Al-Ahram Hebdo, Littérature |Mohamed Salmawy; Quand les soldats s’absentent, les souris mènent le combat
  Président Abdel-Moneim Saïd
 
Rédacteur en chef Mohamed Salmawy
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 Semaine du 21 au 27 avril 2010, numéro 815

 

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Littérature

Dans le 7e de ses Dix Papyrus, Mohamed Salmawy creuse dans l’histoire du roi Séthi, le rêveur, qui a marginalisé le rôle de l’armée, en tant que pouvoir meurtrier, pour miser sur la force du peuple.

Quand les soldats s’absentent, les souris mènent le combat

Séthi II, qui a gouverné l’Egypte entre l’an 1200 et l’an 1194 av. J.-C., était un homme idéaliste et rêveur. Il ne faisait pas partie de ces combattants guerriers tels que Ramsès I ou II, Horemheb ou Thoutmès III. Il arriva au pouvoir à cause du différend insoluble entre les militaires qui se liguèrent dans leur grande majorité du côté de son rival Ammenémès, fils de l’une des filles de Ramsès II. Ammenémès prit effectivement le pouvoir après le départ de Mérenptah bien que ce dernier ait choisi Séthi II pour sa succession. Cependant, trois ans après son règne, les militaires se divisèrent, ce qui permit à Séthi II d’accéder au trône d’Egypte.

Séthi II choisit de construire des temples au lieu de mener des conquêtes militaires. Il prenait pour devise l’inscription du temple du dieu Atoum édifié par Sénousert I à Héliopolis en l’an 1960 av. J.-C. et dont les mots étaient gravés sur les deux côtés d’un morceau de cuir : « Eternel restera ce que tu as bâti, car le roi connu pour ses édifices reste à tout jamais vivant ».

Bien que le temple édifié par Sénousert n’existe plus, les constructions de Séthi II inspirées de ce temple restent encore jusqu’aujourd’hui debout et majestueuses à Karnak, au Ramesseum et ailleurs.

Toutefois, les chefs de l’armée ne cessèrent de se liguer contre Séthi II qui décida d’en finir avec les militaires qui avaient la main haute sur les affaires de l’Etat et qui décidaient de celui qui serait en charge des rênes du pouvoir. En effet, ils avaient obtenu d’énormes avantages et des fortunes colossales durant les époques des pharaons précédents. Séthi II les départit de tous leurs avantages, confisqua leurs biens, leur interdit formellement d’intervenir dans les affaires du règne et finit par mettre un terme à leurs pouvoirs.

Néanmoins, les chefs de l’armée protestèrent contre ce comportement et réunirent une délégation qui se rendit au palais du pharaon pour essayer de l’en dissuader. Mais il resta ferme sur sa position et il leur dit : « L’armée a uniquement pour mission de se battre et non de gouverner le pays. Lorsque nous aurons besoin de vos services pour défendre notre terre, nous vous en informerons. Mais en temps de paix, vous n’êtes pas concernés par le gouvernement qui est du seul ressort du pharaon, fils de Rê, dieu du Soleil et de tous les dieux célestes ».

Le chef de l’armée dit : « Ne nous privez pas de nos biens et nous n’interviendrons pas dans les affaires de l’Etat ». Pharaon répondit : « Ces biens sont des biens publics usurpés. Ils ne vous concernent pas ». Le chef répondit : « Nous n’avons rien usurpé. Ces biens nous ont été offerts par les rois du pays ». Et la réponse du pharaon se fit entendre : « C’étaient des pots-de-vin graves qui méritent que le corrupteur aussi bien que le corrompu figurent devant la justice. Toutefois, les sommes ont été restituées au Trésor public et je vous ai épargné le verdict de la loi. Partez donc maintenant et ne débattez plus jamais de ce sujet ». Les militaires en colère quittèrent le palais du pharaon encore plus exacerbés, mais sans défense.

L’armée égyptienne était à l’époque pleine de mercenaires étrangers, grecs ou phéniciens ainsi que d’esclaves pour qui l’armée était le moyen privilégié de conquérir leur liberté. Ainsi, réduire la force de l’armée était, en fait, pour Séthi II le moyen de mettre un terme à cette dépendance de l’armée vis-à-vis des étrangers qui jouissaient de l’autorité et de certains avantages qui les avaient élevés au-dessus du rang des autres catégories du peuple.

Séthi II avait un fils, Siptah, âgé d’une douzaine d’années. Il le préparait à sa succession au trône. Séthi ne cessait de communiquer à son fils la grandeur de la civilisation égyptienne et la gloire de son histoire tout au long des époques. Un jour, alors qu’ils rentraient d’une partie de chasse au désert dans le carrosse royal tiré par six chevaux, Siptah demanda à son père : « Pourquoi père ne voulez-vous pas que l’Egypte ait une armée ? ». Son père lui fit une réponse qui l’étonna : « L’Egypte a construit sa grande civilisation sans armée. Khoufou le magnifique n’avait pas d’armée, Khafré et Menkaouré non plus. Personne n’en avait parmi les rois de l’Ancien Empire qui nous ont légué les plus beaux vestiges ». Siptah lui demanda : « Comment donc menaient-ils leurs conquêtes ? ». Pharaon lui expliqua qu’ils mobilisaient une armée en cas de besoin soit pour les conquêtes militaires, soit pour la construction de la pyramide de pharaon ou encore pour le travail des carrières afin d’assembler les pierres nécessaires à la construction des temples. Sinon, la plupart du temps, ces gens plantaient la terre pour gagner leur pain comme des gens ordinaires et non pas comme des militaires faisant partie d’une armée régulière ayant pour métier le fait de se battre. Ainsi, lorsque l’armée était mobilisée, elle était constituée d’Egyptiens, enfants de la patrie, qui défendaient leurs terres et leurs plantations, non pas des « mercenaires » comme c’est le cas actuellement.

Le cortège de pharaon s’arrêta pour une pause dans un endroit ombragé non loin d’Abydos, de retour du désert. Séthi emmena son fils au temple funéraire d’Ouni et lui lut ce qui avait été gravé sur ces murs depuis plus de mille ans relatant la description d’une conquête militaire sur la terre de Canaan menée par une armée formée « de dizaines de milliers de soldats » qui avaient été rassemblés pour cet objectif, étant donné qu’il n’y avait pas d’armée régulière dans les anciennes dynasties.

Siptah ne savait pas à ce moment que le règne de son père ne durerait que 6 ans seulement et qu’il lui succéderait plus rapidement qu’il ne le pensait. Mais il disait cela en pensant aux crises réelles que pourrait affronter le pays. Il demanda à son père : « Qu’en sera-t-il de l’Egypte si elle en venait à devoir affronter une conquête extérieure ? ». Pharaon répondit : « Dans ce cas uniquement, nous demanderons la mobilisation de l’armée ». Siptah ne fut pas complètement convaincu par les arguments de son père et lui demanda : « Qu’y a-t-il de mal à ce que les militaires soient en état d’alerte dès maintenant ? ». Son père lui répondit : « Le mal est grand mon fils. Demain je te raconterai comment les militaires ont agi dans le pays ».

Néanmoins, le jour suivant, ce que semblait faire réfléchir Siptah eut lieu. Les Assyriens arrivèrent sous la direction de leur roi Sénnachérib pour attaquer l’Egypte dans une conquête soudaine que personne n’avait imaginée. Et comme Séthi l’avait déjà dit à son fils, il appela à la mobilisation de l’armée pour faire face aux forces des Assyriens avant qu’ils n’arrivent aux frontières du pays. Mais les chefs de l’armée préférèrent leurs intérêts personnels aux intérêts du pays et refusèrent la mobilisation.

Le grand prêtre se précipita vers Pharaon à la tête d’une délégation des prêtres du Karnak avec un message qui demandait à Pharaon de se soumettre aux demandes des militaires pour sauver le pays et le trône. Mais Séthi II leur dit : « Votre comportement est étrange. L’histoire de notre pays confirme que les dirigeants étaient durant des milliers d’années de la classe des prêtres ou des scribes civils jusqu’au moment où les militaires de l’armée devinrent des pharaons pour la première fois dans la XVIIIe dynastie. Je veux aujourd’hui corriger cette situation et c’est vous qui m’en dissuadez ? ».

Le grand prêtre dit : « Votre Majesté, grand Pharaon, ce qui est en jeu aujourd’hui, c’est la sécurité du pays et nous sommes prêts à fermer les yeux sur nos droits usurpés pour le bien national ». Pharaon dit : « Etes-vous prêts également à ce que le pharaon du pays soit humilié et qu’il soit vaincu devant les militaires ? Comment pourrons-nous réaliser une victoire face aux conquérants si la tête du pays se trouve vaincue et réduite à se soumettre aux militaires ? J’ai pris la décision d’écarter l’armée de la politique et je ne reviendrai pas sur cette décision. J’ai pris la décision de mettre un terme aux avantages anormaux des militaires et je ne reviendrai pas sur cette décision. Et si maintenant l’armée refuse d’exécuter les ordres de Pharaon pour défendre cette patrie, je considère ceci comme une trahison capitale. Ils seront jugés pour cela tout de suite et bien avant que l’Histoire ne le fasse ».

Les prêtres se regardèrent et ne répondirent pas. Après un instant de silence, le grand prêtre dit : « Vous avez raison, Roi des rois. Mais comment ferons-nous pour contrer les conquérants assyriens sans posséder une armée ? ». Pharaon répondit : « Je combattrai avec l’aide du peuple ». La séance prit fin sans que les prêtres n’aient compris ce que voulait dire Séthi II.

Le lendemain, Séthi II, son fils Siptah et leurs adjoints au palais se dirigèrent vers les places publiques de la ville pour expliquer aux gens les menaces auxquelles était exposé le pays à cause des Assyriens et l’insubordination de l’armée. Pharaon dit : « Les combats reflètent la valeur des hommes et nous avons deux combats à mener, le premier se fera afin de protéger le pays contre ceux qui veulent le violer de l’extérieur et le second pour le protéger contre ceux qui veulent le violer de l’intérieur. Nous devons libérer le pays des deux envahisseurs à la fois pour préserver l’Egypte glorieuse et grandiose, libre et invulnérable comme elle l’a toujours été ».

Pharaon regarda les gens et dit : « Dans ce combat, vous êtes la seule arme du pays, une arme dangereuse et invincible ». Les hommes acclamèrent son nom et les femmes scandèrent des chants. Pharaon dit : « Ce n’est pas le moment d’acclamer ou de chanter. C’est le moment de travailler sérieusement pour la victoire. Montrez-moi comment vous allez agir ». Les jeunes avancèrent, le torse nu bronzé par le soleil, et dirent : « Nous sommes l’armée de l’Egypte jusqu’à la disparition de tout danger ! ».

Pharaon et ses hommes réussirent durant quelques jours à assembler des milliers de volontaires à qui l’on donna armes et munitions. On commença également à les entraîner dans la perspective de contrer toute éventuelle invasion.

Ce jour-là, Pharaon revint dans son palais serein et dit à Siptah : « Tu vas voir maintenant ce que les gens vont faire ». Mais Siptah répliqua : « Il leur manque le temps pour s’entraîner ». Son père répondit : « Le manque d’entraînement sera compensé par la force de la volonté. J’ai des nouvelles certaines que les forces de Sennachérib sont arrivées à la frontière du Sinaï et que leur nombre ne dépasse pas les 5 000 personnes, alors que nous avons assemblé jusqu’à présent 6 000 volontaires. Ils sont entraînés certes, mais ils font la guerre parce qu’ils envient des biens qu’ils ne possèdent pas, alors que nos hommes ne sont pas entraînés comme il le faudrait, mais ils combattent pour protéger leur patrie et défendre ce qui leur appartient. Ainsi seront-ils victorieux contre ces envahisseurs ».

« Comment ? », demanda Siptah. Séthi dit : « Je ne sais pas ». Siptah dit : « J’ai peur, père ». Son père répondit : « N’aie pas de crainte, fils. Celui qui règne et dont la force dépend du soutien du peuple est bien plus fort que celui qui ne jouit que de la force des armes ».

Les jours suivants, le soutien des gens augmenta pour leur roi et les gens s’assemblèrent autour de lui. Dans l’ancienne ville d’Illahoun, située dans la partie est du Fayoum, le célèbre archéologue britannique Flinders Petrie découvrit des papyrus entre 1889 et 1890 qui furent connus sous le nom de Papyrus d'Illahoun. J’en ai vu un au musée Petrie à l’University College de Londres dont les hiéroglyphes racontent l’histoire du soutien du peuple à son roi. Elles relatent cela dans un beau style poétique :

Il mérite à lui seul les millions, alors que

            les autres ne sont que des minus.

Il est la salle humide et aérée où l’on peut

                                   s’assoupir le jour.

Celui qui s’en remet à lui ne peut être

                                              éprouvé.

C’est le refuge qui sauve des ennemis.

C’est le printemps ombragé et le bain

                                  vivifiant de l’été.

C’est l’endroit chaud et sec de l’hiver.

C’est le mur qui protège des vents,

Lorsque la tempête gronde dans les cieux. 

Avec le début de l’entraînement des volontaires, le nombre augmenta et ils se divisèrent en plusieurs groupes ayant pour mission le fait d’attaquer ou de défendre. Ils choisirent des lieux où ils se concentrèrent aux frontières et à l’intérieur du pays. Lorsque les Assyriens arrivèrent à la frontière est du pays, ils trouvèrent des milliers de combattants qui les attendaient. Ils s’arrêtèrent net et leur chef dit : « Nous allons camper cette nuit ici en attendant de voir plus clair et nous attendrons de nouvelles munitions venant à notre secours depuis les pays du Levant ».

A l’intérieur des frontières, les gens s’assemblèrent autour des guerriers volontaires et leur apportèrent à manger et à boire. Ils ne cessèrent de leur offrir soutien et protection. Puis ils commencèrent à mettre en exécution un plan génial que personne n’avait imaginé. Ils se mirent à chercher toutes les souris qu’ils purent trouver et les posèrent dans les paniers vides où ils avaient mis auparavant la nourriture des volontaires.

Le lendemain, de nouvelles munitions arrivèrent aux Assyriens et le chef des armées déclara qu’ils attaqueront l’Egypte le jour suivant. Lorsque la nuit tomba, les hommes lancèrent les souris affamées hors des paniers vers les tentes des Assyriens alors qu’ils dormaient. Les souris vinrent dans l’obscurité dans les tentes et rongèrent de leurs dents les cordes des arcs constituées d’intestins d’animaux. Ainsi les arcs devinrent inaptes au lancement des flèches. Ils rongèrent également les manches en cuir des boucliers. Ainsi, les troupes armées des envahisseurs ne pouvaient les utiliser ou les maintenir stables.

Le matin, lorsque les troupes assyriennes découvrirent leur malheur, elles furent prises d’épouvante et leur chef dit : « Ce sont les magiciens de Pharaon ! ». Quelques minutes plus tard, les troupes du peuple égyptien commencèrent à attaquer et à prendre en gage des prisonniers, sans aucune défense, par centaines. Ils les offraient à Séthi II comme le symbole de l’appréciation du peuple pour le pharaon qui a su leur faire confiance et qu’ils ont soutenu en lui offrant une victoire dignes d’eux.

Ouni a été le premier à rédiger un hymne de victoire dans l’Histoire. En voici les paroles :

L’armée a vaincu les ennemis

L’armée courageuse du peuple

Qui a mis fin aux ennemis,

Venus de derrière les sables,

Elle les a écrasés sous ses pieds 

L’armée a vaincu les ennemis

Qui veulent saccager la terre prospère

                                       et bénéfique

L’armée courageuse du peuple

Qui de ces soldats a fait des détenus

Des dizaines de milliers

Grâce au soutien des dieux des cieux.

Traduction de Soheir Fahmi

La semaine prochaine, le 8e Papyrus

 




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