Artisanat. Derrière l’exposition de Hagaza et Akhmim, tenue au Caire au siège de l’Association de la Haute-Egypte pour l’Education et le Développement (AHEED), se profile un travail de longue haleine qui remonte aux années 1940.

 

Sculpter sa vie par le bois

 

Comme chaque année, les artisans arrivent de la ville de Hagaza. Une ville située à une trentaine de kilomètres au nord-est de Louqsor et réputée depuis fort longtemps pour sa menuiserie. Le bois utilisé par ces jeunes apprentis est simple mais rare. Evoquée parmi les villes les plus antiques de l’Egypte, Hagaza a été le passage emprunté par des pèlerins à travers le désert oriental pour se rendre au Hegaz dans la péninsule Arabique, d’où le nom qu’elle porte. C’est à Hagaza que vit l’une des plus importantes communautés chrétiennes du Moyen-Orient : des coptes chrétiens, des évangéliques et des musulmans … Un amalgame de culture et un mélange de traditions d’origine pharaonique, copte et arabo-islamique. Une richesse devenue, au fil des années, une source d’inspiration pour les 20 000 habitants de cette ville.

Ils sont devenus des experts dans la fabrication du bois. Et leur production est aujourd’hui exportée en France, à Oman, en Belgique et beaucoup d’autres pays étrangers. L’atelier de menuiserie dont la superficie atteint les 4 000 m2 est situé au sud de la ville de Hagaza.

Ce projet de fabrication du bois de Hagaza a débuté dans les années 1980 quand le père Pierre, de nationalité française, a débarqué en Egypte. Il avait entendu parler de différentes espèces d’arbres comme le sersou et l’ethle et des habitants de Hagaza pour qui le métier de menuisier se transmet de père en fils. Mais, à l’époque, ces petits artisans fabriquaient seulement des métiers à tisser, des banquettes en bois, du mobilier rudimentaire, des portes ou des fenêtres ordinaires ... Le père Boutros, comme l’ont surnommé les Egyptiens, aimait travailler le bois et a commencé par former les jeunes en leur enseignant la sculpture sur bois.

L’atelier de Hagaza, créé par le père Boutros, reçoit seulement la gent masculine. La première promotion comptait 11 jeunes hommes dont l’âge variait entre 15 et 20 ans. Ils assistaient au cours d’apprentissage, du père Boutros, cinq jours par semaine. Puis le Père a fait appel à cinq autres artistes étrangers pour l’aider dans sa mission.

Tous les trois ans, un nouveau groupe se joint à la formation. Aujourd’hui, la promotion compte près de 60 personnes qui viennent apprendre pour améliorer leurs conditions de vie. La formation dure trois ans, ce qui permet aux jeunes d’acquérir un savoir-faire.

L’initiative du père Boutros a changé la vie et l’avenir de toute une ville. Les jeunes artisans sont fiers de leur renommée et leur réputation à l’étranger. Les uns ont participé à des expositions à Paris, à l’exemple de Shayeb, qui a fait partie de la première promotion de l’atelier de Hagaza. Il a participé en 2009 et 2010 à trois expositions à Maison Objet il a exposé 200 pièces en bois. Cela prend deux mois environ à Shayeb pour fabriquer ses œuvres d’art, tout dépend du style et du design. « J’ai commencé par exporter mes articles en France. Ils sont exposés dans divers magasins », affirme-t-il. Et comme Shayeb est fier de sa ville natale, on l’appelle Shayeb Hagaza.

Shayeb a réussi à vendre 100 articles à 7 000 L.E. « Si je gagne beaucoup d’argent et suis désormais connu, c’est bien grâce au père Boutros. On est, tous, connus autant au niveau local qu’international », confie Yasser qui possède un atelier dans la rue principale de Hagaza.

Pour fabriquer des articles en bois de bonne qualité, les artisans de la ville de Hagaza utilisent trois types de bois, espèces d’arbres plantés dans les régions chaudes de l’Egypte comme Louqsor et Assouan. Des arbres connus sous le nom de sersou (importé d’Inde par les Anglais et acclimaté à l’Egypte), de tamaris ou d’Ethle (un bois blanc) et le kay (un arbre local).

Ces genres de bois sont utilisés dans la fabrication des saladiers, des pots, des boîtes et d’autres ustensiles de table proposés par nos artisans ... Ce mélange de bois leur donne des reflets incomparables. Chaque objet est travaillé à la main et sa fabrication requiert plusieurs heures de travail.

Certains artistes de Hagaza utilisent d’autres genres de bois que l’on trouve au bord des rivières et des canaux. Jadis, on utilisait ce genre de bois pour couvrir les toits des immeubles ou des maisons. Mais aujourd’hui, il se vend à 1 400 L.E. la tonne.

La population de Hagaza, dont la plupart est modeste, vit en principe de la culture du coton et de canne à sucre. La plupart des enfants n’accède pas ou peu à l’enseignement. « J’adore ce que je fais. Je n’ai pas d’horaires fixes et je ne cesse de travailler que lorsque je suis vraiment épuisé », dit Roumani, 40 ans, propriétaire d’un atelier. Ce dernier a abandonné les bancs de l’école à l’âge de 13 ans pour aider son père à gagner sa vie. Contribuant largement aux besoins de sa famille, Roumani a décidé de poursuivre ses études tout en continuant à travailler le bois.

La plupart des jeunes du village ont appris le métier de menuisier dès leur jeune âge et les diplômés de l’enseignement supérieur qui se sont retrouvés au chômage les ont rejoints. Comme Karim, diplômé de tourisme et d’hôtellerie qui pense que ces objets d’art rapportent beaucoup plus d’argent. C’est pourquoi il a suivi une formation de trois ans à l’atelier de Hagaza, espérant ouvrir un jour un petit atelier. Aujourd’hui, il profite pour exposer ses articles à la Foire internationale du Caire

L’Association de la Haute-Egypte pour l’Education et le Développement (AHEED) offre des microcrédits aux jeunes apprentis après la fin de l’apprentissage. Wafa, qui a hérité le métier de son père, produisait deux articles par jour. Il a obtenu un premier microcrédit de 2 000 L.E. en 2002. Il a pu augmenter sa production à trois articles par jour. Il a décidé ensuite de s’élargir et a demandé plusieurs microcrédits à l’association. Il a pu acheter un local de deux pièces et a acheté le matériel nécessaire. Mais à chaque fois qu’il a besoin de découper les troncs d’arbres, il s’adresse à l’atelier-mère se trouvent de grandes scies qui découpent les troncs d’arbre en planches. D’autres prennent un microcrédit de 10 000 ou 15 000. Ceux-ci sont devenus des propriétaires de grands ateliers. Les œuvres de ces artisans sont actuellement exposées au sein de l’AHEED, située à Daher. Un rendez-vous annuel affluent un grand nombre de ministres, d’ambassadeurs et de visiteurs, de tous bords. A visiter jusqu’au 30 avril.

Dossier réalisé par Manar Attiya