Nucléaire.
Braqué
surtout sur l’Iran en dépit d’un ordre du jour différent, le
sommet de Washington a été marqué par la confirmation de
l’influence de l’Etat hébreu dont les armes échappent à tout
contrôle.
Israël dans le rôle du souffleur
La
sécurité nucléaire est-elle entre les mains des grandes
puissances uniquement ? Elles étaient toutes réunies lors du
sommet de Washington qui vient de prendre fin et qui fut
marqué par l’annonce d’une nouvelle doctrine nucléaire du
président américain Barack Obama, s’ajoutant à ses succès
politiques de ces dernières semaines. Prélude à cette
conférence de Washington, l’accord entre l’Amérique et la
Russie pour la réduction de leurs armes stratégiques. Il
s’agit finalement de réduire le rôle des armes nucléaires
dans les stratégies de défense nationale.
Certes,
le nucléaire est loin d’être totalement domestiqué. Malgré
certaines avancées, cette nouvelle doctrine américaine reste
très en retrait et ne renonce pas à utiliser en premier
l’arme atomique, y compris contre un pays qui n’en dispose
pas. Qu’est-ce que cela veut dire ? Lors de la conférence,
Obama n’a pas manqué, ainsi que les différents participants,
mais à de degrés divers, de montrer du doigt l’Iran en tant
que principale source de terreur nucléaire bien plus que la
Corée du Nord. Toute une liste d’accusations contre Téhéran
avec en filigrane des menaces à peine voilées d’un possible
usage de la force si les sanctions n’aboutissent pas. Et
aussi on a vu désigné, comme source de danger plus récent,
le terrorisme nucléaire que pratiqueraient certaines
organisations, notamment Al-Qaëda (lire page 5). Ainsi,
c’est quasiment dans le cercle moyen-oriental que cette
notion d’un danger nucléaire trouve son terrain. Mais
l’acteur principal, lui, veut rester dans les coulisses ou
même jouer le rôle de souffleur. Pas besoin de tenter
d’aller chercher trop loin pour deviner de qui il s’agit.
C’est Israël, cette puissance nucléaire avérée. La sixième
du monde à avoir acquis l’arme nucléaire. La politique du
secret, un secret de polichinelle somme toute, qu’il
pratique est en premier lieu une arme d’intimidation à
l’égard des Arabes.
Ces
dernières années d’ailleurs, les allusions concernant ce
dossier se sont faites de plus en plus transparentes,
notamment de la part de Shimon Pérès, l’actuel président,
considéré comme le « père » du programme nucléaire israélien,
lancé en très étroite coopération avec la France à la fin
des années 1950. En novembre 2001, Shimon Pérès a reconnu,
dans un documentaire diffusé par la télévision publique
israélienne, que la France avait accepté, en 1956, de doter
Israël d’une « capacité nucléaire ». « Des quatre pays qui
avaient à l’époque des capacités nucléaires, les Etats-Unis,
l’Union soviétique et la Grande Bretagne, la France était
seule susceptible de nous aider », avait admis Pérès.
La
politique du flou
Aujourd’hui, selon les experts militaires, l’Etat hébreu
dispose d’un arsenal nucléaire comprenant plus de deux cents
bombes atomiques. « Nous continuons à dire qu’Israël ne sera
pas le premier pays à dévoiler l’arme nucléaire au Moyen-Orient.
Cette politique va continuer et aucune pression d’un
quelconque pays ne la fera changer », a déclaré la vice-ministre
israélienne des Affaires étrangères, Dany Ayalon.
La
politique du « flou » constitue la position officielle
israélienne depuis son adoption en 1965, date de
l’inauguration de la centrale nucléaire de Dimona dans le
Néguev au sud d’Israël. Or, dans le contexte nouveau-né de
cette conférence de Washington, si l’Amérique a tenté de
faire pression sur Israël, elle a tout de suite fait marche
arrière. « En ce qui concerne Israël, je ne vais pas
m’exprimer sur leur programme. Nous avons encouragé tous les
pays à devenir membres du TNP, donc, il n’y a pas de
contradiction », a affirmé le président Obama, qui poursuit
: « Que nous parlions d’Israël ou de tout autre pays, nous
pensons que devenir un membre du TNP est important. Ce n’est
pas une nouvelle prise de position, c’était l’avis du
gouvernement américain, même avant mon administration ».
Des
appels bien timides comme on le constate alors que pour
l’Iran, ce sont quasiment des déclarations de guerre. On
rappelle d’ailleurs que l’Etat hébreu a conclu une « entente
» en 1969 avec les Etats-Unis aux termes de laquelle les
dirigeants israéliens s’abstiennent de toute déclaration
publique sur le potentiel nucléaire de leur pays et ne
procèdent à aucun test nucléaire. En échange, Washington
s’est engagé à s’abstenir d’exercer des pressions sur ce
dossier.
De toute
façon, Israël n’est pas signataire du TNP et ce ne sont les
douces invitations d’Obama qui l’obligeront à le faire. 190
Etats ont adhéré à ce traité, en dépit de certaines réserves,
y compris tous les Etats du Moyen-Orient. Dans ce contexte,
on ne peut que constater que c’est Tel-Aviv qui est le
gagnant. « On pourrait penser que le TNP a été doublement
profitable à Israël : d’une part, parce que sa non-adhésion
lui a permis de garder ses options ouvertes et d’autre part,
et inversement, parce que l’adhésion des Etats voisins lui a
permis de bénéficier des contraintes que le TNP impose à ces
Etats », relève le politologue Camille Mansour, professeur à
l’Université de Versailles.
Or, il
est clair que, vu du Proche-Orient, c’est Israël qui
représente donc le principal danger au Proche-Orient. En
fait, il se sert du nucléaire pour asseoir sa suprématie
militaire, et puis joue le jeu contraire, celui de la
crainte d’un nucléaire qui viendrait de l’Iran, par exemple,
pour continuer à jouer ce double rôle. Oter un masque pour
placer un autre, mais le visage réel est celui de Mars, le
dieu de la guerre. Le bombardement de la centrale nucléaire
iraqienne Osirak en 1981 est bien un exemple. Le danger
vient donc d’Israël. Mais cet Etat parvient toujours à se
dérober.
Selon le
chercheur Mohamad Abdel-Salam, du Centre des Etudes
Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram, « il ne faut
pas ignorer que le sommet de Washington avait pour chapitre
principal dans son agenda de traiter avec les matériaux
nucléaires qui pourraient s’infiltrer vers l’extérieur,
c’est-à-dire des organisations terroristes par exemple.
Contrôler les matières et non les armes était l’objectif du
sommet. Mais il était entendu que cette question d’armes
s’imposera, et c’est ce qui est arrivé. Certains ont fait
campagne contre l’Iran tandis que les Arabes se sont
mobilisés contre Israël ». Tout s’est déroulé selon les
capacités de chaque partie. « Mais, ajoute-t-il, Israël
arrive toujours à se dérober, parce que les pays occidentaux
sont en majorité convaincus de ce que fait l’Etat hébreu.
Obama n’a même pas commenté le programme nucléaire israélien.
Ce sont les équilibres politiques qui ont prévalu et non
l’ordre du jour ». Israël ne trouve pas de peine à se
dérober. Ceci remonte à trois raisons, selon Mohamad
Abdel-Salam. « Tout d’abord parce qu’il n’est pas signataire
du TNP (Traité sur la Non-Prolifération des armes nucléaires),
donc aucune règle de ce traité ne s’applique à lui. Ensuite,
Israël n’a pas jusqu’à présent déclaré officiellement qu’il
détient des armes atomiques. Et enfin, les liens très
solides qui existent avec les Etats-Unis. Il y a une
compréhension américaine à l’égard de ce que fait Tel-Aviv
concernant les armes nucléaires. Ceci d’autant plus
qu’Israël a su promouvoir l’idée qu’il n’utilisera l’arme
nucléaire que pour se défendre. D’ailleurs, l’Europe adopte
la même attitude ».
Sources
de menaces multiples
Par
contre, les pays arabes n’ont pas, à ce jour, trouvé le
moyen effectif de traiter cet état des choses. Comme le dit
le politologue, les Arabes peuvent soulever un débat sur la
question, mais pas la traiter. Or il semble qu’ils n’ont pas
beaucoup de choix. Soit ils acceptent la réalité, et c’est
ce qu’ils rejettent totalement. Soit ils tentent d’être à
égalité avec Israël en se dotant d’armes nucléaires, ce
qu’ils n’ont pas réussi à faire. La dernière option est
l’élimination des armes nucléaires de toute la région. Mais
là aussi, il s’agirait d’un discours plutôt médiatique. « Ce
ne sont pas des propos négociables. Même le sommet arabe de
Riyad 2007 a gelé un projet de résolution de la Ligue arabe
pour l’élimination totale des armes de destruction massive,
sous couvert de la nécessité de réviser le texte ». Or la
question est d’autant plus complexe que pour les pays arabes
en général, les sources de menaces sont considérées comme
multiples. « Le danger provient d’Israël et de l’Iran. Tout
est donc relatif. Le degré de danger est associé pour
chaque Etat à sa proximité avec la source et leurs intérêts
communs », poursuit-il.
Mais un
fait est sûr, le vrai risque provient d’Israël et cela ne
date pas d’hier. Camille Mansour rappelle que dès la fin des
années 1950, l’Egypte n’ignorait pas que le réacteur de
Dimona était susceptible de servir à un usage militaire et
le président Nasser lui-même évoqua la question dans un
discours en décembre 1960. Quand en 1963, les émissaires du
président américain John Kennedy proposèrent que Washington
œuvre en vue d’un contrôle du programme nucléaire israélien,
en contrepartie du gel de l’effort égyptien visant à
développer des missiles balistiques, Nasser répondit que la
politique de l’Egypte à l’égard d’Israël était une politique
défensive et que la production par Israël de matières
fissiles à usage militaire conduirait l’Egypte à une
anticipation par une guerre de protection. D’ailleurs,
Mohamad Saïd Idriss relève qu’Israël agit dans le même
esprit et cite même Nasser. Un écrivain israélien, Alof Ban,
a aussi écrit dans le journal Haaretz que cette vision d’une
guerre préventive, les Israéliens la tirent d’une
déclaration de Nasser et qu’Israël se l’est appropriée en
faisant sa vraie doctrine. En fait, Israël joue la même
rengaine depuis toujours, celle de l’Etat en danger. Une
vision que soutiennent les Occidentaux.
Sentiment d’avoir été « abusés »
Or, s’il
en est ainsi, il faudrait que l’Etat hébreu et l’Occident
s’attachent principalement à la recherche de la paix. Il est
important de rompre le cercle vicieux concernant la relation
entre la bombe et la prétendue situation spécifique
d’Israël. Mais comme on le voit dans le contexte politique
actuel, Israël ne fait pas le moindre effort pour résoudre
la question du Proche-Orient, en plus de son rejet du TNP.
De quoi rendre le rendez-vous de mai prochain à New York, du
Congrès de révision du traité, très important. Il
déterminera dans quelle mesure les participants adopteront
leur attitude au sujet d’Israël. Les pays du Moyen-Orient
ont eu le sentiment d’avoir été « abusés » par le TNP pour
lequel les puissances nucléaires n’ont pas tenu leurs
engagements. C’est ce que d’ailleurs avait mis en relief un
diplomate égyptien. « Nous, pays du Moyen-Orient, avons le
sentiment d’avoir été abusés en faisant des concessions pour
des promesses qui ne se sont jamais concrétisées », a
expliqué Hicham Badr, représentant de l’Egypte auprès de
l’Onu à Genève, lors de la Conférence du désarmement,
organisée dans cette ville en mars dernier. « Il y a un
ressentiment répandu dans la région contre le TNP, ses
objectifs, sa partialité et son manque de volonté politique
», a-t-il insisté. L’ambassadeur égyptien estime que les
pays dotés de l’arme nucléaire n’ont pas tenu leurs
engagements, alors que les tentatives de faire du
Moyen-Orient une zone exempte d’armes nucléaires ont
toujours été repoussées. Il a prévenu que les pays du
Moyen-Orient pourraient jouer un rôle « central » dans le
succès de la conférence de mai destinée à renforcer le
traité. Les conférences de suivi du TNP se déroulent tous
les cinq ans depuis l’adoption, en 1970, de l’accord. La
dernière, en mai 2005, s’est terminée sur un échec. La
prochaine sera-t-elle plus efficace ? Difficile à prévoir.
Mais une chose est sûre : pour le Proche-Orient, les risques
nucléaires et un Iran diabolisé sont les principaux alibis
d’Israël.
Ahmed
Loutfi
Chaïmaa Abdel-Hamid