Al-Ahram Hebdo, Visages | Hoda Al-Sadda; Féministe et fière de l’être
  Président Abdel-Moneim Saïd
 
Rédacteur en chef Mohamed Salmawy
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 Semaine du 14 au 20 avril 2010, numéro 814

 

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Visages

Entre l’Egypte et l’Angleterre, Hoda Al-Sadda mène toujours une vie bien remplie. Professeur des études arabes à l’Université de Manchester et fondatrice du Forum de la femme et de la mémoire, elle jouit de ses recherches scientifiques, historiques et féministes. 

Féministe et fière de l’être 

« Ah ! Que je n’aime pas voyager. Mais grâce à Dieu, cela s’est bien passé et je me suis habituée ». Ainsi répond une voix gaie, pressée mais accueillante au téléphone. Une intonation rapide et sincère déclare que Hoda Al-Sadda, professeur des études arabes à l’Université de Manchester et fondatrice du Forum de la femme et de la mémoire, vient juste de rentrer de son long voyage en Angleterre. Juste quelques semaines au Caire pour fêter le printemps avec la famille et profiter des congés de Pâques avant de repartir vers d’autres horizons.

Mais chez elle, bien à l’aise dans sa robe de Cachemire, portant ses lunettes sur le nez, elle ne s’éloigne jamais de son petit bureau sur lequel des tas de dossiers et un stylo sont rangés soigneusement. Ici, elle continue à rassembler les hypothèses, consulter ses ouvrages, rédiger ses notes, reformuler ses idées et préparer son travail. Un aspect de sa vie quotidienne ? Certainement, parce que Hoda Al-Sadda est toujours cette femme sollicitée dans les activités et les rencontres intellectuelles pour ses recherches fouillées, ses propos encourageants et ses connaissances académiques.

A la Conférence internationale de la traduction tenue au début du mois, elle a proposé une recherche sur la traduction et l’instabilité du mot anglais « Gender » (genre) dans l’histoire des textes arabes. « Selon le contexte culturel de chaque pays arabe, le terme varie. Au Liban, beaucoup de personnes utilisent Al-Gendra (un mot dérivé du terme original), tandis que d’autres emploient Al-Genoussa (sexe) ou encore le genre. Jusqu’à présent, les savants et les chercheurs ne se sont pas mis d’accord sur la traduction exacte », explique Hoda Al-Sadda. Car à travers ce terme s’imposent différentes connotations sur les rapports homme-femme, force ou faiblesse, soumission ou émancipation dans la littérature féministe. Des thèmes sur lesquels Hoda Al-Sadda s’adonne avec passion depuis une trentaine d’années.

Alors étudiante à la faculté des lettres, section anglaise, la jeune Hoda profitait pleinement de ses études littéraires. « J’étais une jeune fille qui avait de la chance. Mes parents étaient des intellectuels qui éprouvaient une grande passion pour la lecture en anglais. Nous avions chez nous une grande bibliothèque. Avant même de commencer mes études universitaires, j’avais lu presque toutes les œuvres littéraires des romanciers et des poètes anglais. Pour cela, je n’avais aucun problème à la faculté : tout me paraissait déjà familier », se rappelle-t-elle.

Initiée donc à la littérature et à la langue, Al-Sadda a poursuivi ses études dans ce même domaine. Ce n’est qu’en préparant sa thèse de doctorat que sa passion s’est dirigée vers d’autres centres d’intérêts. « Par hasard, je suis tombée sur les écrits d’Edward Saïd. A l’époque, il analysait le discours des colonialistes adressé aux peuples colonisés. Ses notes me paraissaient assez surprenantes, voire provocatrices. Il a remarqué que généralement, les colonialistes décrivaient les peuples soumis à leur pouvoir comme l’homme décrivait la femme. Toutes les connotations de faiblesse, de protection et de soin que l’homme déclare à la femme étaient utilisées dans le discours colonialiste. De même, Saïd notait que les pays du pouvoir attribuaient à certains autres une qualification féminine. Cela est plutôt une histoire de pouvoir que de sexe ». Une réalité qui a certainement choqué la jeune enseignante de lettres anglaises et qui a bouleversé sa vie. Ainsi Hoda Al-Sadda s’est-elle intéressée à l’exégèse des discours et des énoncés.

Contrairement aux préjugées répandues sur les féministes, Hoda n’est pas une femme qui a longtemps souffert de son statut de femme ou qui a connu une crise avec l’autre sexe. Elle demeure une femme avide de savoir et de recherche, sans complexe. Mais avant de se lancer dans ce nouveau domaine, il lui a fallu terminer son doctorat sur les poètes anglais présents en Egypte pendant la deuxième guerre mondiale. « Je voulais tourner la page et m’adonner à l’histoire du féminisme. A l’époque, je pensais que ma thèse en littérature anglaise était incompatible avec mon nouvel intérêt pour le féminisme ». Mais peu à peu les liens s’avérèrent évidents entre la littérature comparée et l’histoire du féminisme dans la littérature anglaise, puis arabe.

« Avec mes collègues, nous nous sommes rapidement intéressés aux discours féministes dans l’histoire de la littérature arabe. Nous étions des chercheurs en littérature et en histoire : Omayma Abou-Bakr, Imane Bibars et Hoda Al-Saadi sont quelques noms que nous avons étudiés ». Leurs recherches et leur assiduité au travail les ont menées à créer la Fondation de la femme et de la mémoire. Une organisation qui s’intéresse à poursuivre des recherches scientifiques et académiques sur le féminisme, en particulier dans les pays arabes. De plus, l’organisation s’intéresse à donner aux étudiants et aux professeurs universitaires l’occasion de profiter de son œuvre en faveur de l’enseignement. Et afin de mieux créer un contact avec les gens ordinaires, plusieurs activités culturelles sont régulièrement organisées comme « les soirées de narration où l’on raconte des histoires de femmes et de féministes et qui connaissent un grand succès. C’est essentiel de s’intéresser à ces formes de contact oral, simple et populaire », précise-t-elle.

Outre ses activités culturelles, plusieurs publications ont été signées par Hoda Al-Sadda. Aujourd’hui, cette féministe et chercheuse déclare que « pour ne pas s’éloigner de l’Occident, on va élaborer un projet de traduction vers l’arabe consacré aux articles et théories féministes parus au cours du siècle. Ce sera une série d’ouvrages dont la première édition est en cours de préparation ». Un deuxième projet est en cours : une bibliothèque électronique pour les ouvrages féministes arabes.

Le nom de Hoda Al-Sadda est impliqué dans plusieurs missions des mouvements activistes et des revues culturelles. Pour cela, il lui suffit de croire au rôle de chaque mission et en son efficacité. Ce qui ne l’a pas empêché de démissionner du Conseil des droits de l’homme. « J’ai été nommée, comme beaucoup d’autres, membre du conseil sans le savoir. Mais petit à petit, j’ai remarqué que le conseil n’était pas un organisme indépendant et je me suis méfiée du rôle que l’on voulait m’y faire jouer. Alors j’ai laissé tomber », annonce-t-elle sans ménagement. Mais de nombreuses activités et responsabilités occupent toujours Hoda Al-Sadda, en voyage comme chez elle.

« Celui qui a créé l’Internet doit aller au paradis », lance-t-elle les yeux remplis de gratitude. « Grâce à cette grande évolution, je continue à suivre tout ce qui se passe, que je sois en Egypte ou en Angleterre ». Quant au Forum de la femme et de la mémoire, Al-Sadda assure que sa « structure de travail est loin d’être compliquée. Il existe une vraie flexibilité et une interaction entre les membres. Au fil des années, l’organisation a vu de grands changements au niveau des participants qui vont et viennent sans jamais perdre notre objectif essentiel ». L’association, qui a débuté avec cinq personnes, en comprend aujourd’hui plusieurs centaines de chercheurs, traducteurs ou simples participants.

A Manchester, Al-Sadda n’est jamais loin de sa passion. « Ce qui m’a encouragé à voyager c’est le fait d’enseigner les études arabes et les textes féministes du Moyen-Orient. En plus, je supervise des projets académiques et des recherches dans ce même domaine. C’est là ma joie personnelle ». Plus de facilités et de moyens sont fournis aux étudiants et aux professeurs qui favorisent les recherches, les exposés et les études : une bibliothèque ouverte à tous, des liens étroits entre les membres et la liberté d’aborder tout thème possible.

Entre Manchester et Le Caire, l’emploi du temps de Hoda Al-Sadda est rarement inoccupé. « Je ne peux pas rester dans l’oisiveté. Je croyais qu’après de longues années de travail, je pourrai avoir un rythme plus lent et plus tranquille. Mais j’aime profiter de mon temps libre pour apprendre davantage ». Hoda Al-Sadda ne se lassera probablement jamais d’apprendre, de lire, de rechercher et de fouiller un peu partout. Accro au travail : le terme n’est pas trop fort pour désigner cette femme engagée. Mais Hoda a su tout le temps faire l’équilibre nécessaire entre sa vie personnelle et son travail. Elle rejette l’idée qu’un seul de ces deux côtés ait pu réussir au détriment de l’autre. « C’est une question de priorité. Mes enfants sont la chose la plus importante de ma vie. J’ai pris deux ans de congés pour pouvoir les soigner quand ils étaient encore petits. Quant à mon mari, il suffit de dire qu’avec un petit peu d’aide et de coopération, tout se passe bien sans aucune complication. Dieu nous préserve de tout problème », rit-elle tout en se méfiant du mauvais œil.

Activiste, féministe et intellectuelle, elle se sent fière et pleine d’espoir. « C’est comique tout ce qui se passe à travers cette polémique sur les femmes juges. Les prétextes soulignés pour empêcher les femmes d’exercer ce métier sont les mêmes qu’on entend depuis cent ans ! Au début du siècle, les filles qui voulaient joindre la faculté de médecine ou de polytechnique devaient lutter contre les opinions générales qui pensaient que ces études et ces métiers étaient trop exhaustifs et difficiles pour convenir à la nature des femmes », explique-t-elle avec un ton sarcastique avant d’ajouter que « le lexique de protection, de soin et de secours qu’on emploie souvent vis-à-vis des femmes est presque le même que celui que Lord Cromer a employé en parlant de nous, les Egyptiens. C’est affreux ! ».

Elle se rappelle d’un article signé par Nabaweya Moussa. « Elle voyait que les métiers prestigieux étaient toujours qualifiés comme difficiles et très éprouvants. Pourtant, personne ne parle jamais de la femme qui travaille comme vendeuse de légumes et qui reste toute une journée dans le froid dans la rue, ni a-t-on parlé des infirmières dont le travail exige un grand effort », souligne Al-Sadda sans jamais perdre l’espoir que bientôt, en Egypte, les femmes aussi deviendront juges. Elle est consciente que le changement aura lieu prochainement. « C’est la nature des choses ».

May Sélim

 

 

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Jalons  

1958 : Naissance au Caire.

1978 : Licence de lettres anglaises, Université du Caire.

1984 : Naissance de son fils aîné Ahmad.

1988 : Thèse de doctorat.

1997 : Fondation du Forum de la femme et de la mémoire.

2005 : Professeur à l’Université de Manchester, Angleterre.

2010 : Publication d’une série d’ouvrages traduits par le Forum de la femme et de la mémoire.

 




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