Politique.
Mohamad ElBaradei vient de lancer dans le Delta une campagne pour rallier
la population à l’idée du changement. Reportage.
Le début
d’un long chemin
A
120 km du Caire, dans la ville de Mansoura à Daqahliya, ce
vendredi 2 avril n’était pas un jour ordinaire. Il est 10h
du matin lorsque les véhicules des partisans de Mohamad
ElBaradei, l’ancien directeur de l’Agence Internationale de
l’Energie Atomique (AIEA), et possible candidat aux
présidentielles de 2011, se pointent devant la porte
principale du centre d’urologie de Mansoura. Son directeur,
Mohamad Ghoneim, l’un des plus grands spécialistes des
maladies rénales en Egypte, est le coordinateur du «
mouvement pour le changement » fondé par ElBaradei. Ghoneim
avait invité l’ancien chef de l’AIEA à se rendre à Mansoura
pour entamer sa campagne populaire pour le changement en
Egypte. Les responsables du mouvement qui accompagnent
ElBaradei dans sa tournée tels Mohamad Aboul-Ghar, Hassan
Nafaa, et des militants tels Mohamad Abdel-Qoddous et
Georges Isaac, avaient convenu de se rendre au centre
d’urologie un à un pour éviter les ennuis avec la sécurité.
Mais tout le monde a été surpris que la porte du centre est
fermée. La sécurité les informe qu’ils ne sont pas autorisés
à entrer.
Une discussion tendue
s’engage alors avec les membres du mouvement et le ton monte
d’un cran. « Nous sommes des invités du Dr Mohamad Ghoneim
et nous ne devons pas être traités comme ça », lâche Mohamad
Abdel-Qoddous, membre du Conseil du syndicat des
Journalistes et sympathisant d’ElBaradei. « De toute façon,
on s’attendait à ce genre de choses. L’Etat sait que cette
visite d’ElBaradei peut accroître sa popularité », explique
pour sa part Hamdi Qandil, militant et célèbre présentateur.
Et d’ajouter : « ElBaradei appelle le peuple au changement,
et nous sommes derrière lui pour réaliser cette demande ».
L’ancien chef de l’AIEA arrive vers 10h30, et entre seul
dans le centre d’urologie pour rencontrer son ami, Mohamad
Ghoneim. Il ressort une demi-heure plus tard pour entamer
une tournée à pied dans les rues de la ville. Vêtu d’une
chemise blanche, ElBaradei arbore un sourire radieux. A sa
sortie du centre, une foule de partisans vient à sa
rencontre. Les partisans commencent à scander : « Oh !
Baradei, dis-le haut et fort, l’Egypte veut la démocratie »,
ou encore « Il y a mille alternatives en Egypte, ElBaradei
en est la preuve ». Entouré d’une centaine de partisans,
ElBaradei lance ainsi sa première campagne populaire. Il se
dirige vers la mosquée d’Al-Nour, située à 200 mètres du
centre, pour y accomplir la prière du vendredi. Il était
prévu qu’il se rende à la mosquée du Cheikh Hassanein ou à
la mosquée d’Al-Nasr, toutes deux situées dans un quartier
populaire de Mansoura, mais cette demande a été rejetée par
les services de sécurité. Toujours est-il qu’ElBaradei
poursuit sa tournée. Autour de lui, de jeunes étudiants
portant des T-shirts à son effigie, des militants, des
médecins, des avocats et des vendeurs qui soutiennent son
appel à la réforme politique. Le tout encadré par des
policiers, pour la majorité en civil.
Symbole de changement
Agé de 67 ans, le prix
Nobel de la paix 2005 est rentré en Egypte en février
dernier et s’est engagé dans la politique. Il se dit prêt à
se présenter aux élections présidentielles de 2011 face au
président Moubarak, à condition que le scrutin soit libre et
exempt de fraudes et que la Constitution soit révisée pour
lever les restrictions pesant sur les candidats. Fort de son
expérience internationale, de sa réputation, il se pose déjà
en symbole de changement. Pour certains, cet homme à l’écart
des vicissitudes de la politique traditionnelle est la
solution pour l’Egypte. « Cette fois-ci, j’ai le sentiment
que c’est sérieux. C’est quelqu’un de responsable et j’ai un
grand espoir qu’il réussisse », dit Hag Ibrahim, un homme
âgé d’une cinquantaine d’années, en se frayant un chemin
dans la foule. De jeunes membres de la campagne, portant des
T-shirts blancs à son effigie, demandaient aux personnes
présentes de signer une pétition de soutien à ElBaradei. «
Nous avons décidé de commencer cette campagne populaire par
une visite au Dr Mohamad Ghoneim, et cela revêt un caractère
symbolique. Le but est de prouver que l’Egypte possède
beaucoup de génies », explique Abdel-Rahmane Youssef,
coordinnateur général de la campagne d’ElBaradei, et poète
dissident célèbre. Les jeunes de la campagne demandaient aux
personnes qui ne pouvaient pas s’inscrire par Internet de
signer une pétition de soutien à ElBaradei. Selon
Abdel-Rahmane Youssef, un grand nombre de signatures a été
recueilli.
A 12h30, ElBaradei entre
dans la mosquée avec beaucoup de difficultés, à cause des
partisans rassemblés autour de lui et des caméras de
télévision. En sortant, il est acclamé par un millier de
personnes qui lui demandent de chanter l’hymne national. «
Tout le monde à Mansoura soutient ElBaradei, mais j’ai peur
de le déclarer publiquement, car on dit que les services de
sécurité arrêteront celui qui soutient ElBaradei. Je vends
du pain dans la rue depuis 4 ans. Les habitants vivent dans
la misère. Si ElBaradei peut améliorer nos conditions de
vie, nous serons derrière lui », lance Naïma, jeune fille de
24 ans. Elle ajoute que la visite d’ElBaradei inquiète les
autorités : « La preuve en est que le gouverneur de Mansoura,
Samir Sallam, a visité le marché de la ville la veille pour
entendre les doléances des plus pauvres ». « Nous soutenons
ElBaradei parce que nous voulons autre chose que le régime
en place. Nous n’avons d’autre alternative qu’ElBaradei »,
assure Hamdi Al-Zaki, un avocat de 45 ans. Oum Ali, femme de
ménage qui a pris place sur le trottoir pour voir ElBaradei,
assure qu’elle est venue avec son mari et a laissé ses
enfants à la maison pour assister à cet événement. « Par le
passé, je craignais pour la présence de mon mari dans les
manifestations, mais aujourd’hui, je l’ai encouragé à venir
voir ElBaradei », exprime Oum Ali.
Le cortège d’ElBaradei a
traversé les rues principales de la ville de Mansoura et
s’est arrêté devant le jardin public « Chagaret Al-Dorr »,
pour se reposer. Ensuite, ElBaradei s’est rendu au village
de Maniat Samannoud, où il devait rencontrer des
responsables du parti du Rassemblement. Devant le domicile
de ce dernier, ElBaradei a tenu une conférence de presse. Il
a demandé au peuple égyptien de se joindre au mouvement
national pour le changement, car selon lui, c’est la seule
voie vers la démocratie. Le mouvement appelle à des
élections libres permettant au peuple de devenir le
véritable décideur. ElBaradei a déclaré avoir détecté, lors
de sa tournée à Mansoura, « un véritable désir des citoyens
au changement ». « La justice sociale en Egypte a presque
disparu. 40 % de la population vit au-dessous du seuil de la
pauvreté, 30 % sont analphabètes et l’état de l’agriculture
n’est pas bon », a assuré ElBaradei. Il a appelé tout le
monde à s’unir loin de toutes les idéologies ou divergences
politiques. « Nous sommes tous les propriétaires du pays. On
ne doit pas avoir peur, chacun a le droit de vivre une vie
digne », a déclaré ElBaradei. Et d’ajouter : « Nous devons
être tous partenaires au changement, et la réforme politique
est le début de toutes les réformes du pays ». La campagne
pour les présidentielles de 2011 en Egypte vient de
commencer.
Ola
Hamdi