«
Travailler avec les gens pour créer », telle est la devise
de Basma Al-Husseini.
Sommité dans le monde du management culturel, elle
représente un espoir incontesté pour les jeunes artistes
avec l’institution qu’elle a fondée, Al-Mawred al-saqafi (ressource
culturelle).
Vie
et art sont indissociables
Basma
al-husseini, grande, mince, toujours habillée de façon
originale, sourire franc et pleine d’assurance, est une
femme à l’allure active, d’un esprit de large envergure. Sa
profonde connaissance de l’être humain, elle l’a acquise
grâce à son travail assidu dans le monde artistique. Pour
dire combien la vie et l’art peuvent être une expérience
indivisible. L’une émanant de l’autre et vice versa. Comme
si ces deux éléments ne trouvaient leur sens qu’en se
confondant. D’ailleurs, son parcours, d’amatrice à
professionnelle, le montre bien.
Elle
n’avait pas encore terminé sa quatrième année de licence
alors qu’elle se trouvait à Beyrouth pour rejoindre son père
en été, Basma va rejoindre la troupe de Roger Assaf Al-Hakawati,
où le principe du travail collectif était de rassembler les
histoires des gens pour ensuite constituer un texte à partir
d’improvisations basées sur des expériences personnelles.
C’est là et c’est ainsi qu’elle va adopter ce concept —
qu’elle gardera d’ailleurs toujours — qui rassemble vie et
art dans une fusion exceptionnelle. Elle a à peine 22 ans.
Très
vite, elle fonde (avec l’écrivain Raouf Mossaad) sa propre
troupe au Liban, formée par des Egyptiens qui habitaient les
bidonvilles de Herch où elle a élu domicile elle-même durant
six mois. Beaucoup de ses compatriotes, devenus artistes le
temps d’un spectacle, avaient participé à ce que le
gouvernement avait appelé « le soulèvement des voleurs »
alors que les prix avaient augmenté subitement, en une nuit,
et que le peuple, en réaction, était descendu spontanément
dans la rue pour exprimer son mécontentement. Ces deux
journées mémorables (17 et 18 janvier 1977) sont à la source
de la pièce intitulée Les histoires de janvier. Chacun avait
rapporté des incidents vécus, des souvenirs encore frais et
une habilité artistique qui cherchait à s’épanouir. Ainsi,
l’un chantait, l’autre dansait, un troisième jouait d’un
instrument tandis que la plupart se sont découverts des dons
de comédien. Une petite tournée, en plus des représentations
dans les camps palestiniens, ont fait la joie de tous ceux
qui ont toujours été privés de tout divertissement et qui
n’ont jamais eu accès à la moindre part de culture. La
guerre civile terminée, Basma rentre au Caire.
Avec ce
bagage communautaire et artistique, avec une confiance en
soi et un enthousiasme débordant, elle a un but : continuer
ce genre de travail dans un quartier populaire. Avoir un
objectif et décider avec obstination et persévérance de le
réaliser, c’est ce qu’elle a appris de sa mère dont la
persistance est la règle. Elle se met alors d’accord (nous
sommes en 1987) avec le député de Bab Al-Chaariya Mahmoud
Zeinhom, pour travailler sur la terrasse d’une association
qu’il dirigeait. A ce propos, elle raconte : « C’est ce
théâtre, avec les gens, que j’aime et je crois savoir faire.
Il y avait un groupe de Nassériens, dont le poète Omar Negm,
avec qui nous avons rassemblé les faits et récits de
L’histoire des passants à tout venant. Parmi ces chroniques
anecdotiques figurait celle d’un cordonnier qui vivait avec
sa famille dans une échoppe de 5 m2 ; à leur réveil, ils
devaient changer la scénographie de l’espace afin de
recevoir les clients et leurs godasses. Un tableau non moins
émouvant était la scène d’un architecte à qui, partout, on
refusait un poste à cause de son adresse, étant domicilié
dans une ruelle, et de son ignorance de la langue anglaise.
En réalité, c’était une question de classe ». Elle a la
chance d’avoir Chant Avedissian pour le décor. Et la
malchance de devoir traiter avec les « officiers » de la
censure. Situation étonnante : la police se mêle de ce qui
ne la regarde pas. Avertie par la non-légalité de leur
présence, Basma ne cède pas, elle tient ferme. Ainsi, le
spectacle fut présenté sans y rien omettre. Première des
petites et grandes victoires qu’elle continuera de remporter
tout au long de sa carrière ininterrompue, où elle ne cesse
de rencontrer de petits et gros problèmes. C’est grâce à des
stages de négociations (cela existe !) qu’elle a appris à
régler les situations difficiles.
La
décision de Basma Al-Husseini de travailler avec les gens
semble être un choix politique. « Peut-être, dit-elle, mais
c’est surtout le côté collectif qui m’intéresse. Quant à la
politique, j’appartiens à une famille de gauche. Du
socialiste au communiste, partisan ou sympathisant. De cette
tribu, j’ai retenu une valeur à laquelle je ne déroge pas :
la justice ». Son père, Moustapha Al-Husseini, journaliste
de renommée dont elle a été profondément influencée et
qu’elle prend souvent en exemple, est connu pour son esprit
critique et indépendant ainsi que sa liberté d’action. Elle
aussi croit à l’autonomie et la responsabilité légitime et
morale des individus, elle dénie tout pouvoir central ou
autorité non justifiée. Elle déteste la hiérarchie, cette
forme pyramidale qui va à l’encontre de la liberté, et où,
au haut, ne se trouvent en général que ceux qui crient le
plus fort, les imposteurs et corrompus. Elle ne reconnaît
que le mérite des principes moraux qui, seuls, permettent
d’accéder au sommet.
Du grand
poète Fouad Haddad, elle a appris l’engagement envers la
majorité, les démunis de la société. « En ce temps, j’ai cru
que l’islam pouvait me réconcilier avec la majorité, voulant
me soustraire aux exceptions. Je portais des blouses à
manches longues mais je n’ai pas été voilée. Ensuite, quand
la majorité est devenue wahabite, je ne voulais plus lui
ressembler. Eux qui dénigrent les femmes ». Elle avait
appris de Haddad que l’on pouvait être croyant sans se
soumettre à la religion officielle et aux idées islamistes
régnantes, la religion étant une idée abstraite. A chacun sa
religion, aurait-elle dit. Elle a trente ans.
Fonctionnaire de bureau, employée, secrétaire, agent de
publicité, elle accepte différents travaux pour gagner sa
vie jusqu’au jour où le British Council lui propose enfin un
poste qui va rendre possible un rêve tant souhaité :
travailler au service de la culture. Gagner sa vie dans le
domaine culturel. Un tournant décisif. Durant dix ans, elle
va programmer les manifestations de ce centre qui sait
investir le potentiel actif de ses animateurs culturels. Une
longue et solide expérience qui lui garantira un poste
exécutif et de haute responsabilité auprès de la fondation
Ford. Un poste régional, au niveau des pays arabes. Dix ans
encore où elle assure la gestion culturelle et artistique.
Elle sait imaginer un plan de travail, réalisable et
durable, pour un horizon plus vaste qu’auparavant, elle sait
comment peuvent se compléter et se croiser différents
domaines artistiques, elle sait surtout résoudre les
problèmes inattendus, elle prend des décisions, elle fait
travailler des équipes avec souplesse et fermeté.
Nous
sommes en 2004. Basma Al-Husseini est prête pour fonder sa
propre institution culturelle : Al-Mawred al-saqafi (ressource
culturelle). Les 20 ans passés dans ce domaine ont fait
mûrir sa vision globale de ce que pourrait être un travail
ciblé pour les jeunes de moins de 35 ans ; elle travaille
par étapes afin de consolider un cumul artistique et
culturel, seule caution pour l’épanouissement d’un projet de
longue haleine. Elle a bien retenu l’un des principes de vie
que son père avait toujours adoptés : classer par ordre
d’importance les priorités. « Je voudrais user d’un cliché
pour définir ma conception : la culture est aussi vitale que
le pain. Mais cela nécessite de l’imagination. Ainsi, comme
pour réaliser un produit artistique, savoir gagner son pain
exige de l’imagination. Cette faculté, en plus de
l’appréciation de la beauté, peuvent sortir les gens de leur
misère. J’en suis convaincue ». Le problème que rencontrent
les artistes, à son avis, n’est ni les instances officielles,
ni les lois, encore moins l’argent. Le handicap qui freine
le processus de création se situe au niveau des artistes
eux-mêmes : manque d’imagination et de courage, mais aussi
précarité d’institutions culturelles. Basma pense que son
devoir est de préparer le train pour que chaque passager
trouve sa place. Elle veut soutenir les artistes pour qu’ils
puissent mieux s’exprimer, à condition que leur art soit à
la portée de tous.
Al-Mawred
affronte actuellement des problèmes budgétaires qui
inquiètent sa directrice, étant donné que les subventions
proviennent d’institutions étrangères et que la crise
mondiale lance constamment des défis. Basma se demande
comment pourra-t-elle développer son travail sans le soutien
de « locaux », disons, par exemple, du Fonds de
développement culturel égyptien ? Ce dernier a quand même
mis la base d’une future coopération possible en offrant au
Mawred des locaux pour son festival du printemps qui se
déroule jusqu’au 22 mai 2010.
Menha
el Batraoui