Al-Ahram Hebdo,Nulle part ailleurs | Des nains mais sans Blanche Neige
  Président Abdel-Moneim Saïd
 
Rédacteur en chef Mohamed Salmawy
Nos Archives

 Semaine du 21 au 27 avril 2010, numéro 815

 

Contactez-nous Version imprimable

  Une

  Evénement

  Enquête

  Dossier

  Nulle part ailleurs

  Invité

  Egypte

  Economie

  Monde Arabe

  Afrique

  Monde

  Opinion

  Société

  Arts

  Idées

  Littérature

  Visages

  Environnement

  Voyages

  Sports

  Vie mondaine

  Echangez, écrivez



  AGENDA


Publicité
Abonnement
 
Nulle part ailleurs

Insolite. Ils sont tout petits, mesurant au maximum 100 cm de haut. C’est la condition pour travailler dans ce café, avenue des Pyramides, et c’est l’originalité qu’il présente.

Des nains mais sans Blanche Neige

«L’île des nains », une affiche qui retient immédiatement l’attention tant elle suggère la légende. C’est plutôt dans les contes et les légendes que l’on a coutume de rencontrer les nains, les farfadets et les gnomes. Ils se montrent parfois méchants, mais le plus souvent sympathiques et secourables. Qui ne se souvient pas de Blanche Neige et les sept nains ? Or, cette fois-ci, il ne s’agit pas de la mythologie, mais d’un café insolite situé à Guiza. Dès que l’on arrive à la fameuse avenue des Pyramides, on peut s’informer facilement sur son emplacement auprès de n’importe quel passant, et parfois la question est suivie d’un sourire moqueur ou d’un regard inquisiteur. Sur une immense pancarte ornée de dessin de Walt Disney est affiché le nom du café entouré de plusieurs autres petits écriteaux. Cosy, vivant et accueillant, ce café se distingue par son personnel, à savoir des garçons de café dont la taille varie entre 75 cm et un mètre. Design particulier, endroit vaste, télévision, abat-jour, et surtout des chaises et des tables très basses. Raison claire, pour être atteignables. Or, comment ces nains peuvent-ils mener à bien leur travail ? Le nez camus, la tête carrée et les membres disproportionnés, Ibrahim Abdel-Rahmane, âgé d’une vingtaine d’années, mesure 75 cm. Surnommé sultan Al-chicha (le sultan de la narguilé), il se faufile entre les tables pour servir des boissons chaudes ou glacées et des narguilés. « Se faire une place dans le monde des grands est une chose bien difficile, surtout que nous vivons dans une société qui n’est pas faite pour nous et qui nous considère comme des handicapés. Autrement dit, la petite taille n’est pas facile à assumer, car elle est visible et attire le regard parce que ce qui est petit habituellement a une connotation négative et fait penser à moins fort, moins responsable et moins capable », explique-t-il. Issu d’une famille normale, Abdel-Rahmane est le seul dans sa famille à être atteint de nanisme. C’est vers l’âge de 6 ans qu’il s’est rendu compte que la taille de ses copains de classe était différente de la sienne. Sa mère ne pouvait lui expliquer pourquoi il était plus petit que ses camarades et il ne cessait de lui poser la même question : « Quand est-ce que je vais grandir ? ». Une situation qui l’a poussé à se replier sur lui-même, à refuser de sortir pour éviter les regards et les commentaires de ses copains, et à quitter l’école en cinquième primaire. Puis, il a compris que s’enfermer ou se cacher n’était pas la bonne solution. Il s’est mis alors à chercher du boulot mais personne n’a voulu de lui. « J’ai pu seulement décrocher un rôle dans une pièce de théâtre, mais ce n’était pas un travail permanent, de plus, c’est mal payé. Pour trois mois de travail, je n’ai gagné que 50 L.E. Jusqu’au jour où j’ai appris qu’un café venait d’ouvrir aux Pyramides et recrutait des serveurs nains. Et donc, je n’ai pas hésité à me présenter, on m’a recruté et je gagne 600 L.E. par mois », dit-il tout en ajoutant que, grâce à son patron, il a réussi à s’intégrer dans la société, à se sentir autonome et non pas comme un fardeau pour la société. « Au début, beaucoup de gens venaient au café par curiosité, comme ils le faisaient dans les cirques et les théâtres. Certains restaient étonnés, d’autres s’approchaient de nous pour nous toucher, car cela leur rappelait les contes de fées. Mais d’autres jetaient des regards sarcastiques et refusaient de nous donner un pourboire. Aujourd’hui, les clients se sont habitués à notre présence et nous traitent correctement », souligne sultan al-chicha.

Mais pourquoi des serveurs nains ?

En effet, tout a commencé lorsque Bassem Salem, guide touristique et propriétaire du café, a vu un couple de nains, qui marchait dans une rue à Alexandrie, poursuivi par des gamins qui n’arrêtaient pas de leur lancer des pierres. Une scène inhumaine que Bassem n’a pas oubliée en constatant que ce couple était incapable de se défendre. « Est-ce de leur faute s’ils sont nés de petite taille ? Tout le monde peut donner naissance à un nain. Le nanisme, rarement héréditaire, provient d’une déficience chromosomique causant des malformations congénitales qui, toujours, inhibent la croissance », souligne Bassem.

Le problème réside donc dans le regard que portent les gens sur les nains. Un regard d’étonnement, de gêne, d’inquiétude et de dérision. « Mon objectif est de voir les personnes de petite taille vivre et travailler en harmonie avec des gens normaux et sans discrimination. Il est temps de changer les stéréotypes courants qui donnent à penser que la réussite est réservée en exclusivité aux individus beaux, grands et forts. La preuve, il y a eu un nain célèbre dans l’histoire de l’Egypte ancienne. Il s’appelait Seneb et a vécu au cours de la cinquième dynastie. Il a été un haut fonctionnaire et a porté plusieurs titres honorifiques », affirme Bassem, qui pense aussi que notre société n’est pas adaptée à l’existence de personnes de petites tailles.

En fait, les équipements dans la ville, par exemple les distributeurs de billets, les tourniquets du métro, les bancs publics, les poignets de portes, les boutons d’ascenseurs, les voitures, les panneaux indicateurs sont autant d’objets inaccessibles pour eux. Dans les logements, il est aussi facile d’imaginer toutes les difficultés d’une personne de petite taille pour faire la vaisselle, placer des objets sur des étagères, prendre sa douche, ou encore cuisiner. A l’école et au travail, peu de mobiliers sont adaptés aux personnes de petite taille. En fait, toute l’architecture de notre société est conçue pour un homme de taille moyenne, par rapport à une moyenne qui écarte toute différence.

D’où est venue l’idée à Bassem d’ouvrir un café pour aider ces gens à s’adapter et à vivre leur vie. Ici, le design est particulier, les chaises et les tables sont basses et conviennent à la taille des nains. Pourtant, tout n’a pas été facile pour Bassem. Il a rencontré des difficultés à former le personnel composé de six nains pour servir la clientèle dont la majorité sont des jeunes. Mais, la cuisine, c’est une personne de grande taille qui s’en charge. Quant aux clients. « Question d’ambiance, il y en a toujours et on passe d’agréables moments dans ce café singulier. On est accueilli chaleureusement par ces serveurs toujours souriants et attentifs », réplique Karim Moustapha, étudiant à la faculté des lettres et un des clients. Et de poursuivre : « Ils sont gais et sympathiques, et font tout pour mener à bien leur tâche, même s’ils éprouvent quelques difficultés à le faire. Ils ont souvent de l’humour et c’est un bon moyen pour affronter le regard des autres. Il faut donc essayer de les encourager au lieu de se moquer d’eux ».

Battant comme Al-Masri

Mohamad Al-Masri, un serveur qui mesure à peine 85 cm, a noté la commande d’un groupe de jeunes qui vient de s’attabler. Il se presse pour grimper sur une estrade afin d’atteindre les verres de jus de fruits.

« Je suis un homme de petite taille et j’en suis fier, car c’est Dieu qui m’a créé ainsi », dit-il à qui veut l’entendre. Contrairement à son collègue Abdel-Rahmane, Al-Masri a depuis l’enfance trouvé sa place dans sa famille et s’est senti bien accepté dans son environnement. « Je suis bien dans ma tête. Et j’affronte quotidiennement le regard des autres sans complexe », dit-il. Diplômé de la faculté de commerce, Al-Masri est un battant. Il a su rendre le sourire à tous ceux qui l’ont perdu à cause de leur petite taille. Son visage aux traits doux et parfois durs donne à son image, l’apparence d’un homme prêt à faire face aux difficultés de la vie. Téméraire, Al-Masri a toujours su faire face aux caprices du destin. Les maintes souffrances qu’il a subies l’ont rendu plus solide encore. Il ne s’est pas contenté de son travail au café et a créé une troupe musicale qui anime des soirées et des anniversaires. Pourtant, il lui arrive de ressentir un peu de découragement, car il en a marre d’être ballotté d’un endroit à un autre. Mais, sa plus grande fierté est de gagner sa vie, malgré sa différence. « Ce n’est pas la taille qui compte, c’est la volonté de bien faire. La petite taille peut conduire la personne à vouloir vivre et être heureux sous le regard des autres. Est-il possible d’être accepté comme on est dans notre société ? Imaginons une planète où être un nain serait la norme … », conclut Al-Masri.

Chahinaz Gheith

 




Equipe du journal électronique:
Equipe éditoriale: Névine Kamel- Howaïda Salah -Thérèse Joseph
Assistant technique: Karim Farouk
Webmaster: Samah Ziad

Droits de reproduction et de diffusion réservés. © AL-AHRAM Hebdo
Usage strictement personnel.
L'utilisateur du site reconnaît avoir pris connaissance de la Licence

de droits d'usage, en accepter et en respecter les dispositions.