Al-Ahram Hebdo, Littérature | Raafat Al-Mihi, La deuxième défaite du diable

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 Semaine du 16 au 22 juin 2010, numéro 823

 

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Littérature

Entre fantaisie et humour, entre un diable et un homme, Raafat Al-Mihi, qui est également réalisateur de cinéma et scénariste, tisse un tableau dans son roman Al-Gamila hatman towafeq (la belle doit certes acquiescer) où l’action et l’image se confondent avec le texte littéraire.

La deuxième défaite du diable

(…) Il demeura la tête entre les mains, fixant le sol, dans la même position. Ici, les choses prenaient fin, le bonheur fleurissait et le nuage du grand-père jetait son ombre sur tous. Ce beau jeune homme, où se plaçait-il par rapport à son père qui lui avait tourné le dos, simplement parce qu’il avait décidé de partir ? Il remarqua le rideau qui se trouvait à sa gauche, le paon était entré (ou était sorti) par ici. Il n’était pas aussi beau que quand il l’avait vu. Il remarqua un point noir sur le devant de la tête et ses couleurs n’étaient plus celles d’un arc-en-ciel, elles avaient beaucoup terni. Son cœur se serra. Etait-ce elle, cette mère revenue et retrouvée par le fils sur son tombeau ? Elle l’avait suivi jusqu’à la maison. Ressentait-elle à ce point de l’angoisse au sujet de Némat-Allah ? Etait-elle en colère parce qu’il préférait la belle et que la colère lui avait fait perdre la beauté de ses plumes et l’élégance de ses gestes ? Il considérait à ce point sa manière d’agir tel un péché ? Il voulait se défendre jusqu’au dernier souffle :

— J’ai vu la Belle et j’ai été épris d’elle ! La passion est un jugement que le pauvre mortel ne peut réfuter ! Pourquoi étais-tu partie chez Némat-Allah alors que tu savais que mon cœur était attaché à la Belle dès l’instant où son visage apparut derrière le rideau épais ! J’ai été élevé dans une demeure que tissaient souffrance et tristesse, je ne supportais plus la tristesse et je rêvais de la compagnie du bonheur. Puis, Némat-Allah était mariée et était dans l’attente de son mari. Comment désirais-tu que je désobéisse au commandement de Dieu ?

Le paon sursauta et ses jambes devinrent de plus en plus longues, il apparaissait différent. Il remarqua que le paon avait perdu toutes ses couleurs et les minarets et les églises qui scintillaient au fond de ses yeux qui étaient devenus ovales. Ses ongles s’allongèrent. Le jeune homme se leva et sentit qu’il se trouvait devant quelque chose de différent.

— Tu ne peux être la femme qui a tissé ces dessins ! Tu ne peux être l’épouse de l’homme qui a vaincu le diable !

Le paon se transforma à nouveau et ses plumes se métamorphosèrent en pointes aiguës qui brillaient comme le feraient des dents de fer. Ses ongles ressemblèrent à ceux des rapaces. De sa gueule sortirent une flamme bleue et un son proche de celui du cobra.

— C’est impossible ! La laideur ne peut jamais créer de beau !

La voix se transforma en des paroles maudites :— Et pourtant, elle, c’est moi !

— Non, Tu n’es pas elle !

— Baisse la voix … Un seul coup de mon bec et ton cœur sera ravagé avant que quiconque des habitants de cette demeure ne t’entende !

— Maudit !

— Maudit ! Je vivais seul ici, acceptant la souffrance du jugement de Dieu parce que j’avais simplement refusé de m’agenouiller devant une poignée de boue. J’ai accepté d’accompagner les renards et les serpents et de me nourrir de la chair des rats. J’ai accepté, afin que Dieu prenne conscience que sa boue ne vaut pas toute cette précaution et cette miséricorde. Puis vint cet homme pour me combattre jour après jour. Un nouveau défi de Dieu. Il lui octroya la force, afin qu’il me fasse essuyer une défaite tous les jours et qu’il s’accapare d’un lopin de terre de mon monde où l’eau jaillit et la terre se couvre de la couleur verte qui m’est détestable. Il fit que les rats s’enfuient et que je sois affamé, que les renards et les serpents courent pour me délaisser tout seul alors que nous vivions ensemble … Je ne trouvais plus ce qui me ferait survivre, sois mon compagnon, afin que je lui donne une leçon dans la manière de flouer l’homme et de lui asséner une morsure. Lorsqu’il bâtit des murailles, j’attendis qu’il meure. Et lorsque je ne pus accéder à son tombeau, car il n’avait pas perdu de ses forces, j’attendis encore une autre année et me posai sur le tombeau de sa femme qui s’était affaiblie par la maladie de la nostalgie qu’elle avait pour son mari. J’habitais au-dessus de son tombeau sous les dehors et les couleurs d’un paon dont je déteste la couleur alors que cet imbécile d’homme apprécie. Le fils me vit et pensa que c’était elle. Le nuage avait dormi et ne le prévint pas. C’est moi qui ai privé Némat-Allah de son mari, et c’est moi qui me dresse face au mariage de la Laide.

— La Laide ?!

— En quoi une poignée de boue peut-elle revêtir de la beauté, imbécile ! Demain, cette poignée de boue va se fendre et se remplir de crevasses, et de sa bouche ressortira une odeur nauséabonde ! As-tu senti ton haleine, le matin ? … Nauséabonde ! As-tu senti tes restes ? Nauséabonds ! T’es-tu assis près d’un tombeau la nuit de l’enterrement de son propriétaire alors que son odeur s’exhale de la poussière ?! Nauséabonde ! Mon seul péché est que j’ai planté en vous, de derrière le dos de Dieu, la dignité. Maintenant, vous me faites la guerre avec ce que j’ai planté de mes propres mains. Il m’arrive de penser que Dieu voyait ce que je plantais et m’avait laissé faire pour que vous deveniez la source de ma souffrance ! Mais voici que je déclare ma victoire. Il faut que la demeure et la terre redeviennent ruines !

— Je ne te permettrai pas ! Je te combattrai comme l’avait fait le grand-père ! Le paon, ou celui qui avait été un paon, se mit à rire. Il se précipita ensuite tel un éclair dans la direction du jeune homme qui se jeta dans le bateau qui l’emmena au loin alors que le paon se cognait au mur de derrière.

— Tu dis que tu veux me vaincre comme l’avait fait le maudit ! Sors donc vers l’espace où je me battais contre lui ! Aujourd’hui, c’est mon jour à moi ! Il n’y a ni murs, ni bateaux et la lumière verte est cachée à cause de l’obscurité !

Le jeune homme, au cœur rempli de colère, sauta hors du bateau. Il sortit sans remarquer la femme aux cheveux dénoués alors qu’elle s’était redressée et qu’elle le regardait avec pitié en le priant de ne pas sortir. Le diable ne peut pas s’emparer de ce monde parfait ! La perfection mérite qu’on la défende ! Il était parti 20 années vers la couleur jaune dans le but de rassembler des billets de banques, alors pourquoi ne pas perdre sa vie pour la beauté ?

Dans la cour qui se trouvait devant la demeure ouverte, là où les lumières des lanternes venant de l’intérieur de la demeure se recoupaient avec l’obscurité ambiante qui se recoupait à son tour avec la clarté de la lune, ils décidèrent de se battre. Le jeune homme enleva ses vêtements comme le faisait le grand-père (c’était ce que lui avait raconté le père) et prit une lame de fer et se mit à attaquer le paon qui pouffait de rire et se protégeait contre ces coups en l’attaquant et en laissant des tâches de sang sur sa poitrine. Le jeune homme ne ressentit rien, la souffrance l’évita. Leurs souffles montaient … ! Ils s’engueulaient … Chacun face à l’autre … Le paon frappait la poitrine du côté du cœur et le jeune homme ne ressentait pas la douleur ! Il cherchait son chemin vers le cou du diable. Enfin, il prit le paon qui essayait de s’évader de ses bras entourant sa tête couverte de sable ! Il culbutait entre les tiges de maïs alors que les lames du paon arrachaient les racines pour tomber au sol alors que les cris montaient ! Le jeune homme tenait la vésicule du paon alors que le corps du paon s’étirait pour se transformer en un gigantesque géant, presqu’aussi énorme que la demeure ! Le jeune homme apparaissait infiniment petit tel un verset de Coran accroché à la poitrine du paon et qui était sur le point de l’étouffer. Sans savoir comment, le jeune homme se trouva projeter au loin dans les airs et le géant se trouva enfin libéré. Soudain, le nuage qui était au-dessus de la demeure bougea, et dans un événement qui était hors de saison, des lames de glace s’abattirent sur le géant. Il essaya d’élever la tête vers les cieux pour les éviter, mais ses pieds glissèrent sur le sol transformé en une grande mare de boue. Il tomba sur son postérieur alors que les lames de glace ne s’arrêtaient pas. Le jeune homme essaya d’arriver à sa vésicule à nouveau. Le jeune homme devenait de plus en plus fort alors que le diable qui avait cessé d’être un paon était martelé par les lames de glace et entouré de boue. A chaque fois qu’il essayait de faire pénétrer ses pics dans le jeune homme, il était empêché par les couteaux qui lui tombaient sur le corps. Le jeune homme sauta à nouveau au-dessus de lui en répétant :

— Je ne te permettrai pas d’étendre ta puissance sur le monde de perfection … Cela fait 20 ans que je suis à sa recherche et lorsque je le trouve, tu veux le détruire !

— Tu ne l’habiteras pas !

— Je l’habiterai !

— Tu n’épouseras pas la Laide !

— Je me marierai à la Belle, et la danse de mon mariage se fera ici au-dessus de ta dépouille !

— Nauséabond ! Nauséabond ! Nauséabond !

Il répétait cela avec haine et désespoir, et sa voix couvrit la terre entière. Puis soudain, une flamme de feu sortit de sa bouche comme si elle venait de l’enfer. Elle brûla les tiges de maïs avoisinantes et toucha les mains du jeune homme. Elle bondit en une longue ligne entre les plantations vertes puis s’en alla au loin. Le jeune homme ne trouva entre ses mains que le corps d’un oiseau qui était mort depuis 1 000 ans. Il se mit à frapper durement des pieds les os de l’oiseau en maudissant tous ceux qui voulaient s’en prendre à la perfection ! Il tomba ensuite alors que le sang saignait de sa poitrine et de ses bras.

Traduction de Soheir Fahmi  

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Raafat Al-Mihi

Il est le 25 septembre 1940. Après une licence en lettres anglaises, il a obtenu un diplôme de l’Institut du cinéma en 1964. Son premier scénario date de 1964, puis sa première réalisation fut en 1966, à partir du scénario de Wa gaffat al-amtar, adapté de la pièce du prix Nobel américain Eugène O’neil, Desire under the Elms ou (le désir sous les ormes). Assistant de Kamal Al-Cheikh et connu par son goût de l’expérimentation, Al-Mihi est classé dans la génération de réalisateurs du nouveau réalisme égyptien. Il donne à l’écran de nombreux chefs-d’œuvre tels que Al-Avocato (l’avocat), Lel-Hob qessa akhira (l’amour a une dernière histoire), Al-Sada al-régal (les messieurs), Qalil men al-hob, qassir men al-onf (peu d’amour et beaucoup de violence). Sa vocation pour l’écriture ne s’était pas arrêtée aux excellents scénarios présentés depuis les années 1960, mais il s’est lancé dans l’écriture romanesque avec force et a déjà publié deux œuvres : Hurghada, séhr al-echq (Hurgada, la magie de la passion) aux éditions Bostani en 2002, Al-Gamila hatman towafeq (la belle doit certes acquiescer) aux éditions Al-Hilal, 2010. Le troisième roman en voie d’édition est intitulé Al-Hanem.

 




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