Al-Ahram Hebdo, Enquête | Des filles brisées à vie
  Président Abdel-Moneim Saïd
 
Rédacteur en chef Mohamed Salmawy
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 Semaine du 26 mai au 1er juin 2010, numéro 820

 

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Enquête

Enfants des Rues. La maison des petites mamans est un refuge qui accueille les filles violées et parfois enceintes. Elles y trouvent un peu de sécurité, mais ont toutes du mal à dépasser leur détresse.

Des filles brisées à vie

Enfant trouvée, elle a passé son enfance et une partie de son adolescence dans un orphelinat. Toute sa vie, elle a été privée de tendresse et d’amour. Elle a quitté l’orphelinat, pensant que dehors, le monde allait l’accueillir à bras ouverts. Mais dans la rue, elle n’a trouvé que des brutes qui n’ont fait qu’abuser d’elle. Tombée enceinte après avoir été violée à l’âge de 14 ans, Nada raconte elle-même son histoire qui ressemble à celles qui résident à la maison des « petites mamans » au quartier de Moqattam.

Un refuge qui accueille les filles de la rue, victimes de viol. « Je ne sais pas qui est le père de mon enfant, cela se passait régulièrement et par plusieurs garçons à la fois », dit Nada, la tête baissée. En voyant cette petite créature dans un coin, un bébé dans ses bras, on ne comprend qu’il s’agit d’une maman et de son enfant que lorsque Nada tire son sein pour allaiter son bébé avec des mains tremblantes. « Un enfant responsable d’un autre, telle est la relation des filles de la rue violées avec leurs bébés. De par leur vie dans la rue, les expériences sexuelles terribles qu’elles ont vécues, ces filles font plus que leur âge. Quelques-unes sont mères depuis l’âge de 12 ans », explique Chaïmaa Abdel-Qader, psychiatre à la maison fondée depuis 2004 et dépendant de l’organisation Al-Amal qui présente des services aux enfants de la rue.

L’engrenage de la violence

La maison composée de trois étages semble plutôt paisible de dehors et même lorsqu’on y pénètre. Des filles qui accomplissent différentes tâches, des enfants et des employés. Mais il suffit de s’approcher et poser quelques questions pour que la détresse fasse éruption révélant des cicatrices indélébiles sur le psychique et le physique.

Elles sont toutes victimes de négligence, d’indifférence sociale. Il y a celles qui ont quitté la maison à la mort de leurs parents ou à cause de maltraitance particulièrement, celles dont la mère ou le père se sont remariés. Certaines ont subi la violence d’une marâtre ou d’un beau père, alors que d’autres ont quitté leurs maisons pour harcèlement sexuel ou inceste.

Mona a quitté sa famille pour la première fois il y a 3 ans à cause de la violence de son père, puis est retournée chez elle après avoir été violée dans la rue. Son père, alcoolique, n’a pas du tout réagi, il ne lui a même pas demandé elle était. Il a même pensé à profiter de la situation pour pousser sa fille, qui a perdu sa virginité, à retourner dans la rue en menaçant de la tuer si elle ne lui ramène pas de l’argent. « J’aime mon père, c’est mon point faible, je sais que c’est l’alcool qui le rend fou et je n’ai pas pu le quitter car je me sens soumise à sa volonté. Je sortais dans la rue pour vendre mon corps à des copains pour satisfaire mon père », dit Mona, 19 ans. Elle regrette d’avoir été trop jeune et ignorante, car elle aurait pu utiliser des contraceptifs. Aujourd’hui, elle a un enfant dont elle ne connaît pas le père, mais elle a la chance d’avoir une tante qui n’a pas eu d’enfants et dont le mari a inscrit ce bébé à son nom. Mona est très mignonne, raison pour laquelle peut-être on lui donnait de l’argent.

A présent, elle est mariée avec quelqu’un qui connaît tout sur elle. Elle est de nouveau enceinte et sur le point d’accoucher. Elle vit encore à la maison des petites mamans, le temps que son mari trouve un logement, mais aussi pour apprendre un métier.

Un phénomène en recrudescence

Selon Mahmoud Al-Cheikh, directeur des antennes de l’association Al-Amal, bien que le phénomène des enfants de la rue date de longues années en Egypte ; cependant, celui des filles de la rue, ou plutôt des mamans de la rue, n’a été remarqué qu’il y a 10 ans. Mais il est en recrudescence ces 5 dernières années.

Ces filles existaient avant cette date, mais elles se comportaient comme les garçons et se cachaient sous une allure masculine.

« Depuis la création de la maison, on descend régulièrement dans la rue, essayant d’attirer le plus grand nombre de filles de la rue, une majorité accepte notre aide tandis que d’autres préfèrent demeurer dans la rue », dit Mahmoud, en affirmant qu’aucune fille de la rue ne peut éviter d’être violée ou de tomber enceinte.

Loin des endroits qui accueillent ces cas sensibles, beaucoup accouchent dans la rue et laissent leur bébé affronter son destin, du moins s’il reste vivant.

Une fois arrivée dans ce foyer, la fille, victime d’un viol ou enceinte, se prépare à changer de vie. « Notre première démarche est de contacter les parents et leur expliquer la situation tragique de leur fille. Ainsi, on essaye de ramener cette fille chez elle, car la meilleure des solutions est qu’elle retourne chez ses parents. Parfois, ces derniers comprennent et acceptent de coopérer avec nous pour tirer la fille de la rue. D’autres préfèrent la laisser loin d’eux peu soucieux de ce qui peut lui arriver, que ce soit dans la rue ou ailleurs », dit Sayed Anouar, directeur de la maison des petites mamans. Ce dernier affirme que, parmi les 6 000 cas de filles de la rue découvertes depuis l’an 2000, la maison en a reçu 180 depuis son inauguration. Toutes ont été violées et 80 d’entre elles ont donné naissance à un enfant illégitime. Actuellement, la maison compte 18 pensionnaires dont l’âge varie entre 12 et 21 ans. Mais ce chiffre augmente de jour en jour vu l’ampleur du phénomène. C’est aussi le travail exercé sur le terrain par de jeunes bénévoles qui réussissent à persuader ces filles à quitter la rue.

Des séquelles parfois irréversibles

Marwa a l’air bien timide. Avec son visage angélique et son corps chétif, on a du mal à la prendre pour une fille de la rue. Mais dès qu’elle ouvre la bouche, on réalise à quel point le langage de la rue a eu un impact sur elle. Alors que son âge ne dépasse pas les 19 ans, elle a passé ses 5 dernières années dans la rue. Harcelée sexuellement par son père, Marwa a quitté plusieurs fois la maison pour se réfugier chez ses cousins, mais à chaque fois, son père venait la chercher et tout recommençait sans qu’elle ne puisse avouer la vraie raison de ses fugues. « J’avais honte de le dire, surtout que j’ai été victime d’autres harcèlements de la part de mes cousins, alors, j’ai décidé de trouver refuge dans la rue », dit-elle, en bégayant et en faisant un grand effort pour rendre ses paroles compréhensibles. Dans la rue, deux jours se sont écoulés avant que des voyous viennent abuser d’elle. Elle se rappelle qu’ils étaient nombreux. Deux avaient immobilisé ses membres inférieurs et supérieurs, le troisième lui a écarté vigoureusement pendant que les autres profitaient d’elle à tour de rôle, et quand elle poussait des cris, on la giflait violemment. Par la suite, chaque nuit, un ou plusieurs d’entre eux refaisaient la même chose en accentuant sa douleur physique. Mais paradoxalement, elle avoue d’un ton incompatible avec son allure : « J’aime faire ça et je rejoindrai de nouveau la rue je trouverai le sexe que j’aime ».

Selon Chaïmaa, la coordinatrice, l’objectif est d’aider ces filles à reprendre une vie normale et d’atténuer leurs souffrances. « En général, ces filles ont plusieurs complexes liées directement au sexe. Soit elles deviennent avides de sexe ou bien elles le rejettent carrément. Elles gardent toutes de très mauvais souvenirs, des expériences qu’elles ont vécues, alors, on essaye de rendre leur vie plus agréable, plus équilibrée », dit Chaïmaa. Cette dernière affirme qu’en général, la maman arrive de la rue déjà enceinte et sans pouvoir déterminer qui est le père. Et dans ce cas, lorsqu’elle accouche, on donne à l’enfant n’importe quel nom. Mais si on connaît le père, on l’oblige à contracter un mariage blanc afin de garantir une identité légitime à l’enfant. Le problème est que ces jeunes mamans éprouvent des sentiments contradictoires à l’égard de leurs enfants. Elles voient en eux le résultat de toutes les violences, souffrances et injustices qu’elles ont subies.

Dans la maison, la journée commence à 9h par le ménage et la toilette, puis les cours de formations commencent et durent jusqu’à 13h. Couture, dessin, bambou ou cire, chacune est libre de choisir l’activité qui l’intéresse en fonction de ses aptitudes, son goût. Et ce, en plus des cours d’alphabétisation. On reprend à 5h avec les séances de psychanalyse. « On leur donne un peu de repos pour se consacrer à leur bébé. On sait que ces filles ne sont pas habituées à être commandées, mais on leur explique qu’à la maison, il y a des règles à respecter », dit Sayed.

Ici, l’équipe veille à ce que rien ne manque à ces filles. Elle tente de leur apprendre à vivre en groupe dans des appartements offerts par l’association et aussi de les marier.

Mais ceci n’empêche pas que la porte de cette maison reste toujours ouverte à celles qui décident d’y retourner ou même de la quitter.

Hanaa Al-Mekkawi

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