Dans le
7e de ses Dix Papyrus, Mohamed
Salmawy creuse dans l’histoire du roi Séthi, le
rêveur, qui a marginalisé le rôle de l’armée, en tant que
pouvoir meurtrier, pour miser sur la force du peuple.
Quand
les soldats s’absentent, les souris mènent le combat
Séthi
II, qui a gouverné l’Egypte entre l’an 1200 et l’an 1194 av.
J.-C., était un homme idéaliste et rêveur. Il ne faisait pas
partie de ces combattants guerriers tels que Ramsès I ou II,
Horemheb ou Thoutmès III. Il arriva au pouvoir à cause du
différend insoluble entre les militaires qui se liguèrent
dans leur grande majorité du côté de son rival Ammenémès,
fils de l’une des filles de Ramsès II. Ammenémès prit
effectivement le pouvoir après le départ de Mérenptah bien
que ce dernier ait choisi Séthi II pour sa succession.
Cependant, trois ans après son règne, les militaires se
divisèrent, ce qui permit à Séthi II d’accéder au trône
d’Egypte.
Séthi II
choisit de construire des temples au lieu de mener des
conquêtes militaires. Il prenait pour devise l’inscription
du temple du dieu Atoum édifié par Sénousert I à Héliopolis
en l’an 1960 av. J.-C. et dont les mots étaient gravés sur
les deux côtés d’un morceau de cuir : « Eternel restera ce
que tu as bâti, car le roi connu pour ses édifices reste à
tout jamais vivant ».
Bien que
le temple édifié par Sénousert n’existe plus, les
constructions de Séthi II inspirées de ce temple restent
encore jusqu’aujourd’hui debout et majestueuses à Karnak, au
Ramesseum et ailleurs.
Toutefois, les chefs de l’armée ne cessèrent de se liguer
contre Séthi II qui décida d’en finir avec les militaires
qui avaient la main haute sur les affaires de l’Etat et qui
décidaient de celui qui serait en charge des rênes du
pouvoir. En effet, ils avaient obtenu d’énormes avantages et
des fortunes colossales durant les époques des pharaons
précédents. Séthi II les départit de tous leurs avantages,
confisqua leurs biens, leur interdit formellement
d’intervenir dans les affaires du règne et finit par mettre
un terme à leurs pouvoirs.
Néanmoins, les chefs de l’armée protestèrent contre ce
comportement et réunirent une délégation qui se rendit au
palais du pharaon pour essayer de l’en dissuader. Mais il
resta ferme sur sa position et il leur dit : « L’armée a
uniquement pour mission de se battre et non de gouverner le
pays. Lorsque nous aurons besoin de vos services pour
défendre notre terre, nous vous en informerons. Mais en
temps de paix, vous n’êtes pas concernés par le gouvernement
qui est du seul ressort du pharaon, fils de Rê, dieu du
Soleil et de tous les dieux célestes ».
Le chef
de l’armée dit : « Ne nous privez pas de nos biens et nous
n’interviendrons pas dans les affaires de l’Etat ». Pharaon
répondit : « Ces biens sont des biens publics usurpés. Ils
ne vous concernent pas ». Le chef répondit : « Nous n’avons
rien usurpé. Ces biens nous ont été offerts par les rois du
pays ». Et la réponse du pharaon se fit entendre : «
C’étaient des pots-de-vin graves qui méritent que le
corrupteur aussi bien que le corrompu figurent devant la
justice. Toutefois, les sommes ont été restituées au Trésor
public et je vous ai épargné le verdict de la loi. Partez
donc maintenant et ne débattez plus jamais de ce sujet ».
Les militaires en colère quittèrent le palais du pharaon
encore plus exacerbés, mais sans défense.
L’armée
égyptienne était à l’époque pleine de mercenaires étrangers,
grecs ou phéniciens ainsi que d’esclaves pour qui l’armée
était le moyen privilégié de conquérir leur liberté. Ainsi,
réduire la force de l’armée était, en fait, pour Séthi II le
moyen de mettre un terme à cette dépendance de l’armée
vis-à-vis des étrangers qui jouissaient de l’autorité et de
certains avantages qui les avaient élevés au-dessus du rang
des autres catégories du peuple.
Séthi II
avait un fils, Siptah, âgé d’une douzaine d’années. Il le
préparait à sa succession au trône. Séthi ne cessait de
communiquer à son fils la grandeur de la civilisation
égyptienne et la gloire de son histoire tout au long des
époques. Un jour, alors qu’ils rentraient d’une partie de
chasse au désert dans le carrosse royal tiré par six chevaux,
Siptah demanda à son père : « Pourquoi père ne voulez-vous
pas que l’Egypte ait une armée ? ». Son père lui fit une
réponse qui l’étonna : « L’Egypte a construit sa grande
civilisation sans armée. Khoufou le magnifique n’avait pas
d’armée, Khafré et Menkaouré non plus. Personne n’en avait
parmi les rois de l’Ancien Empire qui nous ont légué les
plus beaux vestiges ». Siptah lui demanda : « Comment donc
menaient-ils leurs conquêtes ? ». Pharaon lui expliqua
qu’ils mobilisaient une armée en cas de besoin soit pour les
conquêtes militaires, soit pour la construction de la
pyramide de pharaon ou encore pour le travail des carrières
afin d’assembler les pierres nécessaires à la construction
des temples. Sinon, la plupart du temps, ces gens plantaient
la terre pour gagner leur pain comme des gens ordinaires et
non pas comme des militaires faisant partie d’une armée
régulière ayant pour métier le fait de se battre. Ainsi,
lorsque l’armée était mobilisée, elle était constituée
d’Egyptiens, enfants de la patrie, qui défendaient leurs
terres et leurs plantations, non pas des « mercenaires »
comme c’est le cas actuellement.
Le
cortège de pharaon s’arrêta pour une pause dans un endroit
ombragé non loin d’Abydos, de retour du désert. Séthi emmena
son fils au temple funéraire d’Ouni et lui lut ce qui avait
été gravé sur ces murs depuis plus de mille ans relatant la
description d’une conquête militaire sur la terre de Canaan
menée par une armée formée « de dizaines de milliers de
soldats » qui avaient été rassemblés pour cet objectif,
étant donné qu’il n’y avait pas d’armée régulière dans les
anciennes dynasties.
Siptah
ne savait pas à ce moment que le règne de son père ne
durerait que 6 ans seulement et qu’il lui succéderait plus
rapidement qu’il ne le pensait. Mais il disait cela en
pensant aux crises réelles que pourrait affronter le pays.
Il demanda à son père : « Qu’en sera-t-il de l’Egypte si
elle en venait à devoir affronter une conquête extérieure ?
». Pharaon répondit : « Dans ce cas uniquement, nous
demanderons la mobilisation de l’armée ». Siptah ne fut pas
complètement convaincu par les arguments de son père et lui
demanda : « Qu’y a-t-il de mal à ce que les militaires
soient en état d’alerte dès maintenant ? ». Son père lui
répondit : « Le mal est grand mon fils. Demain je te
raconterai comment les militaires ont agi dans le pays ».
Néanmoins, le jour suivant, ce que semblait faire réfléchir
Siptah eut lieu. Les Assyriens arrivèrent sous la direction
de leur roi Sénnachérib pour attaquer l’Egypte dans une
conquête soudaine que personne n’avait imaginée. Et comme
Séthi l’avait déjà dit à son fils, il appela à la
mobilisation de l’armée pour faire face aux forces des
Assyriens avant qu’ils n’arrivent aux frontières du pays.
Mais les chefs de l’armée préférèrent leurs intérêts
personnels aux intérêts du pays et refusèrent la
mobilisation.
Le grand
prêtre se précipita vers Pharaon à la tête d’une délégation
des prêtres du Karnak avec un message qui demandait à
Pharaon de se soumettre aux demandes des militaires pour
sauver le pays et le trône. Mais Séthi II leur dit : « Votre
comportement est étrange. L’histoire de notre pays confirme
que les dirigeants étaient durant des milliers d’années de
la classe des prêtres ou des scribes civils jusqu’au moment
où les militaires de l’armée devinrent des pharaons pour la
première fois dans la XVIIIe dynastie. Je veux aujourd’hui
corriger cette situation et c’est vous qui m’en dissuadez ?
».
Le grand
prêtre dit : « Votre Majesté, grand Pharaon, ce qui est en
jeu aujourd’hui, c’est la sécurité du pays et nous sommes
prêts à fermer les yeux sur nos droits usurpés pour le bien
national ». Pharaon dit : « Etes-vous prêts également à ce
que le pharaon du pays soit humilié et qu’il soit vaincu
devant les militaires ? Comment pourrons-nous réaliser une
victoire face aux conquérants si la tête du pays se trouve
vaincue et réduite à se soumettre aux militaires ? J’ai pris
la décision d’écarter l’armée de la politique et je ne
reviendrai pas sur cette décision. J’ai pris la décision de
mettre un terme aux avantages anormaux des militaires et je
ne reviendrai pas sur cette décision. Et si maintenant
l’armée refuse d’exécuter les ordres de Pharaon pour
défendre cette patrie, je considère ceci comme une trahison
capitale. Ils seront jugés pour cela tout de suite et bien
avant que l’Histoire ne le fasse ».
Les
prêtres se regardèrent et ne répondirent pas. Après un
instant de silence, le grand prêtre dit : « Vous avez
raison, Roi des rois. Mais comment ferons-nous pour contrer
les conquérants assyriens sans posséder une armée ? ».
Pharaon répondit : « Je combattrai avec l’aide du peuple ».
La séance prit fin sans que les prêtres n’aient compris ce
que voulait dire Séthi II.
Le
lendemain, Séthi II, son fils Siptah et leurs adjoints au
palais se dirigèrent vers les places publiques de la ville
pour expliquer aux gens les menaces auxquelles était exposé
le pays à cause des Assyriens et l’insubordination de
l’armée. Pharaon dit : « Les combats reflètent la valeur des
hommes et nous avons deux combats à mener, le premier se
fera afin de protéger le pays contre ceux qui veulent le
violer de l’extérieur et le second pour le protéger contre
ceux qui veulent le violer de l’intérieur. Nous devons
libérer le pays des deux envahisseurs à la fois pour
préserver l’Egypte glorieuse et grandiose, libre et
invulnérable comme elle l’a toujours été ».
Pharaon
regarda les gens et dit : « Dans ce combat, vous êtes la
seule arme du pays, une arme dangereuse et invincible ». Les
hommes acclamèrent son nom et les femmes scandèrent des
chants. Pharaon dit : « Ce n’est pas le moment d’acclamer ou
de chanter. C’est le moment de travailler sérieusement pour
la victoire. Montrez-moi comment vous allez agir ». Les
jeunes avancèrent, le torse nu bronzé par le soleil, et
dirent : « Nous sommes l’armée de l’Egypte jusqu’à la
disparition de tout danger ! ».
Pharaon
et ses hommes réussirent durant quelques jours à assembler
des milliers de volontaires à qui l’on donna armes et
munitions. On commença également à les entraîner dans la
perspective de contrer toute éventuelle invasion.
Ce jour-là,
Pharaon revint dans son palais serein et dit à Siptah : « Tu
vas voir maintenant ce que les gens vont faire ». Mais
Siptah répliqua : « Il leur manque le temps pour s’entraîner
». Son père répondit : « Le manque d’entraînement sera
compensé par la force de la volonté. J’ai des nouvelles
certaines que les forces de Sennachérib sont arrivées à la
frontière du Sinaï et que leur nombre ne dépasse pas les 5
000 personnes, alors que nous avons assemblé jusqu’à présent
6 000 volontaires. Ils sont entraînés certes, mais ils font
la guerre parce qu’ils envient des biens qu’ils ne possèdent
pas, alors que nos hommes ne sont pas entraînés comme il le
faudrait, mais ils combattent pour protéger leur patrie et
défendre ce qui leur appartient. Ainsi seront-ils victorieux
contre ces envahisseurs ».
«
Comment ? », demanda Siptah. Séthi dit : « Je ne sais pas ».
Siptah dit : « J’ai peur, père ». Son père répondit : «
N’aie pas de crainte, fils. Celui qui règne et dont la force
dépend du soutien du peuple est bien plus fort que celui qui
ne jouit que de la force des armes ».
Les
jours suivants, le soutien des gens augmenta pour leur roi
et les gens s’assemblèrent autour de lui. Dans l’ancienne
ville d’Illahoun, située dans la partie est du Fayoum, le
célèbre archéologue britannique Flinders Petrie découvrit
des papyrus entre 1889 et 1890 qui furent connus sous le nom
de Papyrus d'Illahoun. J’en ai vu un au musée Petrie à
l’University College de Londres dont les hiéroglyphes
racontent l’histoire du soutien du peuple à son roi. Elles
relatent cela dans un beau style poétique :
Il
mérite à lui seul les millions, alors que
les autres ne sont que des minus.
Il est
la salle humide et aérée où l’on peut
s’assoupir le jour.
Celui
qui s’en remet à lui ne peut être
éprouvé.
C’est le
refuge qui sauve des ennemis.
C’est le
printemps ombragé et le bain
vivifiant de l’été.
C’est
l’endroit chaud et sec de l’hiver.
C’est le
mur qui protège des vents,
Lorsque
la tempête gronde dans les cieux.
Avec le
début de l’entraînement des volontaires, le nombre augmenta
et ils se divisèrent en plusieurs groupes ayant pour mission
le fait d’attaquer ou de défendre. Ils choisirent des lieux
où ils se concentrèrent aux frontières et à l’intérieur du
pays. Lorsque les Assyriens arrivèrent à la frontière est du
pays, ils trouvèrent des milliers de combattants qui les
attendaient. Ils s’arrêtèrent net et leur chef dit : « Nous
allons camper cette nuit ici en attendant de voir plus clair
et nous attendrons de nouvelles munitions venant à notre
secours depuis les pays du Levant ».
A
l’intérieur des frontières, les gens s’assemblèrent autour
des guerriers volontaires et leur apportèrent à manger et à
boire. Ils ne cessèrent de leur offrir soutien et
protection. Puis ils commencèrent à mettre en exécution un
plan génial que personne n’avait imaginé. Ils se mirent à
chercher toutes les souris qu’ils purent trouver et les
posèrent dans les paniers vides où ils avaient mis
auparavant la nourriture des volontaires.
Le
lendemain, de nouvelles munitions arrivèrent aux Assyriens
et le chef des armées déclara qu’ils attaqueront l’Egypte le
jour suivant. Lorsque la nuit tomba, les hommes lancèrent
les souris affamées hors des paniers vers les tentes des
Assyriens alors qu’ils dormaient. Les souris vinrent dans
l’obscurité dans les tentes et rongèrent de leurs dents les
cordes des arcs constituées d’intestins d’animaux. Ainsi les
arcs devinrent inaptes au lancement des flèches. Ils
rongèrent également les manches en cuir des boucliers. Ainsi,
les troupes armées des envahisseurs ne pouvaient les
utiliser ou les maintenir stables.
Le matin,
lorsque les troupes assyriennes découvrirent leur malheur,
elles furent prises d’épouvante et leur chef dit : « Ce sont
les magiciens de Pharaon ! ». Quelques minutes plus tard,
les troupes du peuple égyptien commencèrent à attaquer et à
prendre en gage des prisonniers, sans aucune défense, par
centaines. Ils les offraient à Séthi II comme le symbole de
l’appréciation du peuple pour le pharaon qui a su leur faire
confiance et qu’ils ont soutenu en lui offrant une victoire
dignes d’eux.
Ouni a
été le premier à rédiger un hymne de victoire dans
l’Histoire. En voici les paroles :
L’armée
a vaincu les ennemis
L’armée
courageuse du peuple
Qui a
mis fin aux ennemis,
Venus de
derrière les sables,
Elle les
a écrasés sous ses pieds
L’armée
a vaincu les ennemis
Qui
veulent saccager la terre prospère
et bénéfique
L’armée
courageuse du peuple
Qui de
ces soldats a fait des détenus
Des
dizaines de milliers
Grâce au
soutien des dieux des cieux.
Traduction de Soheir Fahmi