle revint et il la mena par lui-même le plus loin qu’il pouvait.

Lorsqu’il revint, il choisit une pierre aiguisée. Ensuite il se redressa, vida l’air qui remplissait ses poumons et le renouvela. Puis il me demanda de m’apprêter. Fortement, il lança aux gardes :

Ouvrez la portière.

Alors que la portière s’ouvrait, je vis la gazelle debout toute proche qui nous regardait avec regret. Je pensais que je ne franchirais pas le pas de la portière de la ville pour m’élancer vers elle, mais mon maître me regarda, son visage se durcit, il n’avait pas l’habitude de le faire avec moi et il dit :

Suis-moi.

(…)

Après que mon maître m’ait abandonné

L’abandon de mon maître me fit souffrir. Je fus désemparé et partit sans but.

Une femme aussi belle qu’une nuit de lune, m’appela :

Jeune homme, viens.

Je fus étonné qu’elle me dise jeune homme. Mon maître m’avait départi de ma jeunesse avant de me libérer.

Elle m’appela à nouveau :

Viens jeune homme, viens.

Lorsque je m’approchais, elle dit :

Montre-moi quelque chose de ce que tu as appris.

Désespéré, je dis :

Je ne suis pas un homme de savoir.

Elle me secoua tellement que mon vêtement en haillon faillit tomber :

— La modestie de celui qui sait est une honte que peut éprouver le commun des gens, mais pas toi

J’avais tellement honte que je l’ai quittée et partis, mais elle me barra le chemin :

— On peut faire beaucoup, avec un peu de savoir.

Puis, elle me surprit en enlevant son habit. Je reculais rapidement alors qu’elle pouffait de rire tellement que je vis les larmes lui coulaient des yeux. Lorsqu’elle se tut, elle me fixa et dit :

Imbécile Ne fuis pas celle qui peut te sauver.

Et doucement, elle avança le bras et me toucha. Très lentement, elle approcha son corps potelé du mien alors que je restais tendu comme un arc. Lorsque je fus touché par la douceur de sa peau et de la chaleur qui envahissait mon corps, je me laissais prendre par elle en toute conscience et je recherchais celle qui me sauvait. Je vis alors la beauté d’une jeune gazelle svelte qui arrivait rapidement en toute vitesse, se pressant contre ma jambe sans interrompre ce que je faisais.

Traduction de Soheir Fahmi

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Kassem Mossaad Eléwa

à la ville de Port-Saïd en 1945. Attaché à sa ville natale qui a été terrain de guerre, il a consacré sa plume pour étudier l’authentique dans la personnalité égyptienne et l’humour qu’elle renferme. Il est membre du conseil de l’Union des écrivains égyptiens et président du conseil consultatif culturel du gouvernorat de Port-Saïd. A la retraite, il se consacre à l’écriture de l’essai politique, la nouvelle, le roman et le théâtre pour enfants. Il a à son actif plus d’une dizaine d’œuvres déjà publiées, sept recueils de nouvelles dont Al-Déhk (le rire), éditions Mawaqef Adabiya en 1981, Hodoud al-istetaa (les limites du possible), Al-Mostaqbal lil tebaa en 1989 et Ghir al-maalouf (l’inaccoutumé), chez le même éditeur, 1999. Des œuvres pour enfants comme Bahgat al-takhayol (la joie de l’imagination), Markaz al-hadara en 1999 ou Kenz qanat Al-Sweiss al-dahabi (le trésor d’or du Canal de Suez) en voie de publication.

 




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