Al-Ahram Hebdo,Nulle part ailleurs | La devanture enchantee
  Président Abdel-Moneim Saïd
 
Rédacteur en chef Mohamed Salmawy
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 Semaine du 5 au 11 mai 2010, numéro 817

 

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Nulle part ailleurs

Métiers. Créer des univers en jouant avec le décor, les couleurs, les matières et la lumière afin d’optimiser l’esthétique et l’attrait du produit, c’est ce que font étalagistes ou décorateurs de vitrines, une profession en pleine expansion en Egypte. Décryptage.

La devanture enchantée

«Mon objectif : attirer le client et lui donner envie d’acheter, nous confie Khaled Abdel-Hakim. Mes armes : les produits en vente et toute une collection d’accessoires pour les mettre en valeur ». Sa profession s’apparente à celle des mannequins. Pourtant, Khaled ne pose pas pour les magazines et ne défile jamais. C’est d’ailleurs là tout son talent. Ce jeune est vitriniste ou étalagiste dans un magasin situé au quartier de Mohandessine. Son art, il l’exerce dans les vitrines, à l’abri des regards curieux, alors que son objectif est de séduire tous ceux qui passent dans la rue. Comme il se plaît à le dire, « réaliser une belle vitrine ou réussir l’agencement intérieur d’un magasin, c’est faire coexister le rêve et la réalité, c’est faire rimer précision et perfection. Il faut donc capter le regard des gens qui, souvent, passent en coup de vent. En un clin d’œil, il faut séduire, et la réussite est au bout de la lorgnette lorsque le client franchit le pas de la porte », dit-il. Pour lui, l’important dans une vitrine, c’est de mettre en valeur les objets dans leur présentation. Par exemple, pour le prêt-à-porter, les chaussures, les lunettes, c’est une affaire de précision et de perfection, car la vitrine doit être agréable et attirante pour le client. Pour la concevoir, il lui faut de l’imagination, du stylisme et un esprit de création.

« La précision n’est pas un simple mot. La moindre gaffe pourrait se ressentir dans la scène en dépit de ses mannequins, et de ce fait, nuire au magasin qui présente ses nouvelles collections ». Et d’ajouter : « Bien sûr tout le monde est capable d’enfiler un pull et un jean sur un mannequin de résine, mais … tout se joue dans les détails. Il y a un réel travail de réflexion et de création à effectuer en amont. Avec mes clients, je cherche toujours à orienter différemment les présentations d’articles, tout en respectant les thèmes et l’image que je dois donner d’une marque. J’essaie d’apporter un nouvel esprit de présentation dans les vêtements », s’explique-t-il. S’il avoue avoir un côté « provocateur », celui-ci ne déborde jamais du cadre. Il faut provoquer le regard du client mais pas le choquer. C’est tout un art, un art qu’il peut exprimer en toute liberté et avec des clients aussi divers que variés. Il aime bousculer les convenances et proposer des arrangements un peu décalés. Et c’est, d’après lui, cette petite touche en plus qui provoque le déclic dans la tête du passant.

Avant de se lancer, ce styliste s’entretient avec son commanditaire pour cerner ses besoins et ses attentes. Il réalise ensuite quelques croquis, sur papier ou sur ordinateur, pour présenter ses idées et étudier leur faisabilité. Il fabrique aussi des tréteaux, les scie, les peint et les recouvre de soie ou de papier kraft, etc.

En effet, le métier du vitriniste ou de l’étalagiste n’est pas nouveau pour les Egyptiens. Ces derniers ont appris des Européens l’art d’aménager leurs vitrines et de les décorer à tel point que l’Egypte est devenue une partie de l’Europe au temps de la royauté. Cependant, ce métier s’est éclipsé après la Révolution mais est revenu de nouveau avec l’ouverture économique et la propagation des différents centres commerciaux. Aujourd’hui, cette profession est en pleine expansion et offre de plus en plus de nouveaux débouchés, en raison notamment de la diversification des modes et du lancement, par les grands magasins, de leurs propres marques de vêtements. Vitriniste, étalagiste, styliste, décorateur ou conceveur d’espaces commerciaux ainsi que d’autres appellations pour la mise en scène de vitrines, d’étals ou de stands commerciaux, il perçoit un salaire qui varie en fonction de sa notoriété, de l’entreprise qui l’emploie et de son ancienneté. La rémunération mensuelle d’un débutant avoisine les 3 000 L.E. en moyenne, celle d’un étalagiste chevronné peut atteindre les 7 000 L.E. Mais le commerçant a-t-il vraiment besoin d’avoir recours à un vitriniste ou un étalagiste ?

Trop de choix tue le choix !

Selon Dr Moustapha Lotfi, professeur à la faculté des arts et l’un des plus célèbres dans ce domaine, étalagiste décorateur est un métier possible après de nombreux stages et formations, un savoir-faire qui n’est pas celui du commerçant. Créer une vitrine ne se résume pas à faire de la décoration … Par ailleurs, l’étalagiste possède un talent créatif affirmé. Il sait appliquer les formes, les couleurs et les perspectives aux exigences marketing d’une entreprise et effectue un travail de veille artistique et commerciale. Il apporte un œil extérieur, une expérience d’autres univers, une connaissance des nouvelles tendances, de la disponibilité pour ce projet et du matériel sans cesse renouvelé que le commerçant n’aura pas à investir. Rien qu’avec ce dernier point, la rentabilité est déjà souvent atteinte. Bref, ce styliste de mode est aussi, à sa façon, un as du marketing. Un fait qui fait défaut à beaucoup de nos magasins.

Autrement dit, il suffit de faire une simple tournée pour voir l’aménagement des vitrines. « Ici en Egypte, tout est laissé au hasard et non pas à l’art. Beaucoup de magasins ressemblent à des tableaux très chargés, synonyme d’abondance, car leurs propriétaires veulent exhiber le plus d’articles possible. Pourtant, trop de choix tue le choix ! Le client reste peu de temps devant une vitrine ; pourtant, trois petites secondes sont à peu près le temps qu’il faut pour l’arrêter et lui délivrer un message. Si ce dernier apparaît confus, le client fuit en gardant une image négative du point de vente. Il faut prendre en compte la psychologie du consommateur », précise le Dr Moustapha.

Un point de vue partagé aussi par Amira et Maha, âgées respectivement de 24 et 25 ans, deux jeunes filles bien élégantes. Ces deux filles voilées font le tour des boutiques au quartier de Roxy depuis trois heures. Ces deux clientes sont à la recherche de vêtements originaux pouvant convenir à leurs goûts et aux exigences du voile. Mission difficile. « Toutes les boutiques d’une même chaîne affichent exactement les mêmes articles, les mêmes agencements, dictés par des cahiers de charges précis. Nous ne nous distinguons plus les unes des autres à cause de la routine et nous finissons par être lasses de ces vitrines standardisées », soulignent-elles. Non loin de cette boutique située à Roxy, la scène est impressionnante. Des vitrines toutes en couleurs tapent à l’œil mais très mal agencées. L’été s’annonce chaud. Amr et Noura, un jeune couple, font du lèche-vitrine. Noura a été éblouie par plusieurs modèles mais n’arrive pas à marier les couleurs. L’affaire se complique. Déçus, ils retournent bredouilles, car la vitrine est trop remplie et sans goût. Ils décident de ne pas trop s’attarder et se dirigent vers une boutique où le vitriniste a étalé de beaux ensembles prêts à enfiler.

Ismaïl Ibrahim, le propriétaire d’un grand magasin très connu au centre-ville, pense que sans le décorateur de vitrines, les produits ne valent rien.

« La vitrine est l’art de la séduction. Car tout simplement, c’est elle qui va accrocher le client de passage, le séduire et l’inciter à entrer dans mon magasin ! C’est déjà donc  une raison suffisante pour y consacrer du temps et des moyens en recrutant un bon vitriniste. Et ce n’est pas la seule raison, car un bon aménagement de la vitrine me permet de communiquer sur mon offre, ma spécialité, ma promotion, ma nouveauté, etc. et aussi de développer et nourrir l’image et la notoriété de mes ventes », souligne Ismaïl. Et d’ajouter : « Quel serait donc le résultat si ces articles ne sont pas exhibés avec bon goût ? ». C’est pour cela qu’Ibrahim laisse libre cours à la créativité de son vitriniste qui intervient toutes les deux semaines pour changer la vitrine selon le thème ou la promotion présentée et aussi selon la périodicité de fréquentation de la clientèle. « Par exemple, je sais que, durant la saison estivale, mon client revient au moins une fois par semaine pour regarder un peu et renouveler, il sera heureux à chaque visite de découvrir un nouveau thème », dit-il.

A chaque magasin sa vitrine

Cependant, Yasser Saleh, conseiller marketing d’une chaîne de vente, qui a travaillé comme étalagiste dans plusieurs entreprises et groupements, déplore le fait que la créativité soit reléguée au second plan. Ses sources d’inspiration ne sont que ses voyages à l’étranger, les catalogues, les magazines et l’Internet. Il profite de ses voyages pour observer les gens, leur look, leur mode de vie. Il hume l’air du temps tout en s’inspirant de ces rencontres, de ces expériences … Et quand il crée, il rassemble les différentes pièces du puzzle. En ce moment par exemple, les décors en papier, trop plats, n’attirent plus l’attention.

Il travaille plutôt sur les volumes et s’amuse à détourner des objets du quotidien : des cintres, des boîtes, des portemanteaux … « Il est vrai que chaque magasin est un cas particulier par son agencement et sa clientèle. Mais quand je compose une vitrine, j’essaie de donner vie aux choses pour que les passants s’identifient à ce qu’ils voient. Une fois le jeu est fait, la séduction commence et les clients poussent la porte du magasin. Je déploie tout mon talent pour présenter de manière avantageuse un produit, un rayon avec pour seul objectif d’attirer l’œil du client. Mais attention à la faute de goût. La disposition d’une vitrine dépend beaucoup de l’image de la marque à représenter. La cible visée et l’effet recherché sont totalement différents. Les tendances varient également selon la saison », explique Yasser qui voit que la création d’une vitrine répond à des règles précises.

Citons par exemple les couleurs et les éclairages qui attirent l’œil du client. Et d’ajouter : « Bien sûr, les couleurs chaudes ou froides et le noir et blanc offrent de nombreuses possibilités d’agencement, tout comme le relief, la profondeur, les suspensions, les fonds de vitrine, les matières … Choisir les contrastes ou le ton sur ton répond à un objectif en terme d’image. Ces aspects esthétiques sont très personnels d’un étalagiste à l’autre, et c’est ce qui différencie nos styles !

Or, si le fait d’aménager sa vitrine est un exercice que le commerçant doit prendre au sérieux, Raafat, propriétaire d’un magasin de prêt-à-porter situé au quartier de Choubra, n’a pas eu recours à un étalagiste pour décorer sa vitrine.

C’est plutôt Karim, le vendeur, qui s’en charge régulièrement. Et pourquoi pas ? L’affaire ne nécessite que du bon goût. « N’importe qui ayant du sens et du bon goût peut maîtriser avec subtilité les couleurs, les styles, les matières et harmonise au mieux. Pourquoi complique-t-on toujours les choses ? », conclut-il, tout en étant bien satisfait de sa vitrine lumineuse surchargée de plusieurs couleurs.

Chahinaz Gheith

 




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