Art Floral. L’Exposition du printemps est le rendez-vous
annuel entre exposants et amateurs. Elle est la preuve
que l’intérêt pour la végétation a retrouvé son ampleur d’antan.
Un éden de verdure
Réda se tient au milieu de ses plantes et fleurs comme un styliste devant ses modèles. Il expose aux visiteurs ébahis les plantes et les fleurs
aménagées dans son pavillon. Selon lui, les plantes comme les vêtements et les voitures ont des modèles qui changent chaque année.
L’un des modèles de la collection 2010 est un arbuste
d’intérieur aux grandes feuilles plissées appelé Licuala. « Notre clientèle,
surtout féminine, tient à acquérir tout ce qu’il y a
de nouveau. Elle veut montrer à ses voisines ou à ses
amies qu’elle possède une voiture dernier modèle et même une plante dernier cri
», déclare Réda Mohamad. Ce jeune homme de 27 ans est
l’un des 200 exposants qui présentent leurs produits à l’exposition annuelle de
plantes et de fleurs. Un événement organisé chaque
année par le ministère de l’Agriculture à l’occasion du début du printemps dans
le parc public d’Al-Ormane à Guiza, en face de l’Université du Caire, l’un des
plus anciens parcs de la capitale, riche par la diversité de sa végétation.
Pendant les 5 semaines de l’exposition, le parc ouvre gratuitement ses portes pour encourager le public à découvrir cet éden de
verdure.
Wafaa se tient devant le coffre
ouvert de sa voiture. Elle y dépose avec grand soin
des géraniums de toutes les couleurs et des cactus de
formes et de tailles différentes. Elle possède une grande terrasse qu’elle a
transformée en un jardin verdoyant et vient chaque
année visiter l’exposition. « Je tiens à ce que mes petits-enfants fassent du
jardinage avec moi pour leur apprendre que la beauté émane de choses simples comme les plantes et les fleurs », déclare Wafaa,
une grand-mère qui possède encore le goût de la beauté.
En franchissant les grandes portes
monumentales du parc, les visiteurs découvrent qu’il a
été complètement métamorphosé pour accueillir l’exposition. Des pavillons
couverts ont été montés avec de belles toiles vertes
pour protéger les plantes et les fleurs des rayons du soleil. Les parterres ont
été couverts de sable et de carrés de gazon et des
allées couvertes de sable fin ont été aménagées pour faciliter la promenade
entre les pavillons.
« Ces
fleurs sont le fruit de plus de 40 ans de travail. Elles ont
leur clientèle qui tient à s’approprier quelque chose de distingué, de
différent », déclare Ahmad Naguib, avec une fierté non dissimulée en parlant de
ses orchidées. Ce médecin octogénaire est tombé amoureux de cette fleur lors de son séjour à
l’étranger. Il a alors décidé de l’introduire en
Egypte et a commencé sa culture dans sa pépinière. Les orchidées blanches sont
les plus classiques, mais les autres couleurs rivalisent de beauté. En passant
devant ce pavillon, Soad ne peut que s’arrêter. « J’ai été attirée par son décor raffiné ainsi que par la beauté
exceptionnelle des fleurs », raconte Soad Mohamad, présidente d’une association
caritative venue visiter l’exposition sur l’invitation d’un exposant.
Ahmad traite ses fleurs comme des princesses. Les
branches sont exposées dans des pots en porcelaine disposés sur des étagères
couvertes de nappes blanches et vertes en satin. Une
petite carte portant des informations sur la fleur et
les conseils d’entretien est accrochée à chaque branche. Ahmad répond
inlassablement aux questions de Soad bien qu’il sache qu’elle n’achètera pas ses fleurs à cause de leur prix relativement élevé. Ces fleurs, bien qu’elles ne vivent que de 2 à 4 mois, coûtent de
120 à 150 L.E. « Le seul fait de répandre la culture de cette fleur me fait
plaisir. D’ailleurs, au fil des années, les gens ont commencé à
connaître l’orchidée et elle a maintenant sa clientèle
», déclare Ahmad.
Une prise de conscience
Les visiteurs de l’exposition
augmentent d’une année à l’autre comme le confirme Mohamad Moustapha,
responsable actuel de l’exposition et sous-secrétaire
auprès du ministère de l’Agriculture. Selon lui, la culture
des visiteurs a changé ces dernières années. La création des nouveaux
compounds et des villages touristiques sur la
Côte-Nord et en mer Rouge ont donné un grand essor à la culture des plantes
d’ornements et des fleurs. « N’oublions pas aussi qu’il y a
toujours une certaine concurrence entre les membres de la classe aisée.
Si l’un d’eux s’achète une nouvelle voiture, l’autre s’appropriera une voiture
encore plus belle. C’est la même chose pour les plantes », déclare Mohamad.
En effet,
on remarque du premier coup d’œil que c’est la classe aisée qui représente la
principale clientèle de l’exposition.
« Je suis
là de bon matin. Cependant, je n’ai pas trouvé toute la quantité de
pots de géranium dont j’ai besoin », déclare Hala, qui veut embellir le jardin
de sa villa dans la nouvelle cité du 6 Octobre avec
près de 50 pots de fleurs. Elle raconte que cet
exposant présente ses géraniums depuis 20 ans au même endroit et qu’elle vient
chaque année pour découvrir les nouvelles couleurs hybridées. Le sol est jonché de centaines de pots de géranium classés selon
leurs couleurs. Les couleurs traditionnelles comme le blanc,
le rouge et le rose côtoient les couleurs plus originales comme le mauve, le
fuchsia et le saumon. « Ici, le pot est vendu à 9 L.E. mais le prix n’est pas à
débattre, même si l’on veut acheter une grande quantité. Cet exposant a bâti
une réputation solide depuis longue date », explique Hala, professeur à
l’université, qui n’a pas réussi à réduire le montant de sa
commande qui lui sera livrée à domicile le lendemain. En fait, cette dernière a
un abonnement avec le fleuriste du quartier qui lui
livre des fleurs une fois par semaine. « Pour moi, avoir des fleurs dans mes vases
est aussi important que l’eau et la nourriture », dit-elle en parlant de son
mode de vie.
Du gagne-pain, aussi
Tout un
monde tourne autour de cet événement. Chacun y trouve son
gagne-pain. Khodeir, vêtu de sa modeste
djellaba, pousse sa brouette devant lui, prêt à se précipiter vers les
visiteurs pour les aider à transporter leurs achats. Simple journalier pendant
toute l’année, il attend l’événement de l’exposition pour
se faire une petite somme. « Cinq livres par-ci, 10 livres
par-là. A la fin de la journée, je me retrouve avec une bonne somme qui me fait oublier toute ma fatigue », dit Khodeir,
l’une des nombreuses personnes qui profitent de l’événement. D’autres
chauffeurs de camionnettes stationnent à l’entrée du parc et
offrent leurs services aux visiteurs désireux de transporter leurs achats
nombreux à de longues distances ou aux exposants qui apportent leurs
marchandises.
Malgré
l’importance de l’événement, l’exposition n’est pas bien médiatisée. La radio
en a parlé juste le jour de son inauguration. Rien à la télévision ni dans les journaux. Pas une seule publicité si ce n’est une pancarte à l’entrée du parc. Rares
sont les personnes qui en ont entendu parler.
« C’est la
première fois que je viens visiter cette exposition après avoir entendu à la
radio la nouvelle de son inauguration. Je ne m’attendais pas à ce
qu’elle soit aussi belle », conclut Hind, fière d’avoir pu,
avec 100 livres, acheter une variété de pots et de plantes. Un
joli arbuste aux belles fleurs mauves à 8 L.E., des pots de menthe et de rose
marie à 2 L.E., quelques pots de géranium blanc à 9 livres chacun, tels étaient
les choix de Hind Moussa, femme au foyer.
Pourtant,
l’idée de l’exposition du printemps remonte à l’ère du roi Fouad. A l’époque, elle était organisée par l’Association
égyptienne de la culture des jardins. Une dizaine d’exposants s’adressaient à
la classe aristocratique qui avait le luxe de posséder des jardins et d’acheter des fleurs. Lors de la
présentation d’une nouvelle fleur hybridée, on lui attribuait même le nom d’un
roi ou d’une princesse. Mais aujourd’hui, les choses
ont bien changé. C’est le ministère de l’Agriculture qui organise
l’exposition, en coopération avec l’Association de la culture des jardins. Cette année, plus de 200 exposants présentent des produits de
plusieurs milliers de livres sur une superficie de 32 000 m2. Le
ministère donne l’occasion à une large panoplie
d’exposants de venir présenter leurs produits. Il ne
s’agit pas seulement des plantes d’ornement et des fleurs, mais aussi des arbres
fruitiers et de tout ce qui se relie au monde de l’agriculture et des jardins.
« Ces
meubles sont fabriqués en bois naturel, des bois qu’utilisaient les pharaons
comme le sycomore et le manguier. Les motifs
aussi sont inspirés de l’art pharaonique », explique fièrement Hag Mohamad aux
visiteurs qui s’arrêtent devant son pavillon. Cet
officier de l’armée a décidé de se lancer dans ce projet après être sorti à la
retraite. Il a découvert un artisan qui travaillait
ces bois mais avec des moyens modestes et un goût peu raffiné. « Nous avons alors consulté des revues étrangères et avons
développé la production. Aujourd’hui, nous n’introduisons aucun clou
dans nos meubles », déclare Hag Mohamad, en expliquant qu’il travaille dur pour
pouvoir entrer en concurrence avec les meubles de jardin asiatiques qui se
vendent à bas prix mais qui ne sont ni en bois naturel ni aussi solides que les
siens.
De la persévérance surtout
Les
professionnels préparent l’exposition pendant toute l’année. Ils apportent des catalogues de l’étranger, importent des
graines et des germes et les cultivent dans leurs pépinières bien avant
l’exposition.
La concurrence est
acharnée entre les exposants. Chacun tente de présenter une
nouveauté le distinguant des autres.
« Les
exposants profitent de l’ignorance des clients et ne révèlent pas les noms
scientifiques des plantes. Ils prétendent qu’une telle ou
telle plante est exposée pour la première fois, alors qu’elle existe depuis des
années sur le marché, mais ils mettent en lumière chaque année une plante
différente », explique Ihab, ingénieur agricole de 40 ans qui suit chaque année
le développement de l’exposition.
Malgré la beauté des fleurs et de la végétation exposée, le parc est rempli de dizaines
d’étudiants universitaires assis en couples qui ne songent nullement à aller
découvrir l’éden de végétation qui les entoure. Ils y
sont complètement indifférents. Ils semblent avoir
perdu le goût de la beauté dans le tumulte du matérialisme et le poids des
crises financières. Pourvu que l’Exposition du printemps
contribue à leur faire redécouvrir le goût de la beauté.
Racha Darwich