En
épousant
une écriture
soufie,
Kassem
Mossaad
Eléwa nous
introduit à
travers son roman La Gazelle
dans un monde
où le
plaisir de la lecture rime avec la
teneur d’un
texte construit par
une série
de dialogues concis. Le tout
sur fond de
mystère et de
multiplicité des
sens.
La
Gazelle
J’ai
dit à
mon
maître, je
te suis
1
Je
dis à
mon
maître, je
te suis.
Il
dit
: Essaye.
2
J’ai
porté
l’habit troué et
je me suis
approché de
lui, il
m’a
grondé
:
—
Oh ! Ce
n’est pas
ainsi que
l’on se
vêtit … Et
ce n’est
pas ainsi
que l’on suit son
maître.
3
Il
me présenta un
vêtement en
haillon de la même
manière que
l’on
présenterait un habit de prince, de sultan
ou de roi.
Je
dis
: Mais,
il est
plein de
trous et déchiré.
Il
dit
: De ces
trous tu
t’en
sortiras et de ces
déchirures
tu perceras.
4
J’avais
faim et
nous étions
dans le
désert et de l’horizon
lointain
une gazelle courait
dans un
sillon de poussière et
arriva vers
nous.
Lorsqu’elle s’approcha,
je me
posais devant
mon
maître et
portais haut une
barre de
fer que
j’avais sur
moi. Je
dis
:
—
Je la
tue et
nous la
mangeons.
Il me
lança un regard
aussi intense
que la
douleur de la faim et
dit
:
—
Si nous
la mangeons,
que nous
restera-t-il et de quoi
rêverons-nous
?
Puis,
il caressa
la tête de la gazelle et
dit en lui
adressant la
parole :
— Il
est
encore inexpérimenté,
n’en fais
pas cas.
5
La
gazelle nous
accompagna
et nous
fut d’une
grande
utilité. Elle nous fit
escalader et
descendre des dunes et nous
fit découvrir des
chemins que
nous
n’aurions pas découverts
sans elle. Elle
nous sauva
des serpents et
écrasa des scorpions. Elle
nous emmena
vers des sources
d’eau où
nous nous
désaltérâmes
d’une eau
douce et
limpide.
Mais alors
que nous
avions été
épargnés de
certains dangers, mon
maître se
pencha vers
moi et
demanda
:
—
Que
penses-tu de notre
gazelle ?
Faut-il la
tuer ?
J’aurais
voulu qu’il
me remplisse la
bouche de sable
avant qu’il
ne me posât
une telle
question.
6
Un
contrebandier
nous barra
le chemin. Il
nous
regarda de haut, nous
considérant
comme insignifiants,
puis il
dit
:
—
Avez-vous
quelque chose qui mériterait
que l’on
vous vole ?
Mon
maître
dit :
Nos
haillons.
Il fit
la moue et nous
dédaigna,
puis il
vit la gazelle et
dit
:
—
Je prends
la gazelle.
En
peu de mots,
mon maître
répondit
:
—
Si tu
le peux.
Je
fus pris
par un grand étonnement … Il
m’en prive
et la donne
à un voleur
!
Le
voleur rit
et essaya
de la prendre,
mais elle
s’évada et
s’enfuit. Il
lui asséna
alors un coup de
couteau,
mais elle
s’échappa.
Il la frappa avec un
bâton, mais
il ne
le put. Il
lui jeta
une pierre
qui partit
dans le vide. Il
sauta
dessus, mais
elle se mit
à courir.
Je la
vis qui
tournoyait sans
arrêt
jusqu’à couper le
souffle du
voleur. Il
dit :
—
Partir au loin
et vous
quitter est
une chance.
Il
nous quitta
alors que
la gazelle se frottait
contre le
vêtement en haillon de
mon maître.
7
Mon
maître
escalada en compagnie de
la gazelle une dune
et je
les suivis.
Dès
que nous
fûmes en haut
nous fûmes
surpris par
un grand chahut. Des
chiens de chasse, des Jeeps, des
hommes sur
le qui-vive et des fusils.
Nous
fûmes pris
de panique
et rebroussèrent
chemin. Les
chiens étaient
ceux du
gouverneur
et les voitures
celles du
gouverneur et les
gens
faisaient partie de la
garde du
gouverneur.
Je tremblais
alors que
le visage de mon
maître se
rembrunissait et la gazelle
vibrait de tout son corps.
Une
grande
ombre plana au-dessus
de nous,
puis nous
fûmes
surpris par le gouverneur
en personne au-dessus
de nous. Il
nous interpella
comme les
gouverneurs le font avec leurs
sujets
:
—
Oh !
Vous !
Laissez-moi
cette gazelle.
Nous
nous tuâmes,
mon
maître et
moi. La gazelle se protégea
contre le dos
du maître.
Le
gouverneur
dit :
— Le
désert
est vide de
proies. Il
est honteux
que je
retourne de la chasse sans
avoir rien
rapporté.
Mon
maître
contint sa
colère et
dit :
— Elle
est
à vous,
gouverneur.
Espérons
qu’elle
soit à
vous.
Il
m’étonna. Il
m’en avait
privé et
avait dit au
voleur
: si
tu le peux.
Il semblait
qu’il ne
l’avait
gardé que pour le
gouverneur.
De
sa
place, le gouverneur fit
signe à
des personnes derrière la dune
et ils lui
répondirent
aussitôt. Par un
autre signe,
ils
s’empressèrent, dans
notre direction,
accompagnés de
leurs
chiens.
Aussitôt,
la gazelle prit
du leste
et partit
loin de nous,
d’eux et de la dune. Le
gouverneur
essaya de la fusiller,
mais
il rata son coup. Les
porteurs de fusils
firent de
même, mais
ils
remplirent de
balles les sables.
Il
n’apparaissait plus
d’elle que
le sillon de sable
qu’elle
avait formé de
ses pattes.
Le
gouverneur se
tourna en
vociférant à la suite de
quoi, les Jeeps se lancèrent
derrière le sillon de sable.
L’atmosphère
se remplit encore plus de
poussière. Elle
cachait
l’horizon et
couvrait le
ciel. La gazelle et son
sillon
disparurent de notre
horizon.
Un
temps passa,
puis les
voitures réapparurent.
Elles
tranchaient les sables sur
la route du
retour et
vers le haut
d’une dune,
elles montèrent.
Avant de
reculer, nous
pûmes discerner les
signes
de honte
sur les visages des passagers
et le désespoir
à travers
les gestes de
leurs mains.
Le
gouverneur
ne put que
réprimer
sa
colère et avec l’orgueil
des gouverneurs,
il monta
dans une
voiture
proche de lui,
nous lança
un regard de mépris et
s’en alla.
Lorsque
leurs
nuages disparurent,
je ne
fus pas
étonné de voir la gazelle
près de
mon
maître.
Devant
la portière de la
ville, mon
maître me
demanda
:
8
Tu
as gardé ta
barre de
fer ?
Puis,
il se
pencha vers
la gazelle et lui
demanda de se
retirer et de
partir. Elle
refusa et
il la
poussa fermement
vers le
désert. Elle revint
et il
la mena par
lui-même le plus loin qu’il
pouvait.
Lorsqu’il
revint,
il
choisit une
pierre
aiguisée. Ensuite
il se
redressa,
vida l’air qui
remplissait
ses poumons et le
renouvela.
Puis il
me demanda de
m’apprêter.
Fortement, il
lança aux
gardes
:
—
Ouvrez la
portière.
Alors
que la
portière s’ouvrait,
je
vis la gazelle
debout
toute proche qui
nous
regardait avec regret. Je
pensais que
je ne
franchirais pas le pas de la
portière de la
ville pour
m’élancer vers
elle, mais
mon maître
me regarda, son visage se
durcit, il
n’avait pas
l’habitude de le faire avec moi
et il
dit :
—
Suis-moi.
(…)
Après
que
mon
maître m’ait
abandonné
L’abandon
de mon
maître me fit
souffrir.
Je fus
désemparé et
partit sans but.
Une
femme aussi belle
qu’une nuit
de lune,
m’appela
:
—
Jeune homme,
viens.
Je
fus étonné
qu’elle me
dise jeune
homme.
Mon maître
m’avait
départi de ma jeunesse
avant de me
libérer.
Elle
m’appela à
nouveau :
—
Viens jeune
homme,
viens.
Lorsque
je
m’approchais, elle
dit
:
—
Montre-moi
quelque chose de
ce
que tu as
appris.
Désespéré,
je
dis :
—
Je ne
suis
pas un homme de savoir.
Elle me
secoua
tellement que
mon
vêtement en haillon
faillit
tomber
:
— La
modestie de
celui qui sait
est
une honte
que peut
éprouver le
commun des gens,
mais pas
toi …
J’avais
tellement
honte que
je l’ai
quittée et
partis, mais
elle me
barra le
chemin :
— On
peut faire beaucoup, avec
un peu
de savoir.
Puis,
elle me
surprit en enlevant son
habit.
Je reculais
rapidement
alors qu’elle
pouffait de
rire tellement
que je
vis
les larmes
lui coulaient des
yeux.
Lorsqu’elle se tut,
elle me
fixa et dit
:
—
Imbécile …
Ne fuis pas
celle
qui peut te
sauver.
Et
doucement,
elle avança le bras et me
toucha.
Très lentement,
elle
approcha son corps potelé
du mien
alors que
je restais
tendu comme
un arc.
Lorsque je
fus touché par la douceur de
sa
peau et de la
chaleur qui
envahissait mon corps,
je me
laissais prendre par
elle en
toute conscience et je
recherchais
celle qui me sauvait.
Je
vis
alors la beauté
d’une jeune
gazelle svelte qui arrivait
rapidement en
toute
vitesse, se pressant
contre ma
jambe sans interrompre
ce que
je faisais.
Traduction
de Soheir
Fahmi