Conception.
Le choix du
sexe d’un enfant
est
une technique
médicale
répandue à
l’étranger. En
Egypte,
cette pratique
suscite une
controverse
dans la société
parmi les
oulémas et
même dans
la sphère
médicale.
Sexe
à la carte
Peut-on
choisir le
sexe de son enfant comme
on choisit la
couleur de
sa voiture
? Et jusqu’où
peut-on
aller dans le « baby
design » ?
Fini le temps des croyances
farfelues,
du régime
alimentaire et des dates des rapports
sexuels.
Aujourd’hui, avec les
découvertes modernes,
tout est
accessible, déjà on peut
détecter les anomalies des
embryons et
même supprimer
ceux qui ne
conviennent pas.
Autrement
dit, il
est possible de modeler
l’enfant
depuis son sexe
jusqu’à la
couleur de ses
yeux.
Désormais, des cliniques
privées
offrent aux couples de choisir
le sexe de
leurs enfants. Le plus
souvent, les
familles qui
ont recours
à cette
méthode
sont déjà parents d’une
petite fille
et souhaiteraient
avoir le
sexe opposé.
D’autres
préfèrent être
sûres
d’avoir un
garçon pour
transmettre leur nom
ou leur
héritage.
Selon
une étude
publiée en 2007, 90 % des
Egyptiens
affirment préférer
avoir des
garçons plutôt
que de
mettre au monde des filles.
L’étude
révèle
aussi que 10 000
conjoints
ont demandé le divorce
parce que
leur épouse
ne leur
donnait que
des filles.
Une solution qui
va
résoudre un
peu le problème de
ces couples,
notamment
ceux qui sont
prêts à
débourser la
somme de 3 000
à 4 000 euros. Tel
est
le cas
d’Ingi, qui sollicite
une
fécondation in vitro pour
pouvoir sauver son
mariage. Elle a déjà
quatre
filles et son
mari veut
à tout prix un
garçon.
Ingi est
riche. Elle était
prête à
payer cet argent
dans une
clinique en Europe pour
cette
méthode de procréation
artificielle et
l’analyse
biologique qui permettra
de distinguer les
embryons
masculins des embryons
féminins. Les
premiers
seront transférés
dans son
utérus. Les seconds seront
détruits.
Aujourd’hui,
elle pense
la faire en Egypte.
« Pourquoi
laisser une femme
souffrir
alors que la technique
existe
? Ce
vieux rêve de
choisir le
sexe de son bébé a
longtemps
préoccupé les gens. Il
est temps de le
mettre en
pratique », confirme le
Dr Mohamad
Saleh, gynécologue.
En
effet,
l’histoire a commencé
il y
a quatre
ans, lorsque Dar Al-Iftaa
a promulgué
une fatwa concernant le
choix du
sexe de
l’enfant comme un fait
licite.
Cependant, l’Académie des
recherches
islamiques n’a pas
tardé à
rejeter
l’affaire mais
ne
l’autorise que
sur approbation
médicale et
ce, dans
le cas des maladies
héréditaires et non pas pour
convenance
personnelle.
Depuis,
une grande
polémique a lieu au
sein de la
société.
Plusieurs
religieux
sont divisés
sur la
légitimité des moyens.
Certains
approuvent les méthodes
naturelles, y
compris les régimes
alimentaires
et les dates des rapports
sexuels … Quant aux techniques
médicales comme la
Fécondation in vitro (FVI) et le
Diagnostic génétique
Pré-Implantatoire (DPI), les
avis balancent.
D’autres
pensent encore
que les
enfants sont
un don de
Dieu dont
l’acceptation
ne devrait
pas dépendre
du sexe
auquel ils
appartiennent. Le Dr
Raafat
Osmane, professeur en
jurisprudence et
charia, assure
que le fait de
choisir le
sexe de l’enfant
ne
contredit pas la volonté
divine. Les interventions des
médecins ne
vont pas changer la
volonté de
Dieu. Car
c’est enfin
lui seul
qui fait que
l’opération
réussisse ou pas.
« Mais vous
ne le
voudrez que
si Dieu
le veut,
lui, le Seigneur des mondes
», verset no 29 de la
sourate Le
Décrochement.
Pour le
Dr Osmane, le fait
d’opérer au tri
embryonnaire
ne
contredit pas à la
charia,
notamment s’il
s’agit
d’établir un
équilibre au
sein de la
famille, ou
bien si
le motif est
d’assurer la naissance d’un
descendant mâle pour
perpétuer la
lignée. La
preuve dans le
Coran ce
sont les
versets de 5 à 7 de la
sourate
Mariam, quand le
prophète
Zakarie a prié
Dieu pour
avoir un garçon et
Dieu a
réalisé son rêve : «
Je crains
le comportement de
mes proches
après ma mort. Ma femme est
stérile
; accorde-moi,
cependant, un descendant
venu de moi.
Il héritera de
moi
; il
héritera de la famille de
Jacob. Mon seigneur !
Fais
qu’il te
soit
agréable
!
Zakarie !
Nous
t’annonçons la bonne
nouvelle d’un
garçon ; son nom
sera Jean. Nous
ne lui
avons donné
aucun
homonyme dans le passé ».
Pourtant,
les hommes de religion
ne sont
pas d’accord
eux aussi
sur la question.
Leurs avis
passent du
rejet total de
cette technique
jusqu’à
l’approbation totale.
Certains
ont trouvé
un compromis,
celui de
traiter chaque
cas à
part, préférant
ne pas
généraliser, et ce, tout
en examinant les obligations et les
besoins de chaque
cas.
La
médecine
divisée
Et
même au
sein du corps
médical, la
sélection du
sexe du
bébé est
loin de faire l’unanimité.
Certains
craignent que le
sexe d’un enfant
soit en
passe de devenir
un commerce. «
Si une
clinique commence
à offrir
cette
possibilité, d’autres se
sentiront
financièrement obligées
de le faire. C’est
la dynamique de la
société de
consommation.
Et
pourquoi
cette volonté de
contrôler le
hasard
? Je
ne vois pas le
besoin de faire le
choix entre
un garçon
ou une
fille si
un couple n’a pas
d’enfant.
Seuls les couples qui ont
deux, trois
filles ou
plus peuvent y
recourir, et
si cela
leur pose un
problème »,
estime le Dr Khaled
Moustapha, un
spécialiste de la FIV, qui
refuse de sélectionner les
embryons en
fonction de leur
sexe. « La
légalisation d’une
telle
pratique devra
nécessairement
être
accompagnée d’une
multitude de lois
pour prévenir tout
dérapage et
cela ne se
fera pas sans
grande
difficulté », ajoute-t-il.
Ce qui
n’est pas encore le
cas en
Egypte. Le
nombre limité de couples
qui ont
choisi de recourir
à cette
technique préfèrent se
rendre à
l’étranger
ou restent
discrets à
l’égard de
ces interventions.
Pourtant,
le peu de
cliniques qui l’exercent
profitent d’un vide
juridique
sur cette question
sensible de la FIV sélective,
interdite et
très
sévèrement réglementée
dans de
nombreux pays.
Le
nombre de couples
égyptiens qui
choisissent le
sexe de
leur enfant
est estimé
à quelques
dizaines par an,
même si
aucune
statistique officielle
n’existe.
L’Egypte est
encore loin des pays comme
l’Inde ou
la Chine, où les
avortements
sélectifs ou les
infanticides bouleversent
fortement
l’équilibre démographique.
Autrefois,
les gens
pensaient que
seule la
mère était
responsable
du sexe de son enfant,
mais on
sait aujourd’hui
que le père
a un rôle
déterminant. La première cellule
de l’embryon
est formée
de quarante-six chromosomes,
dont deux
appelés «
gonosomes » (ou
hétérochromosomes) qui
caractérisent le
sexe
: X dans
l’ovule
maternel et X ou Y
dans le
spermatozoïde paternel.
Quand X
rencontre X,
ils
donnent naissance à
une fille,
et lorsque X
rencontre Y,
c’est un
garçon. Les spermatozoïdes
Y et X n’ont
pas les mêmes
qualités.
D’où l’idée
d’utiliser
leurs compétences
respectives pour
favoriser la venue
d’une fille
ou d’un
garçon. Déjà dans les
années 1970,
deux régimes
basés sur
les minéraux
alimentaires
étaient
supposés déterminer le
sexe de
l’enfant
à venir.
Ils
consistent à
s’alimenter en sodium et
potassium pour avoir un
garçon, en calcium et
magnésium pour
une fille.
Aujourd’hui,
il
existe deux
méthodes pour
choisir le
sexe du
bébé, l’une
consiste à
intervenir
scientifiquement soit
sur les
embryons de la maman,
soit sur
les spermatozoïdes
du papa. Le concept
étant
d’utiliser une machine
qui va
trier les
spermatozoïdes de monsieur en
séparant les Y masculins
et les X féminins.
Ensuite, les «
élus » des parents
iront
voguer gaiement
dans
l’utérus de la maman
jusqu’à son ovule.
Mais
cette
méthode n’est pas
fiable à
100 %. « L’autre
est celle
du DPI, qui
est plus sûre »,
explique Dr
Saleh.
Une
discrimination de sexes
A cause
de ce
flou
juridique, plusieurs
députés
égyptiens ont
récemment
déposé devant
l’Assemblée un
projet de
loi visant
à encadrer
la FIV et interdire la
sélection
embryonnaire pour « convenance
». « Je
crains que
certains couples qui
pourraient
avoir des enfants de
manière
naturelle aient
recours à
la fécondation in vitro
juste pour
avoir des garçons.
A terme,
cette
pratique, si
elle se
répand, peut
conduire à
des déséquilibres
dans la
société », souligne
Ibtissam
Habib, députée
du Parti
National Démocratique (PND, au
pouvoir).
Un avis
partagé par la
sociologue Nadia
Radwane qui
prévient
: « Il nous
faudra encore cent
ans avant
de pouvoir
appliquer cette
pratique, car
autoriser le sexing
dans notre
société masculine
veut dire
autoriser l’avortement
sélectif,
ce qui mènera par la
suite à la discrimination
entre les
deux sexes et ouvrira la
porte au
génocide des filles
existant en
Inde et en Chine où les
garçons
sont favorisés ».
D’après
elle, l’objectif de la
liberté de
procréation
est de permettre
un équilibre de genres
ainsi
qu’une saine
répartition des
garçons et des
filles au
sein de la famille. «
L’expérience des pays
développés
prouve que la
demande de
sélection du
sexe
s’équilibre entre
filles et
garçons et que le
souhait
d’homogénéité de la répartition
des sexes dans
une famille
ne
représente aucun danger
pour la société.
Mais chez
nous, cela
pourrait causer
un vrai
danger. Bref,
l’enfant
n’a pas pour
fonction de
satisfaire les préjugés
de ses parents.
Il est
une fin en
soi et non pas un bien de
consommation
périssable »,
confie
Radwane.
Partout,
les partisans de la liberté de
procréation
ont leur
propre vision des
choses.
Selon ces
derniers,
toute intrusion dans la
vie privée des couples
paraîtrait
inacceptable et
surtout
injustifiée. Il
appartient
seulement aux parents et non pas
à l’Etat de
décider
quel enfant ils
désirent et
personne ne
peut s’y
substituer. «
Chaque
individu a le droit de
décider pour
ses enfants.
La preuve
: la liberté de
l’avortement. On
peut
choisir d’interrompre
une
grossesse pour un mongolisme
ou malformation
du fœtus
découvert à
l’échographie,
pourquoi ne
pas le faire pour le sexe de son
enfant ? »,
conclut Fardos Al-Bahnassi,
féministe, tout en
ajoutant
qu’à l’avenir,
il
sera sans doute possible de
sélectionner
l’embryon en
fonction de son
potentiel physique.
Chahinaz
Gheith