Al-Ahram Hebdo,Société | Sexe à la carte
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 Semaine du 19 au 25 mai 2010, numéro 819

 

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Société

Conception. Le choix du sexe d’un enfant est une technique médicale répandue à l’étranger. En Egypte, cette pratique suscite une controverse dans la société parmi les oulémas et même dans la sphère médicale.

Sexe à la carte

Peut-on choisir le sexe de son enfant comme on choisit la couleur de sa voiture ? Et jusqu’où peut-on aller dans le « baby design » ? Fini le temps des croyances farfelues, du régime alimentaire et des dates des rapports sexuels. Aujourd’hui, avec les découvertes modernes, tout est accessible, déjà on peut détecter les anomalies des embryons et même supprimer ceux qui ne conviennent pas. Autrement dit, il est possible de modeler l’enfant depuis son sexe jusqu’à la couleur de ses yeux. Désormais, des cliniques privées offrent aux couples de choisir le sexe de leurs enfants. Le plus souvent, les familles qui ont recours à cette méthode sont déjà parents d’une petite fille et souhaiteraient avoir le sexe opposé. D’autres préfèrent être sûres d’avoir un garçon pour transmettre leur nom ou leur héritage. Selon une étude publiée en 2007, 90 % des Egyptiens affirment préférer avoir des garçons plutôt que de mettre au monde des filles. L’étude révèle aussi que 10 000 conjoints ont demandé le divorce parce que leur épouse ne leur donnait que des filles. Une solution qui va résoudre un peu le problème de ces couples, notamment ceux qui sont prêts à débourser la somme de 3 000 à 4 000 euros. Tel est le cas d’Ingi, qui sollicite une fécondation in vitro pour pouvoir sauver son mariage. Elle a déjà quatre filles et son mari veut à tout prix un garçon. Ingi est riche. Elle était prête à payer cet argent dans une clinique en Europe pour cette méthode de procréation artificielle et l’analyse biologique qui permettra de distinguer les embryons masculins des embryons féminins. Les premiers seront transférés dans son utérus. Les seconds seront détruits.

Aujourd’hui, elle pense la faire en Egypte. « Pourquoi laisser une femme souffrir alors que la technique existe ? Ce vieux rêve de choisir le sexe de son bébé a longtemps préoccupé les gens. Il est temps de le mettre en pratique », confirme le Dr Mohamad Saleh, gynécologue.

En effet, l’histoire a commencé il y a quatre ans, lorsque Dar Al-Iftaa a promulgué une fatwa concernant le choix du sexe de l’enfant comme un fait licite. Cependant, l’Académie des recherches islamiques n’a pas tardé à rejeter l’affaire mais ne l’autorise que sur approbation médicale et ce, dans le cas des maladies héréditaires et non pas pour convenance personnelle.

Depuis, une grande polémique a lieu au sein de la société. Plusieurs religieux sont divisés sur la légitimité des moyens. Certains approuvent les méthodes naturelles, y compris les régimes alimentaires et les dates des rapports sexuels … Quant aux techniques médicales comme la Fécondation in vitro (FVI) et le Diagnostic génétique Pré-Implantatoire (DPI), les avis balancent.

D’autres pensent encore que les enfants sont un don de Dieu dont l’acceptation ne devrait pas dépendre du sexe auquel ils appartiennent. Le Dr Raafat Osmane, professeur en jurisprudence et charia, assure que le fait de choisir le sexe de l’enfant ne contredit pas la volonté divine. Les interventions des médecins ne vont pas changer la volonté de Dieu. Car c’est enfin lui seul qui fait que l’opération réussisse ou pas. « Mais vous ne le voudrez que si Dieu le veut, lui, le Seigneur des mondes », verset no 29 de la sourate Le Décrochement.

Pour le Dr Osmane, le fait d’opérer au tri embryonnaire ne contredit pas à la charia, notamment s’il s’agit d’établir un équilibre au sein de la famille, ou bien si le motif est d’assurer la naissance d’un descendant mâle pour perpétuer la lignée. La preuve dans le Coran ce sont les versets de 5 à 7 de la sourate Mariam, quand le prophète Zakarie a prié Dieu pour avoir un garçon et Dieu a réalisé son rêve : « Je crains le comportement de mes proches après ma mort. Ma femme est stérile ; accorde-moi, cependant, un descendant venu de moi. Il héritera de moi ; il héritera de la famille de Jacob. Mon seigneur !

Fais qu’il te soit agréable !  Zakarie ! Nous t’annonçons la bonne nouvelle d’un garçon ; son nom sera Jean. Nous ne lui avons donné aucun homonyme dans le passé ».

Pourtant, les hommes de religion ne sont pas d’accord eux aussi sur la question. Leurs avis passent du rejet total de cette technique jusqu’à l’approbation totale. Certains ont trouvé un compromis, celui de traiter chaque cas à part, préférant ne pas généraliser, et ce, tout en examinant les obligations et les besoins de chaque cas.

La médecine divisée

Et même au sein du corps médical, la sélection du sexe du bébé est loin de faire l’unanimité. Certains craignent que le sexe d’un enfant soit en passe de devenir un commerce. « Si une clinique commence à offrir cette possibilité, d’autres se sentiront financièrement obligées de le faire. C’est la dynamique de la société de consommation.

Et pourquoi cette volonté de contrôler le hasard ? Je ne vois pas le besoin de faire le choix entre un garçon ou une fille si un couple n’a pas d’enfant. Seuls les couples qui ont deux, trois filles ou plus peuvent y recourir, et si cela leur pose un problème », estime le Dr Khaled Moustapha, un spécialiste de la FIV, qui refuse de sélectionner les embryons en fonction de leur sexe. « La légalisation d’une telle pratique devra nécessairement être accompagnée d’une multitude de lois pour prévenir tout dérapage et cela ne se fera pas sans grande difficulté », ajoute-t-il. Ce qui n’est pas encore le cas en Egypte. Le nombre limité de couples qui ont choisi de recourir à cette technique préfèrent se rendre à l’étranger ou restent discrets à l’égard de ces interventions.

Pourtant, le peu de cliniques qui l’exercent profitent d’un vide juridique sur cette question sensible de la FIV sélective, interdite et très sévèrement réglementée dans de nombreux pays.

Le nombre de couples égyptiens qui choisissent le sexe de leur enfant est estimé à quelques dizaines par an, même si aucune statistique officielle n’existe. L’Egypte est encore loin des pays comme l’Inde ou la Chine, les avortements sélectifs ou les infanticides bouleversent fortement l’équilibre démographique.

Autrefois, les gens pensaient que seule la mère était responsable du sexe de son enfant, mais on sait aujourd’hui que le père a un rôle déterminant. La première cellule de l’embryon est formée de quarante-six chromosomes, dont deux appelés « gonosomes » (ou hétérochromosomes) qui caractérisent le sexe : X dans l’ovule maternel et X ou Y dans le spermatozoïde paternel. Quand X rencontre X, ils donnent naissance à une fille, et lorsque X rencontre Y, c’est un garçon. Les spermatozoïdes Y et X n’ont pas les mêmes qualités. D’où l’idée d’utiliser leurs compétences respectives pour favoriser la venue d’une fille ou d’un garçon. Déjà dans les années 1970, deux régimes basés sur les minéraux alimentaires étaient supposés déterminer le sexe de l’enfant à venir. Ils consistent à s’alimenter en sodium et potassium pour avoir un garçon, en calcium et magnésium pour une fille. Aujourd’hui, il existe deux méthodes pour choisir le sexe du bébé, l’une consiste à intervenir scientifiquement soit sur les embryons de la maman, soit sur les spermatozoïdes du papa. Le concept étant d’utiliser une machine qui va trier les spermatozoïdes de monsieur en séparant les Y masculins et les X féminins. Ensuite, les « élus » des parents iront voguer gaiement dans l’utérus de la maman jusqu’à son ovule. Mais cette méthode n’est pas fiable à 100 %. « L’autre est celle du DPI, qui est plus sûre », explique Dr Saleh.

Une discrimination de sexes

A cause de ce flou juridique, plusieurs députés égyptiens ont récemment déposé devant l’Assemblée un projet de loi visant à encadrer la FIV et interdire la sélection embryonnaire pour « convenance ». « Je crains que certains couples qui pourraient avoir des enfants de manière naturelle aient recours à la fécondation in vitro juste pour avoir des garçons. A terme, cette pratique, si elle se répand, peut conduire à des déséquilibres dans la société », souligne Ibtissam Habib, députée du Parti National Démocratique (PND, au pouvoir).

Un avis partagé par la sociologue Nadia Radwane qui prévient : « Il nous faudra encore cent ans avant de pouvoir appliquer cette pratique, car autoriser le sexing dans notre société masculine veut dire autoriser l’avortement sélectif, ce qui mènera par la suite à la discrimination entre les deux sexes et ouvrira la porte au génocide des filles existant en Inde et en Chine les garçons sont favorisés ». D’après elle, l’objectif de la liberté de procréation est de permettre un équilibre de genres ainsi qu’une saine répartition des garçons et des filles au sein de la famille. « L’expérience des pays développés prouve que la demande de sélection du sexe s’équilibre entre filles et garçons et que le souhait d’homogénéité de la répartition des sexes dans une famille ne représente aucun danger pour la société. Mais chez nous, cela pourrait causer un vrai danger. Bref, l’enfant n’a pas pour fonction de satisfaire les préjugés de ses parents. Il est une fin en soi et non pas un bien de consommation périssable », confie Radwane.

Partout, les partisans de la liberté de procréation ont leur propre vision des choses. Selon ces derniers, toute intrusion dans la vie privée des couples paraîtrait inacceptable et surtout injustifiée. Il appartient seulement aux parents et non pas à l’Etat de décider quel enfant ils désirent et personne ne peut s’y substituer. « Chaque individu a le droit de décider pour ses enfants. La preuve : la liberté de l’avortement. On peut choisir d’interrompre une grossesse pour un mongolisme ou malformation du fœtus découvert à l’échographie, pourquoi ne pas le faire pour le sexe de son enfant ? », conclut Fardos Al-Bahnassi, féministe, tout en ajoutant qu’à l’avenir, il sera sans doute possible de sélectionner l’embryon en fonction de son potentiel physique.

Chahinaz Gheith

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