Professeur de droit et éminent juriste,
Mohamad Nour Farahat
n’a qu’un cheval de bataille : l’Etat de droit d’où
découlent la citoyenneté, la démocratie et la liberté
d’expression. Sur ce point, il ne fait aucune concession.
Le
Citoyen
Dans un monde tenté par des
doctrines oppressives, cet homme a décidé de se vouer à
défendre une cause qui se veut à l’encontre de l’oppression
: La démocratie, la liberté et les droits de l’homme. Un
concept inaliénable et universel qui n’est pas fondé sur les
particularités culturelles mais plutôt sur la raison. Pour
Mohamad Nour Farahat, la profession d’avocat est la mise en
fonction de la Constitution et des lois pour servir
l’existence de l’individu et de l’humanité.
Jeune, Farahat était à la
fois épris par l’étude du journalisme, de la philosophie et
du droit. Une fois le baccalauréat en poche, le choix
n’était pas évident. Les trois disciplines n’ont-elles pas
en commun les soucis de questionnement, de réflexion et de
la recherche des trois grandes valeurs : la vérité, le bien
et le mal ? Fils d’avocat, il a enfin décidé d’effectuer des
études en droit, pour se spécialiser plus tard dans la
philosophie de la loi. « On est toujours inconsciemment
influencé par son père », dit-il avec le sourire. Partant de
son principe de vie, la liberté, il a donné libre cours aux
tendances de ses deux fils. L’aîné, Ali, est chercheur en
science de l’espace. Or, le cadet Omar a choisi de suivre le
même chemin que son père.
« Après la licence, j’ai
été nommé chercheur au Centre de recherches juridiques et
criminelles où j’ai appris la complémentarité entre les
sciences sociales et le système de pensée interdisciplinaire
grâce au professeur Ahmad Khalifa, le fondateur du centre et
plus tard ministre de l’Etat pour les Affaires sociales sous
Nasser ». Le cercle des penseurs qui fréquentaient ce centre
à l’époque était formé d’éminences grises dont, entre autres,
le sociologue Hassan Al-Saati, l’anthropologue Ahmad
Abou-Zeid et Al-Sayed Yassine, l’expert en sociologie
politique. Sa thèse de doctorat en 1975 s’est inscrite donc
dans la logique de ses recherches, centrées sur une étude
comparée entre le système juridique dans les pays de
l’Occident et de l’Orient. Et le mot démocratie s’installe
ainsi pour tout de bon dans sa vie.
Après plus de 30 ans,
comment évaluer la démocratie dans le monde arabe ? « En
état de gestation », répond-il rapidement. « Non. Aucun pays
arabe ne peut être qualifié de démocratique. En outre, cet
état de gestation a commencé dès les années 1920, puis a été
avorté sous les régimes militaires. Mais à partir de la
moitié des années 1980, il y a des tentatives entreprises
par l’élite, lesquelles ont contribué à la fondation de
plusieurs organisations des droits de l’homme et à la
revendication de la réforme politique ». Mais pourquoi
l’aboutissement tarde-t-il à venir ? « La réforme trébuche
pour trois raisons principales : les régimes arabes
n’acceptent pas de renoncer à leurs acquis, surtout que le
pouvoir octroie des privilèges à l’infini. Une autre raison
consiste en la nature élitiste des sociétés arabes : les
revendications de réforme sont formulées par l’élite et
n’ont aucun rapport avec le petit peuple. Et, enfin, l’effet
redoutable de l’islam politique. Celui-ci est tiraillé entre
une tendance extrémiste qui réfute l’idée de la réforme
démocratique (sous prétexte qu’elle est une invention
occidentale moderne) et une autre tendance modérée comme
celle représentée par les Frères musulmans (ceux-ci n’ont
pas réussi à proposer un projet de réforme faisant
l’unanimité) ». Selon Farahat, ces deux tendances de l’islam
politique ont donné un prétexte pour freiner la démocratie
et avoir recours à la loi d’urgence. Il n’hésite pas
d’ailleurs à mentionner Mohamad Elbaradei, l’ex-directeur de
l’Agence Internationale de l’Energie Atomique (AIEA). Le
contexte actuel l’exige. « Le mouvement d’Elbaradei a le
mérite, par contre, de lier réforme politique et conditions
sociales ». Un avis qu’il a exprimé à plusieurs reprises
dans ses articles et colloques. « Je regarde Elbaradei en
tant que phénomène et non pas en tant qu’homme ». Elbaradei
se distingue, selon lui, par rapport aux partis politiques
par le fait qu’il a revendiqué un changement de la
Constitution comme condition préalable à sa candidature aux
élections. De quoi mettre terme à la fraude électorale,
alors que les autres demandent de faire quelques
rectifications ou amendements dans le cadre de la
Constitution actuelle. « Avec Elbaradei, saute à l’esprit
l’image de Gandhi qui a adopté la méthode de la
non-violence. Celle-ci consiste à convaincre en ayant
recours à la sagesse et à la pensée, à qui de droit à
réclamer son dû ». Mais dans un contexte sociopolitique
pareil où le peuple est préoccupé par le fait de trouver de
quoi manger, cette démarche réussira-t-elle ? « Je suis
optimiste. Les Egyptiens cherchaient, tout au long de
l’Histoire, un candidat qui répond essentiellement à deux
conditions : être pur, ne pas être souillé par la politique,
et être vacciné contre l’oppression. De plus, lui, compte
tenu de ses postes antérieurs, il a sans doute une dimension
internationale ». Farahat considère que le fait qu’Elbaradei
soit indépendant est aussi un privilège, expliquant : « Pour
être apte à penser clairement, il faut être loin des partis
politiques ».
Mohamad Nour Farahat
procède toujours dans l’ordre des choses. Il sait quand et
comment avancer ses arguments. Et il insiste sur le fait
qu’Elbaradei est une « voie » respectable qui aboutira au
changement. Le changement doit-il être lié à une personne ?
« Le changement ne se fait pas par une personne. Mais aussi,
il ne faut pas oublier qu’historiquement parlant, l’individu
a joué un rôle important au niveau du changement public
comme cela s’est fait avec De Gaule, Churchill, Nasser, etc.
».
La Constitution égyptienne
a fait couler beaucoup d’encre ces derniers temps, notamment
l’article 76 qui traite de la candidature à la présidence de
la République, empêchant tout candidat indépendant d’y
accéder. Un article que Farahat juge comme « entravant le
peuple de participer à la vie politique et exigeant que le
nom du futur président commence par un G et se termine par
un K ». Pour lui, le départ c’est l’Etat de droit qui repose
d’abord sur l’article 40 concernant la citoyenneté qui
réfute toute discrimination de race, d’origine, de langue,
de religion ou de conviction.
C’est ainsi que la question
de la femme est « un problème, d’une part, dans la mentalité
de certains parlementaires complices. La femme est toujours
opprimée aux niveaux culturel et politique. Et il faut
rappeler que le pouvoir en Egypte est un homme et l’homme
est le pouvoir. La preuve c’est que le Parti National
Démocrate (PND, au pouvoir) n’opte jamais pour des femmes.
D’une autre part, traiter des droits de la femme reflète une
image idéale du régime arabe. Or, celui-ci soutient la femme
pour camoufler des actes de corruption comme la fraude, la
torture, etc. ». Farahat, qui était contre le fait de
remettre en question l’accès des femmes aux postes
juridiques, un droit affirmé par la Constitution, conçoit
cependant la question des coptes comme une affaire simple
par rapport aux problèmes des minorités au Soudan, en Iraq
ou même en Irlande.
Farahat s’élève également
contre la distinction socioéconomique qui ne cesse de
croître dans la société égyptienne en raison du fossé entre
riches et pauvres. « Un jeune homme est venu me voir un jour
dans mon bureau. Il était dans un état lamentable et m’a
raconté qu’il était parmi les premiers de sa promotion à la
faculté de droit. Mais on a refusé de le recruter dans un
poste juridique parce que son père appartient à une classe
sociale au-dessous de la moyenne ». Selon lui, ce genre de
choses ronge la société. « La solution serait de légiférer
une loi incriminant tout acte de discrimination. Il faut
enraciner une culture constitutionnelle dans la société
égyptienne. Cela, dans le sens de faire connaître aux
citoyens que la mise en œuvre de la Constitution mènera au
bien du pays et de chaque citoyen, en dépit de ses
convictions et de ses origines ». Et dans cette lignée, la
laïcité est, pour lui, une solution idéale, dans le sens où
elle assure une séparation entre la religion et l’Etat. Le
professeur est catégorique, il aime faire la part des choses.
« Ici, le petit peuple confond laïcité et athéisme, mais il
est impératif que le principe de la citoyenneté soit le
fondement du pouvoir ».
Lamiaa Al-Sadaty