Enfants
des Rues.
La
maison des petites
mamans
est un refuge qui
accueille les
filles
violées et parfois
enceintes. Elles y
trouvent un
peu de
sécurité, mais
ont toutes
du mal à
dépasser
leur détresse.
Des
filles
brisées à vie
Enfant
trouvée,
elle a passé son enfance
et une
partie de son adolescence
dans un
orphelinat. Toute
sa
vie, elle a
été privée de
tendresse et d’amour.
Elle a quitté
l’orphelinat,
pensant que
dehors, le monde
allait
l’accueillir à bras
ouverts.
Mais dans
la rue, elle
n’a trouvé
que des
brutes qui n’ont fait
qu’abuser
d’elle.
Tombée enceinte après
avoir été
violée à
l’âge de 14
ans, Nada raconte
elle-même son histoire qui
ressemble à
celles qui
résident à la
maison des « petites
mamans » au
quartier de Moqattam.
Un
refuge qui accueille les
filles de la rue,
victimes de viol. «
Je ne
sais
pas qui est le
père de mon
enfant, cela se
passait
régulièrement et par plusieurs
garçons à
la fois »,
dit Nada, la tête
baissée. En
voyant cette petite
créature
dans un coin, un
bébé dans
ses bras, on
ne comprend
qu’il
s’agit d’une
maman et de son enfant
que lorsque
Nada tire son sein pour
allaiter son
bébé avec des mains
tremblantes.
« Un enfant responsable d’un
autre,
telle est la relation des
filles de la rue
violées avec
leurs bébés.
De par leur vie
dans la rue, les
expériences
sexuelles terribles
qu’elles
ont vécues,
ces filles
font plus que
leur âge.
Quelques-unes
sont mères
depuis
l’âge de 12 ans »,
explique
Chaïmaa Abdel-Qader,
psychiatre
à la maison
fondée
depuis 2004 et dépendant
de l’organisation Al-Amal
qui présente des services aux
enfants de la rue.
L’engrenage
de la violence
La
maison
composée de trois
étages
semble plutôt
paisible de
dehors et
même
lorsqu’on y pénètre. Des
filles qui
accomplissent différentes
tâches, des
enfants et des
employés.
Mais il
suffit de
s’approcher et poser quelques
questions pour que la
détresse
fasse éruption
révélant des cicatrices
indélébiles
sur le psychique et le
physique.
Elles
sont toutes
victimes de
négligence, d’indifférence
sociale.
Il y a
celles qui ont
quitté la
maison à la mort de
leurs parents
ou à
cause de maltraitance
particulièrement,
celles dont
la mère ou
le père se
sont remariés.
Certaines
ont subi la violence
d’une
marâtre ou d’un beau
père, alors
que
d’autres ont
quitté
leurs maisons pour
harcèlement
sexuel ou
inceste.
Mona a
quitté
sa
famille pour la première fois
il y a 3
ans à cause de la
violence de son père,
puis est
retournée chez
elle après
avoir été
violée dans
la rue. Son père,
alcoolique,
n’a pas du tout
réagi,
il ne
lui a même
pas demandé
où elle
était. Il a
même pensé
à profiter
de la situation pour pousser
sa fille,
qui a perdu
sa virginité,
à retourner
dans la rue en
menaçant de la
tuer si
elle ne
lui ramène
pas de l’argent. «
J’aime
mon
père, c’est
mon point
faible, je
sais que
c’est
l’alcool qui le rend fou
et je n’ai
pas pu le quitter car
je me sens
soumise à
sa volonté.
Je sortais
dans la rue pour
vendre
mon corps
à des
copains pour satisfaire
mon père
», dit Mona, 19 ans. Elle
regrette
d’avoir été trop
jeune et
ignorante, car elle
aurait pu
utiliser des
contraceptifs.
Aujourd’hui,
elle a un enfant
dont elle
ne connaît
pas le père,
mais elle
a la chance d’avoir
une tante
qui n’a pas
eu d’enfants et
dont le
mari a inscrit
ce bébé
à son nom. Mona
est très
mignonne, raison pour
laquelle
peut-être on lui
donnait de
l’argent.
A
présent,
elle est
mariée avec
quelqu’un qui connaît
tout sur
elle. Elle
est de nouveau enceinte et
sur le point
d’accoucher. Elle
vit encore
à la maison des petites
mamans, le temps
que son
mari
trouve un logement,
mais aussi
pour apprendre un métier.
Un
phénomène en recrudescence
Selon
Mahmoud Al-Cheikh,
directeur des
antennes de
l’association Al-Amal,
bien que
le phénomène des
enfants de la rue date de
longues
années en Egypte ;
cependant,
celui des filles de la
rue, ou
plutôt des mamans de la
rue, n’a
été remarqué
qu’il y a 10 ans.
Mais il
est en recrudescence
ces 5
dernières années.
Ces
filles
existaient avant
cette date,
mais elles se
comportaient
comme les
garçons et se
cachaient
sous une allure
masculine.
«
Depuis la
création de la maison, on
descend régulièrement
dans la rue,
essayant
d’attirer le plus grand nombre
de filles de la rue,
une
majorité accepte
notre aide
tandis que
d’autres
préfèrent demeurer
dans la rue »,
dit Mahmoud,
en affirmant
qu’aucune
fille de la rue ne
peut éviter
d’être violée
ou de
tomber enceinte.
Loin des
endroits qui
accueillent
ces cas
sensibles, beaucoup
accouchent
dans la rue et laissent
leur bébé
affronter son destin,
du moins
s’il reste
vivant.
Une
fois
arrivée dans
ce
foyer, la fille,
victime d’un viol
ou enceinte, se
prépare à
changer de vie. « Notre première
démarche est de
contacter les parents et
leur
expliquer la situation tragique
de leur
fille. Ainsi, on
essaye de
ramener cette
fille chez
elle, car la meilleure
des solutions est
qu’elle
retourne chez ses
parents. Parfois,
ces
derniers comprennent
et acceptent
de coopérer avec
nous pour
tirer la fille de la rue.
D’autres
préfèrent la
laisser loin
d’eux peu
soucieux de
ce qui peut
lui arriver,
que ce
soit dans
la rue ou
ailleurs », dit
Sayed
Anouar, directeur de la
maison des petites
mamans.
Ce dernier
affirme que,
parmi les 6 000
cas de
filles de la rue découvertes
depuis l’an
2000, la maison en a
reçu 180
depuis son inauguration. Toutes
ont été
violées et
80 d’entre
elles ont
donné naissance
à un enfant
illégitime. Actuellement,
la maison
compte 18 pensionnaires
dont l’âge
varie entre
12 et 21 ans.
Mais ce
chiffre
augmente de jour en jour vu
l’ampleur du
phénomène.
C’est aussi le travail
exercé sur
le terrain par de jeunes
bénévoles qui
réussissent
à persuader ces
filles à
quitter la rue.
Des
séquelles
parfois irréversibles
Marwa
a l’air
bien timide.
Avec son visage angélique
et son corps
chétif, on a du mal
à la
prendre pour une
fille de la rue.
Mais dès
qu’elle
ouvre la bouche, on
réalise à
quel point le
langage de la rue a
eu un
impact sur
elle. Alors
que son âge
ne dépasse
pas les 19 ans,
elle a passé
ses 5
dernières
années dans la rue.
Harcelée
sexuellement par son père,
Marwa a
quitté plusieurs
fois la
maison pour se réfugier
chez ses
cousins, mais
à chaque
fois, son
père venait la
chercher et tout
recommençait sans
qu’elle ne
puisse
avouer la vraie raison de
ses fugues. «
J’avais
honte de le dire, surtout
que j’ai
été victime
d’autres
harcèlements de la part de mes
cousins, alors,
j’ai décidé
de trouver refuge
dans la rue »,
dit-elle, en
bégayant et en
faisant un grand effort pour
rendre ses
paroles compréhensibles.
Dans la rue,
deux jours
se sont
écoulés avant
que des
voyous viennent abuser
d’elle. Elle
se rappelle
qu’ils étaient
nombreux.
Deux
avaient immobilisé
ses
membres
inférieurs et supérieurs,
le troisième
lui a
écarté vigoureusement
pendant que les
autres
profitaient d’elle
à tour de
rôle, et quand
elle
poussait des cris, on la
giflait
violemment. Par la suite, chaque
nuit, un
ou
plusieurs d’entre
eux
refaisaient la même chose
en accentuant
sa douleur
physique. Mais
paradoxalement,
elle avoue
d’un ton incompatible avec son allure :
« J’aime faire
ça et je
rejoindrai de nouveau la rue
où je
trouverai le
sexe que
j’aime ».
Selon
Chaïmaa, la
coordinatrice, l’objectif
est
d’aider ces
filles à
reprendre
une vie normale et
d’atténuer
leurs souffrances.
« En général,
ces filles
ont
plusieurs complexes liées
directement au
sexe.
Soit
elles
deviennent avides de
sexe ou
bien elles
le rejettent
carrément.
Elles
gardent toutes de
très
mauvais souvenirs, des
expériences qu’elles
ont vécues,
alors, on
essaye de rendre
leur vie plus
agréable, plus
équilibrée »,
dit Chaïmaa.
Cette
dernière affirme
qu’en
général, la maman arrive
de la rue déjà enceinte et sans
pouvoir
déterminer qui est le
père. Et
dans ce
cas,
lorsqu’elle accouche, on
donne à
l’enfant
n’importe quel nom.
Mais si
on connaît le
père, on
l’oblige à
contracter un
mariage blanc
afin de
garantir une
identité
légitime à
l’enfant. Le
problème
est
que ces
jeunes
mamans éprouvent des
sentiments contradictoires
à l’égard
de leurs
enfants. Elles
voient en
eux le résultat de
toutes les
violences, souffrances
et injustices
qu’elles
ont subies.
Dans
la maison, la
journée commence
à 9h par le ménage
et la toilette,
puis les
cours de formations commencent
et durent
jusqu’à 13h. Couture, dessin,
bambou ou
cire,
chacune est
libre de
choisir l’activité qui
l’intéresse en
fonction de
ses aptitudes, son goût.
Et ce,
en plus des cours
d’alphabétisation.
On reprend
à 5h avec les séances de
psychanalyse. « On
leur
donne un
peu de
repos pour se consacrer
à leur
bébé. On
sait que
ces filles
ne sont
pas habituées
à être
commandées,
mais on leur
explique
qu’à la maison,
il y
a des règles
à respecter »,
dit Sayed.
Ici,
l’équipe
veille à
ce
que rien
ne manque
à ces
filles. Elle
tente de
leur apprendre
à vivre en
groupe dans des
appartements
offerts par
l’association et
aussi de les
marier.
Mais
ceci
n’empêche pas que
la porte
de cette
maison reste
toujours
ouverte à
celles qui
décident d’y
retourner
ou même de la quitter.
Hanaa
Al-Mekkawi