Liban.
A
l’occasion de la fête de Pâques, tournée traditionnelle et
historique à travers sept couvents nichés au creux de la
montagne qui domine la ville côtière du Batroun. Visite
guidée.
Les sept
perles de l’hinterland
En egypte, le pas est déjà
fait. Les églises chrétiennes, coptes, catholiques,
orthodoxes, arméniennes, toutes confessions confondues, sont
désormais unies autour d’une date fixe pour célébrer la fête
de Pâques. Par contre, au Liban, il y a toujours un décalage
d’horaire et de temps, selon les églises suivant le
calendrier julien (réformé en 46 av. J.-C., par Jules César)
et celles suivant le calendrier grégorien (réformé en 1582
par le pape Grégoire XIII). Cette année cependant, la date
est la même pour tous les chrétiens du Liban et du monde. Le
dimanche 4 avril constitue une heureuse coïncidence pour le
pays du Cèdre. Elle tombe à point et en harmonie avec le
climat de réconciliation nationale qui règne actuellement
dans le pays.
Jeudi 1er avril, c’est le
jeudi saint, le quatrième jour de la semaine sainte qui
commence le lundi suivant le dimanche des Rameaux, le 28
mars. C’est le jour qui commémore la cérémonie du lavement
des pieds des disciples par Jésus, mais aussi cette
tradition bien ancrée dans les cœurs et les esprits, celle
de la visite de sept églises par les fidèles effectuée de
préférence à pied (voir encadré Tradition historique).
L’Hebdo a choisi cette visite effectuée en plein hinterland,
dans la région du Batroun.
Comme à l’accoutumée, une
ambiance familiale toute chaleureuse et conviviale règne
chaque année au sein de plusieurs agences de voyages. De
grands autobus remplis à la majorité renforcée par la gent
féminine quittent les rues encombrées de la capitale
Beyrouth et partent à la découverte de sept couvents
historiques (il y en a beaucoup d’autres) qui creusent en
pleine montagne la ville côtière du Batroun, située à 54 km
au nord de la capitale. Très vite l’on remarque ce singulier
contraste entre le pic de la montagne (lieu des monastères)
et la base toute plane de la grande mer bleue. Il est 15h,
les voitures climatisées roulent, cassant et fuyant les
grosses chaleurs de midi, mais aussi les routes
archi-encombrées de Beyrouth, en direction du nord. Bientôt
apparaît la célèbre ville de Jounieh avec ses localités
Adonis et Ghazir, ainsi que Tabarja. Toutes plongent dans un
bouchon infernal avant d’atteindre Safra et les villes
salutaires de Jbeil et Tripoli.
Première étape : Deir Sayedet al-nouriye (la lumière)
Situé
au pic d’une montagne vertigineuse dans une forte pente
ascendante, il surplombe majestueusement la mer et la ville
de Tripoli. Vieille bâtisse toute en pierre, l’origine de sa
construction demeure controversée. Certains parlent d’un
capitaine de bateau qui serait venu hiberner dans la baie.
Remarquant une lumière surnaturelle jaillir fréquemment, il
monte et voit l’icône de la Sainte Vierge resplendissante de
lumière divine. Il décide alors d’y construire le lieu qui
portera le nom de la lumière, Al-Nouriye.
D’autres versions parlent
d’un certain ermite qui vivait dans une grotte en pleine
montagne. Il aurait vu la Sainte Vierge sur un bateau
bravant une forte tempête, sous forme de faisceau de lumière.
Là aussi, on dit que les rescapés du naufrage l’auraient
construit.
La troisième version la
plus courante parle du passage du roi Théodose, au IVe
siècle, à bord d’un navire en pleine mer menacé de faire
naufrage. L’apparition de la Sainte Vierge, toujours sous
forme de faisceau lumineux, apaisa la tempête et les sauva.
De toutes ces versions, une chose est sûre, le dénominateur
commun c’est bien la lumière divine qui donna le nom à ce
lieu sacré.
2e étape : Deir Mar Semaan al-amoudi
Le
soleil luit pour tout le monde, dit-on. Il luit aussi non
loin de Deir al-nouriye, à Deir Mar Semaan al-amoudi, qui
veut dire la verticale. Effectivement, la position de ce
lieu est bien la verticale, une petite église toute en
pierre qui surplombe également la mer bleue. Ici, tout comme
à Deir al-nouriye d’ailleurs, un fait est remarquable :
toutes les barrières confessionnelles sont brisées. Des
Libanais, Arabes et étrangers de tous bords, toutes
confessions confondues, y affluent. Car une dévotion toute
particulière est vouée à Settena Mariam, d’où cette foule
dense qui avance, avide de calme, de sérénité et de lumière
spirituels.
3e étape : Bijderfel, Deir Mar Bendi Laymoun
Bijderfel ? Drôle de nom,
me diriez-vous. Eh bien oui, si l’on ignore bien sûr
l’araméen, cette langue sémitique parlée durant l’Antiquité
dans tout le Proche-Orient. Bijderfel signifie la muraille
brisée. La construction du couvent de Panda Laymoun remonte
à 1763, portant le nom du saint patron des femmes stériles.
De nombreux miracles ont eu lieu et beaucoup de femmes
stériles ont eu la grâce d’avoir un enfant longtemps attendu.
4e étape : Hardini, couvent des saints Cyprien et Justine
Son
véritable nom est Youssef Kassab, de Hardine (Batroun). Il
fait son entrée au couvent en 1828 et prend le nom de
Néamatallah. Prêtre au couvent des saints Cyprien et Justine
à Kfifane (Batroun), il s’occupe également de la reliure des
livres où son atelier et ses œuvres sont toujours exposés.
La construction du couvent remonte à 717 et porte le nom des
martyrs Cyprien et Justine. En 1766, la direction du lieu
passe à la Congrégation maronite libanaise qui se charge
d’enseigner la philosophie, la théologie, les lettres et le
droit. De nombreux prêtres y ont fait leurs études, mais
aussi leur chemin spirituel, dont le père Néamatallah. Ce
couvent comprend actuellement la tombe de saint Hardini,
canonisé en 2004, et celle du père Stéphan Nehme.
5e étape : Jrebta, couvent de Saint-Joseph, sainte Rafka
Nombreux
sont encore ceux qui ignorent la vie douloureuse de sainte
Rafka, née à Hemlaya, dans le Metn nord, le 29 juin 1832, le
jour de la fête des saints Pierre et Paul. On lui donna le
nom de Boutrossiya. Fille unique, elle grandit dans l’amour
de Dieu et de la prière. Elle fait son entrée au couvent et
poursuit sa mission à Batroun où elle enseigna aux jeunes
filles. Religieuse, elle prend le nom de sa mère qu’elle
chérissait, Rafka. Et comme les grandes douleurs sont
muettes, elle demande à Jésus la grâce de pouvoir partager
ses souffrances. Elle perd ses deux yeux, et pendant douze
ans, elle vit dans la douleur muette, dans la patience et
dans la joie. En 1897, le couvent de Saint-Joseph à Jrebta (Batroun)
est construit. La non-voyante connaît une fin de vie
difficile. Seules ses mains demeurent intactes, elle en
profite pour tricoter à l’aide d’une aiguille. Le 23 mars
1914, elle s’éteint, auréolée d’une lumière emplissant les
lieux. Le 10 juin 2001, elle est canonisée par le pape
Jean-Paul II.
6e
étape : Mar Saba
Il est 20h, la nuit couvre
la région montagneuse. L’église de Mar Saba regorge de monde
en quête de bénédiction. Mar Saba s’occupa lui-même de la
construction du couvent, prêcha et instruisit les gens,
réussissant à convertir un grand nombre d’égarés. Avec Mar
Saba, le chemin du retour est entamé. C’est la descente
lente à travers les sentiers abrupts. Une dernière visite
est encore à faire, celle du couvent de Saint-Nohra.
7e étape : Saint Nohra, patron des yeux
Né
en Perse au IIIe siècle, Nohra était un jeune home païen
très intelligent et avide de connaissance. Il opte pour le
christianisme et le prêche sur les côtes phéniciennes, à
Jbeil, Batroun, Akkar. Comme il refuse d’adorer l’idole, le
wali lui fait couper la tête à Smar Jbeil (appellation
ancienne signifiant le gardien de Jbeil, dans le Batroun).
Là aussi, le lieu est envahi par des personnes venues se
recueillir et chercher la paix intérieure.
Notre visite est terminée.
Chose remarquable : au Liban, les couvents se suivent et se
ressemblent de par leur construction en pierre. Mais chaque
lieu a un style particulier, une histoire caractéristique à
nulle autre pareille. Chacun porte un témoignage poignant de
l’histoire d’un saint mais beaucoup d’autres restent encore
à découvrir. C’est une montée incessante vers le ciel,
suivie d’une descente abrupte en direction de la plaine.
L’important est cette union entre le ciel et la terre, cette
fusion totale où le terrestre fait révérence et place au
céleste.
Mireille Bouabjian